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Enquête

Emploi des exclus aux deux bouts de la chaîne

Enquête | publié le : 01.01.2007 |

L'inactivité forcée des seniors fait pendant à l'insécurité professionnelle des jeunes

Notre génération subit un véritable bizutage social », pointe Sylvestre, 24 ans, porte-parole du collectif Génération précaire. Les faits sont là : le taux de chômage des 15 à 24 ans tutoie les 22 % et la dévalorisation des diplômes universitaires s'accompagne d'une insertion dans la vie active chaotique doublée d'une insécurité professionnelle grandissante. « La stabilisation des jeunes de la génération 1998 dans l'emploi, sept ans après leur sortie de formation, n'est pas encore gagnée, relève Alberto Lopez, chercheur au Cereq. 41 % d'entre eux disent encore avoir comme objectif de trouver ou de conserver un emploi stable. » En regard de la génération des baby-boomers qui a connu l'insouciance des Trente Glorieuses et du plein-emploi, les jeunes ont le sentiment de jouer les variables d'ajustement pour préserver un modèle social imaginé par leurs grands-parents au lendemain de la guerre. « Auparavant, on passait de la formation à l'emploi, puis à la retraite. Ce cycle de vie à trois temps sur lequel repose notre contrat entre les générations ne fonctionne plus et explique le malaise de nos jeunes », décrypte Anne-Marie Guillemard, professeur de sociologie à l'université Paris V et membre de l'Institut universitaire de France. Mais est-ce pour autant la faute des baby-boomers si les jeunes générations s'estiment flouées ? Sur le front de l'emploi, le malaise des seniors est tout aussi palpable. Montrés du doigt, on leur reproche leur manque d'activité passé 55 ans.

Ne pas penser l'emploi comme un gâteau qu'on partage. De fait, moins de 37 % des salariés de 55 à 64 ans sont, en France, encore en activité. L'un des taux les plus faibles d'Europe. Si les baby-boomers sont entrés sans peine sur le marché de l'emploi et ont connu des carrières ascendantes, ils ont été aussi les premiers à absorber les effets des chocs pétroliers des années 70. Sans compter la forte discrimination à l'embauche qu'ils subissent. Passé 50 ans, impossible de retrouver du travail. La France s'est servie des seniors pour atténuer les contrecoups de l'économie, laissant toute une génération choisir la retraite anticipée plutôt que l'activité avec l'illusion de lutter contre le chômage et de favoriser l'emploi des jeunes. « Aujourd'hui, quand on parle d'emploi des seniors ou d'emploi des jeunes, on se trompe de message, explique Anne-Marie Guillemard. On ne forcera jamais les gens à rester dans l'emploi. Mieux vaut travailler sur l'attractivité, la santé, l'avenir au travail des jeunes comme des vieux. Pourquoi ne penser l'inactivité qu'en fin de vie professionnelle. Il faut d'urgence substituer à la notion de groupe d'âge le concept de trajectoire professionnelle et arrêter de penser l'emploi comme un gâteau que l'on se partage. » Une nécessité si l'on veut retenir les seniors dans l'emploi, fidéliser les jeunes et maintenir une solidarité intergénérationnelle.

Formation-emploi
ANNE-CLAIRE HUET, 25 ANS, EN RECHERCHE D'EMPLOI

“Ne pas être autonome à 25 ans, ce n'est pas normal”

Ma génération est celle du chômage et de la précarité. Depuis que j'ai 10 ans, j'entends dire qu'entrer dans la vie active est difficile, qu'il vaut mieux faire beaucoup d'études », raconte Anne-Claire Huet. La jeune femme a suivi tous les conseils. Des études d'économie à l'université Paris XII, un master professionnel en conjoncture économique à Dauphine et, surtout, des stages tout au long de ses études. « J'ai cumulé plus de douze mois de stages, mais je sais que cette expérience ne sera pas prise en compte. » Depuis qu'elle a obtenu son diplôme l'été dernier, Anne-Claire cherche du travail tout en enchaînant des stages. « C'est difficile de prendre la décision d'arrêter les stages. Est-ce que ça ne vaut pas mieux que l'inactivité ? s'interroge la jeune femme. En même temps c'est un cercle vicieux. Les stagiaires travaillent comme des salariés mais sans statut et sans reconnaissance. Nous ne cotisons pas, nous n'avons pas le droit au chômage et, jusqu'à 25 ans, pas le droit au RMI. » Pour Anne-Claire, le plus important est maintenant de décrocher un vrai contrat de travail pour gagner son indépendance financière à l'égard de ses parents. « À 25 ans, ça n'est pas normal de ne pas être autonome. »

ANNIE JARRY, 59 ANS, PRÉRETRAITÉE D'IBM
“Les 45-55 ans souffrent d'un manque de reconnaissance”

Je n'ai jamais craint de me retrouver au chômage au début de ma vie active, note Annie Jarry. L'époque était bénie. Nous avions vécu Mai 1968, la libération sexuelle, et il y avait du boulot. » Après des études de sociologie, elle est entrée chez IBM en 1974 comme assistante marketing. « À l'époque, les entreprises embauchaient des bac + 4, estimant qu'à ce niveau d'études les jeunes étaient capables d'apprendre n'importe quel métier. Mes collègues avaient fait des études de médecine ou d'archéologie. » Pour former ses troupes à l'informatique, l'entreprise américaine s'était dotée d'une école interne et garantissait à ses salariés leur ascension sociale. « Deux ans après mon embauche, je suis passée par l'école IBM. Un an après, j'ai été promue cadre, puis ingénieure technico-commerciale. » Une époque révolue depuis le milieu des années 80. Aux premiers plans de préretraite pour éviter les licenciements ont succédé des plans sociaux. « Aujourd'hui, les salariés entre 45 et 55 ans souffrent d'un manque de reconnaissance de l'entreprise. Comme ils sont trop vieux pour changer de job et trop jeunes pour bénéficier d'une préretraite, ils se sentent piégés, indique Annie Jarry, qui a choisi de partir lors du dernier plan social. « Je ne voulais pas laisser passer mon tour au risque d'attendre six ans pour faire valoir mes droits à la retraite. »