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Vie des entreprises

L. 122-12, encore et encore

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.12.2006 | Jean-Emmanuel Ray

Pas question pour l'employeur de frauder avec le droit du licenciement économique, en jouant du L. 122-12 pour se séparer de certaines activités et des salariés qui y sont rattachés. La chambre sociale veille : le transfert doit concerner « une entité économique autonome ». En revanche, si les conditions sont réunies, le refus individuel du salarié vaut démission.

Les salariés ne sont pas à vendre : en finir avec l'envers de l'article L. 122-12 », écrivait Alain Supiot (Droit social, mars 2006). En droit du mariage, le changement de contractant constitue par exemple une modification essentielle. Et, comme l'a rappelé la Cour de cassation le 9 novembre 2005, en cas de transfert conventionnel, le salarié a le droit de le refuser.

La loi du 19 juillet 1928 s'est longtemps appliquée à des ouvriers et des employés : si le transfert automatique de leur contrat protégeait leur emploi (du moins au jour de la cession), l'acquéreur pouvait aussi poursuivre la production dès le lendemain de la reprise. S'agissant aujourd'hui des très volatils travailleurs du savoir, la transmission impérative des contrats est vitale pour le nouvel employeur : ce ne sont pas, en effet, les bureaux et les 134 IMac qui constituent son véritable capital, mais la somme des neurones de ses meilleurs collaborateurs attachés à l'entreprise et qui ne peuvent profiter en France du transfert pour se faire licencier.

Car, dans les désormais très très divers États membres de l'Union européenne, l'application des trois directives successives révèle une grande diversité de situations (cf. l'Allemagne et le droit tout relatif du salarié de refuser son transfert) mais aussi d'appréhension patronale. Car tout dépend, in fine, du régime du licenciement économique, souvent mis en oeuvre après la cession. Alors que notre article « one-two-two » effraie les investisseurs américains, son équivalent britannique résultant de la directive du 12 mars 2001 « relative au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises ou d'établissements » n'a pas du tout le même effet : le droit du licenciement économique britannique étant nettement moins contraignant, le repreneur voyant l'avenir avec moins de craintes reprend plus facilement.

Écartons de notre champ l'Himalaya juridique du statut collectif. Si la chambre sociale de la Cour de cassation admet que le nouvel employeur est tenu d'appliquer les usages et engagements unilatéraux pris par l'ancien (mais « uniquement à l'égard des salariés dont le contrat était en cours au jour du transfert », Cass. soc., 7 décembre 2005), en application de l'article L. 132-8, seuls les effets de la convention collective d'entreprise sont momentanément maintenus. Bref, l'improvisation n'est guère conseillée et il faut se reporter aux meilleurs ouvrages (cf. Aurélie Cormier Le Goff et Emmanuel Bénard : Restructurations et Droit du travail, éditions Liaisons, 2e édition, juin 2006).

Écartons également le cas du représentant du personnel : si transfert partiel d'entreprise il y a, le sien doit faire l'objet d'une autorisation de l'inspecteur du travail, dont le contrôle se limite alors à une éventuelle discrimination. Et, si l'inspecteur du travail refuse, l'employeur ne peut à l'évidence « laisser le délégué isolé dans un bureau, sans outil de travail ni tâche à exécuter ; ce maintien délibéré du salarié en état d'inactivité s'analyse en une modification non acceptée de ses conditions de travail qui équivaut à un licenciement irrégulier caractérisant le délit d'entrave » (Cass. crim., 22 novembre 2005).

1° VENTE PAR APPARTEMENTS ET L. 122-12 À L'ENVERS

Le transfert discret car impératif de tous les contrats de travail à un autre employeur a évidemment fini par attirer l'attention de sociétés cherchant à réduire leurs effectifs sans passer par le très exigeant et surtout « procès-dural » droit français du licenciement économique. Évitement évitant aux grandes firmes d'attirer l'attention des médias, mais aussi de l'expert du comité d'entreprise dont l'assistance n'est pas ici prévue (Cass. soc., 14 mars 2006).

Mais, comme l'a rappelé l'arrêt Perrier-Vittel France du 18 juillet 2000, toute vente par appartements n'est pas soumise à l'article L. 122-12 : encore faut-il qu'il y ait transfert d'une « entité économique autonome, constituée d'un ensemble de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité qui poursuit un objectif propre et dont l'identité est maintenue ». Et, pour déjouer d'éventuelles fraudes, le premier arrêt du 10 octobre 2006 rappelle que « l'existence d'une entité économique autonome, dont il appartient au juge du fond de rechercher les éléments, est indépendante des règles d'organisation et de gestion du service au sein duquel s'exerce l'activité économique ».

Or un transfert hors L. 122-12 « constitue une modification du contrat qui ne peut intervenir sans l'accord exprès du salarié, lequel ne peut résulter de la seule poursuite du travail ». En l'espèce, les salariés de Kodak avaient tout de même travaillé dix-huit mois chez le repreneur avant de saisir le conseil de prud'hommes pour obtenir leur réintégration chez leur employeur d'origine : peu importe (2° arrêt, Cass. soc., 10 octobre 2006).

Double peine qui se veut dissuasive dans l'affaire jugée le 26 juin 2006. Après avoir divisé son établissement en deux unités, le chef d'entreprise cède l'une d'entre elles et ses 36 salariés : « En l'absence de réelle spécificité du département cédé dans ses activités et dans son personnel, il ne constituait pas une entité économique autonome. » Cette inapplication rétroactive de l'article L. 122-12 nécessite généralement l'embauche immédiate de deux ou trois excellents juristes en droit social et une provision de plusieurs millions d'euros.

Plus novateur mais réaliste : « Par le transfert litigieux, la société avait éludé les droits et garanties dont les salariés auraient bénéficié en cas de licenciement pour motif économique ; la cour d'appel a ainsi caractérisé la faute commise au regard d'une exécution loyale des contrats de travail dont elle a réparé les conséquences préjudiciables, distinctes de celles des ruptures. » En application des principes généraux de la responsabilité civile contractuelle, les salariés ont donc obtenu des dommages et intérêts distincts de ceux liés au licenciement… dissuasif.

2° REFUS DU TRANSFERT = DÉMISSION ?

À la suite des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes indiquant que la directive ne signifiait pas forcément transfert forcé du contrat de travail, certains avaient cru deviner une évolution de la chambre sociale vers une option offerte au salarié. Mais cette dernière a rappelé le 14 décembre 2004 que, sur le principe même du transfert, le salarié français n'a aucun choix : « Le changement d'employeur résultant de plein droit du transfert d'une entité économique autonome s'impose tant aux employeurs successifs qu'aux salariés concernés. »

Mais, en cas de licenciement prononcé à l'occasion du transfert, le salarié garde le choix des armes : « Le licenciement étant privé d'effet, le salarié a le choix de demander au nouvel employeur soit la poursuite du contrat de travail, qui est alors censé n'avoir jamais été rompu, soit la réparation du préjudice qui découle de la rupture par l'auteur du licenciement » (Cass. soc., 15 février 2006). Mais si le salarié refuse de travailler pour le cessionnaire ? L'arrêt du 6 avril 2006 a accepté le licenciement pour faute grave de trois salariés ayant refusé, malgré plusieurs mises en demeure, de se rendre à des entretiens destinés à fixer les nouvelles conditions de leur travail.

La société Cepa succède en juillet 2001 à la Sagim pour la gestion du port de commerce de Sète : mécontents de ce transfert, des salariés font pendant plusieurs mois obstruction physique à la reprise de l'exploitation, refusant même d'exécuter une ordonnance de justice. Sans doute un peu étonnée que ces contestataires viennent ensuite lui demander la poursuite de leur contrat de travail avec l'épouvantable repreneur, la cour de Montpellier avait estimé que, « par leur opposition volontaire à la prise de possession par la société cessionnaire, les salariés ont manifesté leur refus de transfert du contrat qui s'imposait à eux, ne se plaçant pas sous un lien de subordination avec le nouvel employeur. Ayant agi de la sorte, à leurs risques et périls, ils ne bénéficiaient plus des dispositions de L. 122-12 ». Bref, et malgré ces circonvolutions qui s'avéreront justifiées, ils devaient être considérés comme démissionnaires.

Constat que ne pouvait approuver la chambre sociale de la Cour de cassation, fort attachée à la manifestation sérieuse et sans équivoque de volonté du démissionnaire perdant indemnités de rupture et tout droit à indemnisation des Assedic : « S'ils révèlent l'existence d'une opposition collective de salariés au remplacement d'un concessionnaire de l'exploitation d'un service public par un autre, ces motifs sont impropres à caractériser le refus individuel de chaque salarié de la poursuite de son contrat de travail avec le nouvel employeur lors du transfert effectif de l'entité économique, lequel refus, s'il est établi, produit les effets d'une démission » (Cass. soc., 10 octobre 2006). Bref, un refus collectif de passer au service du repreneur ne constitue pas une somme de démissions individuelles.

Mais la chambre sociale en profite pour rappeler qu'un refus prouvé « produirait les effets d'une démission » : ce qui n'est pas sans rappeler sa formule en matière de prise d'acte depuis les arrêts de juin 2003. Solution sans doute sévère pour le salarié se retrouvant ipso facto au chômage non indemnisé. Mais la seule à permettre à l'article L. 122-12 de s'appliquer : car, dans la pratique, on voit mal comment obliger le repreneur à convoquer à un entretien préalable au licenciement pour faute grave une personne qu'il n'a jamais vue et qui, surtout, refuse par principe de devenir son salarié.

Faisons un cauchemar. La chambre sociale, qui change ce mois-ci de président et de rapporteur spécialisé sur l'article L. 122-12 avec le départ d'Yves Chagny, revire, affirmant désormais qu'un changement d'employeur ne peut être imposé au salarié : la rétroactivité de ce revirement poserait quelques petits problèmes. Mais, plus à propos de l'article L. 122-12 : c'est en effet l'article L. 1224-1 qui devrait lui succéder dans le futur Code. L. 122-12 disparaît : o tempora, o mores !

FLASH
Et L. 122-12 dans l'entreprise en difficulté ?

« Lorsque le juge commissaire autorise, en l'absence de plan de continuation de l'entreprise, la vente de biens non compris dans le plan de cession et correspondant à un ensemble d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité qui poursuit un objectif propre, cette cession emporte de plein droit le transfert des contrats de travail des salariés affectés à cette entité économique autonome. Il en résulte que les licenciements du personnel affecté à cette entité prononcés par l'administrateur sont sans effet, peu important qu'ils aient été autorisés antérieurement par le jugement arrêtant le plan de cession partielle de l'entreprise. » L'arrêt du 24 octobre 2006 rappelle aux repreneurs que, même si leur offre de reprise partielle, limitée à un certain nombre de contrats de travail, a été approuvée par le tribunal de commerce qui a autorisé le licenciement des autres, les salariés non repris peuvent toujours invoquer L. 122-12 si le transfert porte sur une entité économique autonome. Et ce même après la loi du 26 juillet 2005 sur la sauvegarde des entreprises (C. comm., art. L. 631-19 nouveau).

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray