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Vie des entreprises

Pierre Kosciusko-Morizet perpétue l'esprit start-up de PriceMinister

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.11.2006 | Anne-Cécile Geoffroy

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Le nombre de salariés a été multiplié par trois au cours des deux dernières années.

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Organiser les RH, harmoniser les salaires, bâtir le dialogue social : après avoir hissé PriceMinister au second rang des sites de vente entre particuliers, ce tout jeune entrepreneur souhaite dorénavant consolider la start-up sans lui faire perdre son âme.

Un P-DG jeune, charismatique, visionnaire et chanteur à ses heures. Pierre Kosciusko-Morizet (PKM pour les initiés), 29 ans, fan de Léo Ferré, est devenu ces derniers mois la coqueluche des médias, des entrepreneurs et des financiers. Normal. Avec le site de vente entre particuliers PriceMinister, créé en 2001, la France tient là une success story. Car ce grand jeune homme modeste, à l'élégance décontractée, diplômé d'HEC, a tout simplement eu le culot, avec son alter ego Pierre Krings (le DG), de créer cette place de marché virtuelle au moment de l'éclatement de la bulle Internet. Cinq ans après, la réussite est indéniable. PriceMinister s'est hissé à la deuxième place des sites de commerce C to C en France. Avec près de 18 millions de visiteurs uniques cette année, il arrive derrière son concurrent, l'américain EBay.

Les internautes, les Pricemembers dans le jargon de la Priceteam, se sont appropriés le site, à l'origine de nombreux… mariages. Et, pour parfaire le tableau, l'entreprise n'arrête pas de créer des emplois. De 45 salariés fin 2004, elle est passée aujourd'hui à 125 collaborateurs. Si PKM a jusqu'ici géré la croissance de son entreprise au feeling, le jeune manager commence à structurer les ressources humaines pour fidéliser ses collaborateurs et surtout les motiver. D'ici à deux ans, PriceMinister devra être fin prêt à s'introduire en Bourse. Un grand saut qui pourrait faire perdre son âme à l'entreprise, redoutent les salariés. À PKM de les convaincre.

1 Sauvegarder la culture start-up.

Niché sous les toits d'une ancienne usine de montgolfières parisienne, le bureau de Pierre Kosciusko-Morizet domine l'ensemble des bureaux vitrés de PriceMinister. « Auparavant nous étions tous en open space, explique-t-il. Quand nous avons déménagé, je me suis demandé s'il fallait que je m'installe dans ce bureau. Finalement, ce sont mes collaborateurs qui ont décidé pour moi. » Une anecdote qui en dit long sur le style de cet entrepreneur. PKM entend rester à l'écoute de ses salariés pour conserver la convivialité des débuts. « L'entreprise a beaucoup recruté durant l'été 2005. À mon retour de vacances, ça a été un choc. Il y avait plein de têtes nouvelles », se souvient-il.

Pour garder le contact, le patron de PME pratique le teambuilding depuis toujours. « Au début, nous allions passer un week-end dans ma maison familiale en Normandie. Maintenant, c'est impossible, mais nous continuons à organiser ces journées ailleurs deux fois par an. C'est devenu nécessaire pour transmettre la culture d'entreprise. » Au programme, char à voile, pêche aux crabes dans la baie de Somme et soirée au Cointreau flambé. « Je ne pensais pas que l'on pouvait entretenir des relations amicales avec ses collègues, s'étonne Charles Decaux, 26 ans, responsable des partenariats au marketing. Ma première expérience professionnelle, c'était au Crédit lyonnais. Et l'ambiance n'avait rien de festive. Ici, j'ai parfois la sensation de retrouver l'atmosphère des fêtes du bureau des étudiants de Dauphine. »

Réminiscence du funky management de la nouvelle économie façon 2000, la déco et la personnalisation de l'espace de travail confinent au cocooning. Dans l'enceinte de l'ancienne usine, on trouve en vrac du faux gazon, des tables de jardin en bois, une grande cuisine et, dans les bureaux, des minicactus en pot, un poisson rouge, Zeus, dans son bocal et des boutures de gypsophiles.

