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Idées

Faut-il asseoir la représentativité syndicale sur des élections ?

Idées | Débat | publié le : 01.01.2007 |

C'est un joli pavé dans la mare qu'a lancé le Conseil économique et social en se prononçant pour une réforme des critères de représentativité syndicale. En lieu et place de la présomption irréfragable dont bénéficient les cinq confédérations, le CES préconise une consultation de l'ensemble des salariés. Faut-il instaurer un tel scrutin et, dans ce cas, lequel choisir ? Les réponses de deux experts du syndicalisme et d'une conseillère à la Cour de cassation.

Dominique Andolfatto Chercheur au Cnam

‘‘Pourquoi superposer une nouvelle procédure aux mécanismes de représentation ?”

Le projet d'élections de représentativité pour les organisations syndicales est surprenant car il existe déjà de nombreuses consultations professionnelles – élections des délégués du personnel et des comités d'entreprise, élections prud'homales, élections des commissions administratives paritaires – qui permettent de connaître précisément les audiences syndicales. Pourquoi une élection supplémentaire ? Ne conviendrait-il pas de favoriser la participation des salariés aux consultations existantes et de désigner effectivement les institutions déjà prévues, ce qui n'est pas toujours le cas, notamment dans les PME ? Si l'on considère que c'est peine perdue, pourquoi ne pas revoir et rationaliser les mécanismes de représentation du personnel avant de leur superposer une nouvelle procédure aux nombreuses inconnues ?

On s'étonnera également des justifications avancées. Comment une ingénierie électorale, si sophistiquée soit-elle, peut-elle féconder le dialogue social ? Les promoteurs du projet parlent eux-mêmes d'un « pari », ce qui traduit bien le caractère aventureux de l'entreprise. Mais il s'agit aussi de relégitimer des organisations syndicales aux effectifs trop faibles. Reste à se demander comment des élections dans toutes les entreprises, puisque tel serait le projet, pourraient faire émerger une nouvelle génération de syndicalistes alors que les syndicats sont absents de la plupart des entreprises. Ne va-t-on pas consolider des appareils syndicaux repliés sur eux-mêmes ?

Ce projet électoral pose aussi de redoutables questions pratiques. Qui va organiser les élections ? Qui pourra présenter des listes ? Qui tiendra les bureaux de vote ? Qui publiera et compilera les résultats ? L'administration du travail éprouve déjà des difficultés avec les élections aux CE. Il restera enfin à résoudre l'épineuse question des seuils à partir desquels les syndicats seront reconnus représentatifs.

Tout cela traduit une fuite en avant et une pensée en termes politiques. Les organisations syndicales peinent à trouver de nouveaux adhérents alors même que les baby-boomers, qui constituent leurs militants les plus nombreux, s'apprêtent à partir à la retraite. Leur avenir ne dépend-il que d'un vote miracle ? Il conviendrait de s'interroger plus au fond sur la forme syndicale, son évolution, en recherchant des solutions simples, ouvertes et adaptées aux questions que pose réellement la médiation des relations sociales.

Marie-Laure Morin Conseillère à la Cour de cassation

‘‘L'élection fait des salariés les arbitres de la représentativité”

Elément central de la démocratie sociale, la représentativité détermine les syndicats les plus aptes à représenter l'intérêt collectif de tous les salariés, au-delà des adhérents. Dans la tradition française, elle concilie liberté de se syndiquer et égalité des salariés. Outre l'indépendance, les critères de l'article L. 133-2 traduisent la force ou l'influence du syndicat en lui-même. Il s'agit d'une conception organique, dont la présomption de représentativité accordée aux confédérations nationales n'est qu'un prolongement. Elle est arbitrée par l'État ou le juge. Ce système n'assure plus la légitimité des syndicats et de la négociation collective. Le rapport du Conseil économique et social rappelle, après d'autres, cette évidence.

Entre la voie de l'adaptation et celle de la transformation tracées par le rapport Hadas-Lebel, le CES choisit la seconde, c'est-à-dire l'élection. Les désaccords exprimés soulignent l'importance du choix : faut-il persister dans cette tradition, en privilégiant l'adhérent, ou plutôt le militant, tout en laissant le juge ou l'État être l'arbitre des divisions ? Ou faut-il aller vers un syndicalisme de représentation fondé sur un vote des salariés au risque de diminuer le nombre d'adhérents et de renforcer l'institutionnalisation des syndicats ?

L'élection a trois avantages : elle fait des salariés les arbitres de la représentativité ; le résultat électoral est objectif, avec une majorité d'engagement dans la négociation collective ; elle pousse au rassemblement. Faute d'accord, l'avis du CES évoque des élections sur le lieu de travail, à des échéances pas trop fréquentes. Le système choisi doit aussi assurer la capacité des organisations syndicales, à tous les niveaux, à arbitrer la diversité, voire la contrariété des intérêts. Faut-il alors une élection spéciale ou se servir des scrutins existants ? Faut-il s'appuyer sur une élection nationale ou des élections professionnelles avec agrégation des résultats. La première voie suppose d'identifier le vote par branche, mais aussi d'assurer la représentativité dans l'entreprise ; elle privilégie un syndicalisme d'audience. La seconde, préconisée par la CGT et la CFDT, suppose une adaptation des élections professionnelles pour les PME et TPE, et de résoudre certaines difficultés techniques (Soc., 21 décembre 2006, n° 05-60.345). Elle se fonde sur l'implantation des syndicats auprès des salariés. Si l'on veut favoriser cette implantation, gage de démocratie, la seconde solution est probablement préférable, mais ce n'est pas la plus simple.

Jean-Marie Pernot Chercheur à l'Ires

‘‘Un scrutin général de branche établirait une représentativité explicite”

Tout le monde convient de la caducité de la reconnaissance de représentativité « irréfragable ». Par quoi la remplacer ? Peu ou prou, le principe de l'élection devient difficilement contestable. L'opposition décelée ici ou là entre la légitimité par l'élection et la légitimité conférée par le nombre d'adhérents est discutable : l'observation des résultats électoraux montre que les syndicats ont des électeurs là où ils ont des adhérents, ce que confirme la hiérarchie entre les confédérations. La question ne fait pas sens dans tous les pays. En Belgique, où le taux de syndicalisation est parmi les plus élevés d'Europe, il existe un scrutin général de représentativité, par branches et tenu le même jour dans chacune d'elles. Cette formule a notre préférence. Le replâtrage des élections prud'homales n'est pas une solution. D'une part, elles excluent les agents publics, ce qui n'est pas justifiable. Agréger les suffrages acquis aux élections prud'homales et ceux issus des élections aux commissions paritaires de la fonction publique relève d'une étrange mathématique. D'autre part, elles appellent les salariés à départager les syndicats dans le seul domaine, la défense juridique, où les différences entre eux sont minimes.

Un scrutin général de branche a de nombreux avantages : il crée un événement profitable aux campagnes de syndicalisation, établit une représentativité explicite et, surtout, permet de rétablir la dimension de branche affectée depuis de longues années par le développement de la négociation d'entreprise. Celle-ci a pulvérisé la représentation en assignant le syndicalisme à l'entreprise et en l'enfermant dans les grandes, ce qui, historiquement, n'a jamais arrangé que le patronat.

L'avis du CES reconnaît justement que le problème de la représentation dans les PME-TPE n'est soluble que dans le renforcement de la référence à la branche. Il n'y aura resyndicalisation que si le syndicalisme redevient un acteur social et pas seulement un acteur de l'entreprise. La branche et le territoire sont deux espaces à réinvestir pour que les syndicats absorbent dans leur champ de représentation les salariés de la sous-traitance et ceux des activités externalisées. C'est le seul moyen de limiter les dérogations qui minent le droit du travail. Mais un changement de règles ne suffira pas à créer ce grand élan, souhaitable, de syndicalisation. Rien n'avancera sans un gros effort des syndicats sur eux-mêmes car ils portent en eux bien des causes de leur propre affaiblissement.