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Un jeu gagnant-gagnant pour les deux parties

Dossier | publié le : 01.01.2007 | Sarah Delattre

Affirmation de la responsabilité sociale pour les unes, vecteur de développement pour les autres, les alliances entre firmes et ONG se déploient tous azimuts. Et profitent à tous.

Renversement de tendance. Après s'être longtemps regardées en chiens de faïence, ONG et entreprises ont commencé à se rapprocher à la fin des années 90. Puis à s'engager, il y a quelques années, dans des collaborations de toute nature. Dans une étude publiée en juin 2006 et réalisée auprès de 561 organisations non gouvernementales (Panorama des relations ONG-entreprises : quelles évolutions pour quelles influences ?, juin 2006), Novethic a recensé, avec l'aide du « Who's who des ONG » (www.wwo.fr), 334 partenariats concernant essentiellement 80 ONG. Total et Pro-Natura œuvrent de concert en faveur du développement social et économique de deux communautés nigérianes, Accor et Agrisud International travaillent sur des programmes agricoles pour lutter contre la pauvreté au Cambodge, etc. Accusées de malmener la planète et de bafouer les conditions de travail dans les pays les plus pauvres, les entreprises internationales y trouvent l'opportunité d'affirmer leurs responsabilités sociale et environnementale et d'améliorer leur image. Quant aux ONG, qui cherchent à faire évoluer les pratiques des entreprises, elles y voient l'occasion d'étendre leur sphère d'influence. « Les entreprises constituent une plate-forme de rayonnement sur laquelle nous pouvons nous appuyer pour relayer nos messages auprès de leurs salariés, leurs clients et fournisseurs », observe Jacques Hintzy, président d'Unicef France. Un rapprochement qui, pour Lisa Tassi, responsable de la commission entreprise à Amnesty International, traduit « un basculement des pouvoirs et des instances décisionnelles des États vers les entreprises, dans un contexte de mondialisation. Nous ne pouvons plus camper sur une seule position de dénonciation, nous devons ouvrir le dialogue avec les acteurs économiques ».

La prime aux super-ONG. Ces mariages de raison constituent aussi une source de revenus non négligeable pour les organisations. Rien qu'en France, l'Unicef a multiplié par 2,5 ses ressources privées – d'un montant de 4 millions d'euros – et, au niveau international, leur part est passée de 8 à 12 % du budget. Avec une prime aux ONG d'envergure internationale, au nombre d'une dizaine selon wwo.fr. « Le monde des ONG restant opaque pour nombre d'entreprises, ces organisations, grâce à leur taille qui rassure, attirent plus facilement les financements », rapporte Novethic. « Le fait que Transparency International nous aide à élaborer un programme de prévention de la corruption donne plus de crédibilité à notre démarche », note Olivier Luneau, vice-président senior du développement durable chez Lafarge. En 2004, l'ONG, qui a édicté ses propres business principles, a aidé le cimentier à évaluer son exposition au risque de corruption et à élaborer un code de conduite. Des enquêtes ont été menées dans une dizaine de business units pour recueillir le sentiment des managers.

Lutte contre le travail des enfants, campagne contre le sida, respect des droits fondamentaux… les ONG apportent aux entreprises la connaissance qui leur fait défaut. « Nos partenariats ne relèvent pas de la philanthropie, ils contribuent à nous faire progresser dans notre métier. Ils nous apportent une expertise complémentaire pour, par exemple, évaluer l'impact de nos activités sur le changement climatique ou mener une étude de biodiversité dans le cadre de la réhabilitation de nos carrières », explique Olivier Luneau en faisant référence au partenariat engagé par son groupe avec WWF.

Depuis 2000, le célèbre panda de cette ONG est accolé au logo du cimentier dans le hall du siège. Dans le domaine social, Lafarge lutte contre le sida en Afrique avec Care depuis 2003. Un apport capital pour définir la meilleure politique de prévention. « Nous avons d'abord aidé Lafarge à estimer les conséquences économiques de l'épidémie et le coût d'un programme de prévention, rappelle François Jung-Rozenfarb, directeur des partenariats et du développement chez Care France. Ensuite, nous avons contribué à mener des actions au niveau local à travers des comités de santé et promu la formation de volontaires. » Aujourd'hui, la plupart des filiales africaines du cimentier offrent un accès aux traitements antirétroviraux aux salariés et à leurs familles ; 90 % des salariés ont bénéficié d'une information et de la distribution gratuite de préservatifs.

Avec Sanofi-Aventis, Care lutte depuis 2005 contre le paludisme dans la province de Lagdo, au Cameroun. Ce projet, qui s'inscrit dans le programme « impact malaria » du groupe pharmaceutique, vise à rendre les médicaments accessibles dans les villages reculés et à sensibiliser les populations à la prévention. Sanofi subventionne l'opération à hauteur de 66 000 euros et s'engage à vendre ses médicaments à prix coûtant. « Nous voulons démontrer que l'éradication du paludisme passe par un plan de lutte intégrée, explique Mireille Cayreyre, directrice marketing à Sanofi. L'accès aux médicaments reste insuffisant sans une politique de prévention. » Les deux partenaires ont élaboré une boîte à images destinée à épauler le personnel médical local dans ses actions d'éducation.

Congé maternité au Bangladesh. Si les effets de ces coopérations sur le management sont assez difficiles à évaluer, des résultats tangibles peuvent, en revanche, être observés. « Le partenariat initié en 1997 avec Carrefour par la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme a incité les fournisseurs de l'enseigne au Bangladesh à instaurer un congé de maternité et à rédiger des contrats de travail », indique Antoine Bernard, directeur exécutif de la Fidh. À travers ce partenariat, Carrefour s'est engagé à respecter et à faire respecter par ses fournisseurs les droits fondamentaux des travailleurs.

Depuis 2000, l'association Infans, dont le conseil d'administration est majoritairement composé de membres de la Fidh, a élaboré un système de contrôle de la charte des fournisseurs. Au Bangladesh, elle a aussi contribué avec une association locale à former les cadres et les employés des fournisseurs de Carrefour à la sécurité, à la santé, mais aussi aux négociations collectives. Sous la pression de la Fidh, mais aussi du comité de groupe européen et du collectif De l'éthique sur l'étiquette, le distributeur a également accepté de participer à l'indemnisation des victimes de l'effondrement d'une usine, en avril 2005, au Bangladesh. Cette unité de production, Spectrum, qui fabriquait des vêtements pour Carrefour, s'est écroulée, provoquant la mort de 64 salariés et la mise au chômage de 5 000 autres.

Retour sur investissement. Chez Sanofi-Aventis, Caty Forget, la directrice du mécénat, estime que le partenariat avec Care va amener « différents métiers à se structurer pour rendre les médicaments accessibles et à réfléchir à de nouvelles structures de prix ». Tetra Pak, qui, dans le cadre d'un accord signé en 2005 avec WWF, s'est engagé à réduire ses émissions de CO2 de 10 % d'ici à cinq ans, a investi dans les énergies vertes. « Nous avons acquis 815 certificats verts qui prouvent l'origine renouvelable de l'électricité, correspondant à notre consommation annuelle pour le site de Levallois, témoigne Louise Chapdelaine, responsable de communication. Nous allons aussi équiper notre usine de Dijon de plaques photovoltaïques et contacter des industriels pour améliorer le recyclage de nos composants d'emballages. »

Soucieuses de mesurer le retour sur investissement de ces différents partenariats, les entreprises incitent les ONG à évaluer leurs actions et à rendre leurs comptes plus transparents. Le Fonds pour la promotion des études préalables, études transversales et évaluations (F3E) réalise ainsi des missions d'évaluation à la demande des ONG sur des projets à terme, l'organisation non gouvernementale prenant à sa charge 20 % du coût total, le reste étant pris en charge par le F3E par l'intermédiaire d'un fonds mutualisé entre les ONG membres et les pouvoirs publics.

Mais ces modes de coopération ne sont pas sans risque. Pour les entreprises, d'abord, qui ne sont pas à l'abri des campagnes de dénonciation de ces mêmes ONG. Pour les ONG, ensuite, qui peuvent y perdre leur indépendance et leur crédibilité. D'ailleurs, elles se réservent toujours un droit de retrait dans ce genre de partenariat. Reprochant au papetier Asia Pulp & Paper de ne pas tenir ses promesses de départ en matière de déboisement, WWF a rompu purement et simplement ses relations. En France, Unicef a refusé de relayer une opération avec McDonald's initiée aux États-Unis. « En plein débat sur l'obésité des enfants, nous avons considéré que le risque d'image était trop élevé », résume Jacques Hintzy, président d'Unicef France. La majorité des ONG excluent aussi toute forme de collaboration avec des entreprises œuvrant dans des activités comme la vente d'armes, le tabac, la pornographie. « Avant de nous engager, nous menons toujours une étude de risque/opportunité, explique François Jung-Rozenfarb, de Care. En collaboration avec Utopies, un spécialiste du conseil et de l'audit social, nous passons au crible les enjeux de l'entreprise, son impact social, son historique, etc. »

Un droit mou sociétal. Ce type d'alliance se heurte aussi à des réticences internes. Difficile pour une entreprise de convaincre ses acheteurs, obnubilés par la réduction des coûts, d'adopter des critères de référencement plus éthiques. Périlleux pour une organisation de défense des droits de l'homme de convaincre ses bénévoles de la nécessité de se lier à une entreprise. En France, les syndicats ont d'abord vu d'un mauvais œil cette ingérence, craignant qu'un « droit mou sociétal » ne se substitue au droit social, plus contraignant. « Le risque est réel de voir les entreprises instrumentaliser les ONG au détriment des syndicats », souligne François Fatoux, délégué général de l'Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises (Orse). Mais ONG et syndicats ont fini par se rapprocher. Et aujourd'hui, le Forum citoyen pour la responsabilité sociale des entreprises rassemble aussi bien la CGT, la CFDT, la CGC que Greenpeace, Amnesty international, les Amis de la terre, etc.

Néanmoins, ces partenariats atteignent parfois aussi leurs limites. « Carrefour peut déréférencer un fournisseur irrespectueux de la charte, ça n'empêchera pas ce dernier de travailler pour un distributeur moins exigeant, regrette Antoine Bernard, de la Fidh. En Chine, par exemple, nous ne pouvons guère contraindre un fournisseur pour qui Carrefour représente une infime partie de son chiffre d'affaires à respecter les libertés syndicales. Nous avons d'ailleurs abandonné nos audits car nous refusons de cautionner un système qui a ces limites. » Désormais, la Fédération internationale des droits de l'homme préfère jouer de son influence pour inciter Carrefour à adopter des normes internationales reconnues par le BIT et les Nations Unies.

BRUNO COLOMBANI Responsable de l'éthique sociale à la centrale d'achats de Casino

Pour infléchir le comportement de ses acheteurs, Bruno Colombani a initié en 2003 une coopération avec Amnesty. « Casino s'internationalisant, nous voulions nous prémunir contre d'éventuels risques de violation des droits de l'homme et nous assurer que nos fournisseurs respectent les textes internationaux. » Ancien auditeur social, il planche à présent avec l'ONG sur l'élaboration d'un outil d'audit « droits humains ».

LISA TASSI Responsable de la commission entreprise à Amnesty International France

De son premier job de consultante, elle a gardé l'efficacité. Et le langage : « J'accompagne le changement, j'ai recadré notre mission. » En clair, à son arrivée début 2006 au sein d'Amnesty France, elle a fait le ménage dans les partenariats. Et remis la sensibilisation des groupes au respect des droits humains au centre des priorités. En découle le projet Business Leaders Initiative on Human Rights, un club de partenaires qu'Areva vient de rejoindre. Et l'argent dans tout ça ? Cette bénévole n'en parle pas, mais adore dialoguer avec ceux qui en brassent.

OLIVIER LUNEAU Vice-président senior du développement durable chez Lafarge

Après avoir rejoint la direction financière du cimentier en 1990 et dirigé une filiale au Japon, Olivier Luneau s'est converti à la responsabilité sociale avec sa nomination à son poste en octobre 2005. Pragmatique, il attend des partenariats avec les ONG qu'ils « nous fassent progresser dans notre métier ». Un brin joueur, il se demande laquelle des deux parties prend le plus de risques et note que « si le dialogue n'est pas toujours facile, il est toujours positif ».

FRANÇOIS JUNG-ROZENFARB Responsable du développement des partenariats à Care France

Pur produit de l'associatif, malgré sa formation à l'Institut commercial de Nancy, François Jung-Rozenfarb a appris la langue de l'entreprise à Londres, où il a suivi la Rolls des formations en techniques de partenariat. « Avec des entreprises, des ONG et des institutions publiques, on a travaillé sur des cas d'études concrets pour trouver des consensus. » Une nouvelle culture qui lui a ouvert les portes des multinationales, mais aussi celles de la maison mère à New York.

Les résistances d'ordre culturel restent fortes

Eddy Fougier, professeur à l'école de commerce Audencia de Nantes, spécialiste des mouvements altermondialistes, a été rapporteur d'une synthèse sur les relations entre ONG et entreprises.

Quelles sont les limites de ces partenariats ?

En France, les résistances culturelles demeurent fortes et ceux qui arrivent à les dépasser de part et d'autre sont minoritaires. La question reste de savoir comment les ONG peuvent faire pression à l'intérieur de l'entreprise. Pour préserver leur indépendance financière, plusieurs, comme Amnesty International, la Fidh, restreignent les dons. D'où une asymétrie de moyens qui limite leurs actions. Concrètement, une ONG comme la Fidh n'a pas les moyens de mener des audits sociaux dans le cadre de son partenariat avec Carrefour. Par ailleurs, l'effet domino escompté par les ONG qui s'engagent avec des leaders d'un secteur n'a pas vraiment eu lieu.

Ces partenariats ne sont-ils pas l'aveu d'États défaillants ?

Un État peut difficilement faire pression sur un autre pour l'obliger à respecter un certain nombre de normes, d'autant que cette volonté cache parfois une politique protectionniste. Il suffit de voir les désaccords au sein de l'OMC entre pays riches et pays en voie de développement. Ces partenariats comblent un vide, au moins les investisseurs étrangers exercent-ils une pression positive.

Constituent-ils l'avenir du dialogue social ?

Je ne crois pas. La tendance actuelle des ONG est de se placer sur un plan macroéconomique et de contraindre les firmes à adopter des normes internationales. La montée en puissance des fonds de pension éthiques, la gestion de l'épargne salariale par les syndicats pratiquée dans des pays anglo-saxons s'avèrent plus contraignantes pour les entreprises.

Les Relations ONG-entreprises : bilan et perspectives. Synthèse des réflexions du groupe de travail Ifri-Institut de l'entreprise, avril 2005.

Auteur

  • Sarah Delattre