Mais la convivialité n'assure pas à elle seule la bonne circulation des informations. Pour éviter qu'un cloisonnement ne s'installe entre les équipes, les managers multiplient les rencontres. « J'ai demandé que chaque nouvel embauché, du service technique, commercial ou marketing, passe une demi-journée au SAV pour comprendre comment fonctionne le site », assure Steven Harel, responsable du service clients. C'est aussi pour préserver l'ambiance de travail que Pierre Kosciusko-Morizet a choisi de ne pas délocaliser d'équipe en Espagne à l'occasion de l'ouverture du site sur ce nouveau marché, le mois dernier : « On y aurait gagné sur les salaires, plus faibles en Espagne, mais on aurait beaucoup perdu en termes d'ambiance et de transfert des connaissances. »

2 Professionnaliser les RH.

À quoi voit-on qu'une start-up n'en est plus une ? À ses méthodes de recrutement. Fini le temps où PKM et Pierre Krings recrutaient dans la cuisine, sur un coin de table. Jusqu'à il y a un an et demi, les deux dirigeants s'occupaient de tout. De la rédaction du contrat de travail à l'envoi du courrier. Pour passer à la vitesse supérieure, le jeune dirigeant a embauché un directeur administratif et financier il y a un an et demi. « Depuis, j'ai recruté un juriste et un comptable. En début d'année, un contrôleur de gestion doit nous rejoindre », énumère Philippe Favrot, le nouveau directeur administratif et financier. Sous sa houlette, PriceMinister s'est doté de process comptables et financiers dignes de ce nom. « Nous avons aussi mis en place un traitement administratif des recrutements et rationalisé la gestion des congés payés, des absences, de la paie », ajoute-t-il. Un embryon de service RH mais toujours pas de DRH en vue. Car le P-DG de PriceMinister et son équipe tiennent à laisser le management intermédiaire responsable des équipes. Et notamment de leur recrutement (voir interview page 46). Une base de connaissances a été mise en place pour partager les expériences sur les meilleurs job boards, mais chacun se débrouille par ses propres moyens.

« J'ai appris à la dure, raconte Jérôme Viviès, responsable du service paramétrage, chargé de la configuration d'éléments des pages Web (bandeaux de pub, navigation, etc.) et de la gestion technique du catalogue (produits et annonces). J'ai commencé par écrire une annonce idéale, j'ai ensuite testé les sites d'emploi les plus efficaces. Et j'ai fini par rédiger des fiches de poste pour bien cibler les profils. » Au back-office, les techniques de recrutement sont moins orthodoxes. « Je passe des annonces via le site de PriceMinister et je recrute souvent mes collaborateurs parmi les Pricemembers, note Steven Harel. Au SAV, nous avons besoin de gens rigoureux, avec une orthographe impeccable pour répondre par mail aux questions des Pricemembers. Nous avons mis au point des mini tests pour vérifier ces compétences. »

Finalement, les profils des salariés sont très variés. Autodidactes, ingénieurs ou jeunes commerciaux recrutés en contrat de professionnalisation, PriceMinister fait feu de tout bois. « J'aimerais qu'on structure différemment le recrutement. C'est intéressant de construire son équipe mais c'est aussi chronophage », souligne Jérôme Viviès. Pour professionnaliser ses équipes, PriceMinister commence également à s'appuyer sur la formation. L'entreprise y consacre entre 1 et 1,5 % de sa masse salariale. « Mais jusque-là nous versions la contribution de 0,6 % à fonds perdu, pointe Philippe Favrot. Cette année, nous préparons un plan de formation en bonne et due forme pour renforcer la formation des managers à la gestion d'équipes. » Autre chantier à mettre en place, celui de l'évaluation annuelle. « Toutes les équipes ne la pratiquent pas encore. Au service commercial et dans certaines équipes techniques, cette évaluation existe. Nous allons la généraliser. »

3 Harmoniser les rémunérations.

Difficile de parler d'argent chez PriceMinister. Le sujet est tabou. Pourtant, les équipes sont jeunes. La moyenne d'âge ne dépasse pas 30 ans. « Nous sommes dans les prix du marché, consent à lâcher Pierre Kosciusko-Morizet qui, lui, ne cache pas son salaire, 100 000 euros annuels. Au début, le niveau des rémunérations était plus faible. Mais le marché de l'emploi est tendu, surtout pour les profils techniques. Nous ne pouvons plus nous permettre d'être radins. Dans le même temps nous faisons attention à ne pas surpayer nos collaborateurs. » Une politique salariale qui semble pour le moment satisfaire des salariés avares de critiques. « Nous n'avons pas de treizième mois, mais nous sommes libres de travailler comme on l'entend. Et cette liberté n'a pas de prix », affirme Xavier Barosa, 25 ans, membre du service paramétrage. « Je pourrai toujours revendre le fait d'avoir côtoyé l'équipe dirigeante, ajoute Charles, au marketing. J'apprends énormément, mon poste s'enrichit. Je peux donc faire des concessions sur ma rémunération. »

En attendant de gonfler les salaires, PKM tient surtout à les harmoniser au sein de chaque service. Une nécessité car la direction ne prévoit pas d'augmenter les salaires cette année mais compte sur le plan de bons de souscription de parts de créateur d'entreprise – sorte de stock-options maison – tout juste lancé afin d'éviter que la motivation de ses troupes ne s'émousse. L'objectif ? Distribuer les fruits du capital aux salariés et leur permettre dans le meilleur des cas, au moment où PriceMinister entrera en Bourse, de toucher jusqu'à trois ans de salaire. « Certains salariés ont accueilli l'idée avec enthousiasme, d'autres se sont montrés plus neutres », explique Pierre Kosciusko-Morizet. Du coup, celui-ci n'a pas ménagé son temps pour expliquer et convaincre ses troupes. « PKM est passé dans chaque équipe pour répondre à nos questions, raconte Stéphanie Vignali, chef de produit. On est tous derrière lui dans cette aventure, même si une entrée en Bourse nous inquiète un peu. » Plus prudent et « moins joueur », Jérôme Viviès tempère : « Auparavant je travaillais chez Amazon où j'avais des stock-options. À la suite d'un plan de licenciements, je n'ai jamais profité du système. »

4 Construire le dialogue social.

Vrai désert syndical depuis sa création, l'entreprise a enfin organisé en juin un scrutin pour élire les délégués du personnel et mettre en place un comité d'entreprise. « Nous n'étions pas nombreux à nous présenter, note Jérôme Viviès, le secrétaire du CE. Pour les quatre sièges du collège cadres, nous étions quatre candidats, sans étiquette. Et ils étaient deux pour le collège employés. » Malgré leur peu d'implication, les salariés attendent beaucoup de ce CE. « En dehors des titres-restaurants et du remboursement de la carte orange, nous n'avons pas d'avantages particuliers », indique Charles Decaux. « Nous en avions vraiment besoin pour faire passer des messages auprès de la direction, notamment sur certains avantages liés à notre convention collective », avance Stéphanie Vignali. « Avec plusieurs élus du personnel on peut bâtir l'entreprise idéale », s'enflamme Xavier Barosa.

Pour commencer, les membres du CE ont ouvert un compte en banque solidaire dont les intérêts seront reversés à une association et ont lancé une grande consultation auprès du personnel pour mesurer ses attentes. « Essentiellement des avantages individuels comme des places de cinéma, annonce Jérôme Viviès, le secrétaire. Mais le CE doit aussi être porteur de cohésion pour remédier au manque de proximité qui s'installe petit à petit entre les salariés et la direction. » Un écueil que devra éviter PKM si PriceMinister continue sa course à la croissance.

Repères

Créé en 2001, PriceMinister se bat déjà dans la cour des grands. Selon le dernier baromètre Médiamétrie-NetRatings, la place de marché se tient à la 7e position du Top 15 des sites d'e-commerce français derrière EBay, Voyages-sncf, Cdiscount ou encore Fnac. Le chiffre d'affaires est secret. Tout juste sait-on qu'il a doublé cette année. Quant aux effectifs, leur croissance devrait être de 10 % par an pour accompagner le développement de l'entreprise à l'étranger.

2001

PriceMinister arrive sur la Toile.

2005

Les effectifs passent de 45 à 105 salariés.

2006

PriceMinister s'attaque au marché espagnol.

Le nombre de salariés a été multiplié par trois au cours des deux dernières années.Effectifs au 31 décembre de chaque année.
ENTRETIEN AVEC PIERRE KOSCIUSKO-MORIZET, P-DG DE PRICEMINISTER
“Avec le Loto, les stock-options sont le seul moyen pour les salariés de s'enrichir”

Comment gérez-vous la forte croissance des effectifs de PriceMinister sans même avoir un DRH ?

