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Plus pros face aux entreprises

Dossier | publié le : 01.01.2007 | Sylvia Di Pasquale

Commerciaux, financiers ou juristes, tels sont les profils recherchés par les ONG pour parler d'égal à égal avec les entreprises et influer sur leurs comportements. En conciliant éthique et pragmatisme.

Mon job ? Influencer le modèle capitaliste en trouvant des consensus avec les entreprises. Sans affrontement. » Responsable du développement des partenariats de Care France, François Jung-Rozenfarb est emblématique de la nouvelle génération de cadres, commerciaux, financiers, spécialistes du marketing aujourd'hui recrutés par les ONG. Des jeunes gens formés dans les meilleures écoles et parfaitement à l'aise dans les arcanes du monde de l'entreprise. Pragmatiques, ils n'ont pas pour autant renié les fondamentaux qui leur ont fait choisir un secteur dont les salaires sont inférieurs de 30 % à ceux du privé. « Même dans le public, on est mieux payé », sourit un « chercheur de fonds », récemment recruté.

Car ces jeunes cadres sont d'abord là pour récolter des fonds. Des recettes qui proviennent en grande partie des entreprises privées et qui peuvent représenter la quasi-totalité du budget – 94 % pour Médecins du monde. Bien entendu, le recours à la générosité des particuliers n'est pas négligé. Mais, au cours des dix dernières années, les organisations non gouvernementales se sont rendu compte que les entreprises étaient devenues des interlocuteurs incontournables et des bailleurs de fonds autrement plus solvables que les États. Alors, toutes les grandes ONG se sont mises en quête de profils reliant deux mondes apparemment antagonistes : celui de l'humanitaire et celui du profit.

François Jung-Rozenfarb et ses homologues ne vont pas installer un tronc à la sortie des tours de la Défense ou de la City. Ils usent de méthodes quasi industrielles. Ainsi, Marie-Pierre Barre, responsable des relations avec les entreprises de Médecins sans frontières, a mis en place un système de « dons sur salaires », copié sur le modèle des titres-restaurants. Les dons des salariés sont directement prélevés sur leur feuille de paie, de façon régulière ou ponctuellement, selon leurs souhaits. De son côté, l'employeur abonde du même montant. Autre méthode au WWF, où Dominique Royet, la responsable des partenariats, n'a qu'une obsession : faire apparaître le célèbre Panda de l'organisation partout où il peut servir sa cause. Dès lors, le consommateur sait qu'une partie du prix du produit qu'il vient d'acheter sera reversée au World Wildlife Fund.

Donnant-donnant vertueux. Mais elle va plus loin, en contribuant à modifier le mode de production de certains articles de grande consommation. « Carrefour a cessé d'utiliser le teck, qui servait depuis des années à la fabrication des salons de jardin, et Pimkie vient d'adopter le coton écolo pour une collection de tee-shirts. » Les hypermarchés et leurs clients ne ravagent plus les forêts tropicales et le Panda se retrouve même en grand sur les tee-shirts du spécialiste du prêt-à-porter. « Ça représente quand même 200 000 pièces vendues par an, ça devrait faire boule de neige chez les autres, et il y aura un impact direct sur l'environnement. »

Cet échange de bons procédés est également le principe qu'Aurélie Boujon, chargée des partenariats privés chez Unis-Cité, applique avec les DRH, dircoms ou directeurs du développement durable qu'elle rencontre : « Nous poursuivons chacun un intérêt légitime. L'entreprise améliore son image, fédère ses salariés autour d'une bonne cause. Et nous permettons à des jeunes entre 18 et 25 ans de faire leur service civil en étant épaulés par eux. C'est un donnant-donnant vertueux. »

« Avant de s'engager dans un partenariat, on fait une étude préliminaire, explique François Jung-Rozenfarb. Car on ne veut travailler qu'avec les premiers de la classe ou, du moins, avec ceux que l'on peut faire évoluer. » Faute de temps, il commence à faire appel à un cabinet extérieur, spécialisé dans le conseil en développement durable. Dispositif similaire chez WWF : « En interne, nous nous appuyons sur une vingtaine de scientifiques capables d'évaluer les partenaires, souligne Dominique Royet, directrice des relations avec les entreprises de WWF France. Par exemple, la chargée de mission ‘forêt' est une jeune ingénieure de l'Engref [École nationale du génie rural des eaux et des forêts] qui a travaillé en Indonésie. Elle est intervenue pour Carrefour. »

Amnesty, conseil en éthique. Certains responsables d'ONG chargés des relations avec les entreprises vont jusqu'à coiffer la casquette de conseils en éthique ou en responsabilité sociale de l'entreprise. Un rôle qu'a même endossé la pure et dure Amnesty International, dans les statuts de laquelle figure le boycott des entreprises irrespectueuses des droits de l'homme. Ainsi, lorsque le groupe de distribution Casino a décidé de se doter d'une charte éthique, il n'a pas hésité à solliciter Lisa Tassi, responsable de la commission entreprise de l'association. Et celle-ci a accepté. « Casino nous a demandé de l'aider à rédiger sa charte, à former les acheteurs au commerce équitable et à sensibiliser le personnel sur les conditions sociales de fabrication des produits Casino. » Reste que le groupe de distribution est, à ce jour, la seule entreprise partenaire d'Amnesty France.

Confrontation directe. L'étude approfondie des pratiques d'une entreprise par les 14 personnes du service dirigé par Lisa Tassi peut parfois aboutir à une confrontation directe. L'ONG entretient actuellement des relations tendues avec le groupe Axa, accusé d'investir dans des entreprises fabriquant des armes, et notamment des mines antipersonnel. « Par confrontation, j'entends avant tout le dialogue, souligne la responsable de la commission entreprise. Notre but est de convaincre les entreprises de changer leur comportement. »

Quitte, en dernier ressort, à appeler au boycott. Bien sûr, la fonction de Lisa Tassi réclame une certaine souplesse d'esprit lorsqu'il s'agit de passer de la politique de la main tendue à la pression sur l'entreprise. Sa formation en psychologie lui est alors d'un précieux secours. « J'adhère à l'école de l'approche systémique, je tiens compte de la complexité d'un système dans son intégralité », souligne-t-elle.

Ce profil n'est cependant pas le plus répandu chez les nouveaux cadres des ONG. L'école de commerce est plus tendance dans ces organisations, qui apprécient les expériences dans le privé. Dominique Royet, en poste au WWF depuis sept ans, était auparavant chargée des produits sous licence chez Disney Consumer Products. « Dans mon équipe, j'ai six jeunes qui viennent tous du monde de l'entreprise. Tous excellent dans l'art de la communication. » La solidité de la formation initiale est d'autant plus importante que la formation continue n'est pas le point fort des ONG. Les premières formations destinées aux professionnels ou aux bénévoles sont apparues récemment, avec en première ligne l'Association pour le développement du management associatif (Adema), créée à l'École des mines par Pierre Birambeau, qui joue le rôle à la fois de professeur et de consultant. « On leur parle retour sur investissement, présentation de projets, stratégie, comptabilité et fiscalité », explique ce dernier. L'une des formules conduit même au bilan d'aptitude délivré par les grandes écoles (Badge).

Toutefois, si l'Hexagone possède une réputation internationale en matière d'humanitaire d'urgence, ses ONG, et le secteur associatif d'une façon générale, ne brillent guère par l'étendue de leurs relations avec les entreprises. Une grande association comme la Ligue contre le cancer ne dispose d'aucun permanent dans ce domaine. D'autres pays sont plus en avance et, du coup, se sont dotés de formations ad hoc. François Jung-Rozenfarb a passé outre-Manche un diplôme de partnership broker (courtier en partenariat), le must du genre. De retour en France, il vient d'ailleurs de se voir proposer la création de la direction du partenariat avec les entreprises au siège de Care à New York. Universellement connue pour ses french doctors, la France ne possède pas encore ses french partnerships brokers.

DOMINIQUE ROYET Directrice des relations avec les entreprises de WWF France
Une transfuge de Coca et de Disney

Son média, ce sont les produits alignés dans les linéaires des hypers. « Nos messages passent par les entreprises qui les fabriquent ou les vendent. » Carrefour, Champion, Castorama, Pimkie sont de celles-là. En échange de l'utilisation de son logo, le fameux Panda, elle leur demande un triple engagement : le financement de programmes, évidemment, mais aussi l'amélioration de leurs pratiques en matière d'environnement et la communication auprès de leurs personnels et clients. Après sept années passées au WWF, elle suscite encore le rejet de certains de ses confrères. Sans doute à cause de ses pratiques, encore atypiques, et de son parcours. Commerciale chez Coca, elle est devenue spécialiste des produits sous licence Disney Consumer Products avant d'entrer au WWF.

FLORIANT COVELLI Responsable du réseau des délégués régionaux à la Fondation de France
Un jeune auditeur passé de l'autre côté

Il n'a jamais perdu de vue son objectif premier : « Transférer mes compétences de l'entreprise vers l'associatif, même quand je faisais de l'audit pur et dur. » Et, après deux ans chez Arthur Andersen comme spécialiste du financement des structures parapubliques, il est passé de l'autre côté du miroir, à la Fondation de France. C'est là qu'après avoir été un homme de « terrain » il est devenu coordinateur des sept délégations régionales. Sa mission : aider les 23 salariés et les 210 bénévoles en région à démarcher les entreprises. Un job qui ne coule pas forcément de source pour un ex-Sup de co Rouen. « Sauf que j'avais choisi l'option management des organisations à but non lucratif. »

AURÉLIE BOUJON Responsable des partenariats privés chez Unis-Cité
Un moyen de mettre en pratique un idéal

Rien ne la destinait à intégrer le secteur associatif. Jusqu'à son passage dans cette institution financière où elle effectue un stage, après un diplôme de Sciences po et un DESS d'urbanisme. Là, Aurélie Boujon côtoie les associations de quartier. Elle touche au concret et à ce qu'elle souhaite faire : « décloisonner les mentalités, sortir les gens de leur ghetto ». Elle a trouvé les moyens de mettre cet idéal en pratique chez Unis-Cité. L'association permet à des jeunes d'effectuer un « service civil » auprès d'organismes humanitaires et sociaux. Elle est embauchée en 2004 et, après deux années passées à la direction Ile-de-France de l'association, elle reprend, en septembre 2006, le développement des partenariats. Sur les traces de son prédécesseur, elle s'adresse aux entreprises. Et ça marche. Nokia, Timberland, Vinci et beaucoup d'autres libèrent ponctuellement leurs employés pour qu'ils donnent un coup de main aux associations aux côtés des jeunes volontaires.

Auteur

  • Sylvia Di Pasquale