Nous avons un DAF, ce qui n'est déjà pas si mal ! Il y a encore un an, nous n'avions aucun service administratif et c'est mon DG et moi qui signions les chèques, collions les enveloppes. Nous ne comptons pas recruter de DRH pour le moment. Cela déresponsabiliserait le middle management. Aujourd'hui chaque chef d'équipe est son propre DRH. Cela l'oblige à se poser les questions sérieusement : mon équipe est-elle motivée, est-ce que je lui donne les bonnes informations, la politique salariale est-elle adaptée… ?

Pourquoi ouvrir un plan de bons de souscription de parts de créateur d'entreprise (BCE), un système de stock-options accessible à tous les salariés ?

À titre personnel, je vais gagner beaucoup d'argent avec PriceMinister. Si je m'enrichissais seul, je ne serais pas très fier de moi. Cette opération me permet d'associer les salariés au succès capitalistique de l'entreprise et à son entrée en Bourse. C'est positif à la fois pour la société car les équipes travaillent mieux, et pour les salariés car ils vont en profiter financièrement (ces BCE sont émis à titre gratuit). Au pire, ils ne gagneront pas d'argent au moment de la revente. Dans tous les cas, ils n'auront pas pris de risque. Nous évoluons par ailleurs sur un marché de l'emploi tendu. Notre enjeu est de fidéliser nos troupes. Les BCE sont aussi là pour ça.

Le gouvernement a décidé de légiférer sur les stock-options après les affaires Forgeard ou Zacharias… Faut-il encadrer ce mode de rémunération ?

Je trouve normal qu'un patron gagne beaucoup d'argent avec les stock-options. Ce qui l'est moins, ce sont les ordres de grandeur absurdes qui donnent une très mauvaise image du système. Il faut augmenter les moyens de contrôle des actionnaires sur la manière dont les patrons se les attribuent. Mais de là à les supprimer… On oppose trop le salariat à l'actionnariat. Les stock-options sont un outil fabuleux. Avec le Loto, c'est le seul moyen dont disposent les salariés pour s'enrichir. Les syndicats les dénigrent et déresponsabilisent les salariés. Seriner que les stock-options sont nuisibles, qu'il est plus important d'obtenir des augmentations salariales, que le but est de travailler le moins possible, que les avantages acquis sont essentiels… est un discours sclérosant.

Les efforts du gouvernement sont-ils suffisants pour doper la création d'entreprise ?

Il faut mieux accompagner le passage du statut de petite entreprise à celui de leader. C'est une étape qui se fait mal en France. Il existe des mesures pour alléger la fiscalité de jeunes entreprises, les inciter à recruter, mais le gouvernement peut faire dix fois plus. Par exemple en aidant celles qui font de la recherche ou qui innovent technologiquement. À plus long terme, il faut aussi travailler sur la mentalité des Français vis-à-vis de l'entreprise. C'est un point dont les gouvernements successifs s'occupent peu.

Qu'entendez-vous par changer les mentalités ?

Je pense au rôle de l'Éducation nationale qui a une relation curieuse à l'entreprise. Les manuels d'économie des lycéens ne donnent pas envie de travailler dans le privé. On y parle de licenciements mais jamais d'embauches. J'appartiens à un club de dirigeants qui souhaiteraient aller à la rencontre des jeunes des universités, des lycées et des collèges pour leur expliquer le fonctionnement de l'entreprise. Dès les premières approches, on a senti la méfiance des personnels d'éducation sur le thème « que va-t-il essayer de me vendre ? ». Mais, cette année, on devrait réussir à échanger.

Est-il si difficile de réformer en France ?

La résistance au changement existe dans beaucoup de pays mais, en France, elle est particulièrement forte. Le CPE, qui était finalement une petite réforme, en est la preuve. Les politiques sont mauvais pour faire passer des réformes, et les Français et les syndicats s'y opposent systématiquement. Notre pays mérite mieux. À force de dire non à tout, les syndicats creusent leur tombe alors qu'ils devraient être là pour faire en sorte que le progrès soit partagé par tous.

Propos recueillis par Anne-Cécile Geoffroy et Sandrine Foulon

PIERRE KOSCIUSKO-MORIZET

29 ans.

1999

Diplômé d'HEC, il crée une éphémère société de conseil en distribution. Puis part aux États-Unis et travaille chez Capital One (analyse financière) où il rencontre l'actuel DG de PriceMinister.

2000

Retour en France, création de PriceMinister.

2001

Lancement du site sur le Net.

2006

Ouverture du site espagnol.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy