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Vie des entreprises

Le roman noir des patrons séquestrés

Vie des entreprises | zoom | publié le : 01.11.2006 | Frédéric Rey

Gestes spontanés plutôt que prémédités, les séquestrations de dirigeants ont toujours cours. Quatre récits de confrontations musclées par ceux qui en ont été victimes.

Libéré par les CRS

Le vendredi de décembre 2005, Benoît a regretté de ne pas avoir emporté de pyjama. En visite dans un site en redressement judiciaire, ce dirigeant d'un groupe industriel s'attendait à rencontrer un climat très lourd, mais pas à se retrouver séquestré. Depuis des semaines, les discussions avec les représentants du personnel achoppaient sur le montant des indemnités de licenciement. « Les gars avaient demandé à me voir pour en reparler, j'ai accepté. » Constatant l'impasse, les élus quittent la table et appellent les autres salariés à une assemblée générale dans une atmosphère électrique.

« J'étais resté dans la salle de réunion, explique-t-il, lorsque j'ai vu entrer un salarié avec un lit de camp sous le bras, puis un autre portant un plateau-repas. » L'opération est rondement menée. Les renseignements généraux sont prévenus par les élus du personnel ainsi que le médecin du travail. Benoît a droit à une brosse à dents. Et peut téléphoner. « Vers 20 heures, j'ai eu le préfet en ligne qui m'a demandé si je ne les avais pas un peu provoqués en me laissant entendre qu'il ne pouvait rien faire. » S'échapper ? « Une fuite aurait été pire. J'ai pris mon mal en patience. »

Vers 2 heures du matin, Benoît est tiré de son sommeil par l'irruption d'une escouade de CRS. Il est alors affublé d'un casque et habillé d'un blouson qui le confondent avec les policiers, direction le commissariat puis la gare, où il prend le premier TGV pour Paris. « J'ai déposé plainte contre X mais juste pour marquer le coup, précise ce dirigeant, aucun dégât n'a été commis et les gars je les connais depuis vingt-cinq ans. » Et pour cause, « on séquestre celui qu'on connaît », explique Stéphane Sirot, sociologue, auteur de la Grève en France (Odile Jacob, 2002), pour qui cette forme de contestation reste très marginale. « Elle est surtout apparue dans la foulée de 1968, dans un contexte de radicalisation des conflits sociaux. Elle a ensuite largement disparu pour revenir aujourd'hui dans des entreprises où les relations sociales ne fonctionnent plus. » Pas question pour lui de conclure trop vite à des actes de délinquance. Il y voit plutôt des gestes désespérés de salariés. « Une sorte de dernier recours que l'on retrouve dans les grèves de la faim ou le fait de s'enchaîner à l'outil de production. »

Piégé dans sa voiture

C'est cette même force du désespoir qui a poussé les salariés de Tréofan, en 2005, à empêcher leur directeur de sortir de sa voiture. Depuis plusieurs semaines, la rumeur de fermeture de cette PME spécialisée dans la fabrication de films d'emballage était persistante. « Mais personne ne nous donnait la moindre information, souligne Raphaël Miraoui, délégué CFDT. La maison mère en Allemagne refusait tout contact et la direction locale disait ne rien savoir. Nous avons alors décidé de cesser le travail. À la troisième semaine de conflit, tout l'encadrement avait disparu. Il ne restait plus que nous. » Aussi, lorsqu'ils aperçoivent la voiture du directeur garée à proximité d'un restaurant, à 500 mètres de l'usine, leur sang ne fait qu'un tour. Un groupe d'une bonne soixantaine de personnes fonce vers le restaurant juste au moment où le dirigeant quitte les lieux. À leur vue, il court vers sa voiture où il s'enferme. Les salariés encerclent le véhicule. Le dirigeant de l'entreprise ne sera libéré par la police qu'au bout d'une heure. À l'issue de cette opération commando, un médiateur a été désigné et aucune sanction n'a été prise.

Une expérience qui illustre le manque de préméditation des salariés. « Bien souvent, il s'agit de mouvements spontanés décidés par de simples salariés. Les syndicalistes ne sont pas à l'aise avec ce type de pratiques qui leur échappe totalement. Au mieux, ils les couvrent, mais rarement les revendiquent », poursuit le sociologue Stéphane Sirot.

Séquestré à trois reprises

Jean-Luc Dominici, directeur des papeteries de Maresquel, filiale du groupe britannique International Paper, se souviendra longtemps de l'hiver 2005-2006. En décembre de l'année dernière, c'est l'annonce de la fermeture de l'usine qui a mis le feu aux poudres. Des salariés bloquent alors les portes du bâtiment avec des rouleaux de papier. L'électricité est coupée, les vitres brisées. Le directeur et cinq autres personnes se mettent à l'abri. À l'extérieur, les gendarmes négocient avec les délégués du personnel un rendez-vous avec le préfet en échange de la sortie des cadres. « Nous sommes sortis sous les huées, certains nous ont arrosés d'eau », explique le dirigeant.

En janvier, nouveau psychodrame. Des hommes cagoulés sortent manu militari de la salle de réunion le DRH de Maresquel, soupçonné de freiner les négociations. Il ne reste plus que le directeur qui décide de sortir à la rencontre des grévistes. « Je ne suis pas quelqu'un de trouillard mais se retrouver au milieu de la nuit entouré par plusieurs personnes qui vous insultent et vous menacent de mort… Il suffit qu'un seul pète les plombs pour que la situation dégénère. »

Ce sont les gendarmes qui, une fois de plus, vont sortir le patron de ce mauvais pas. À la troisième tentative de séquestration, en février 2006, les forces de l'ordre réagissent immédiatement. « Notre plan social est pourtant loin d'être mauvais, estime Jean-Luc Dominici : nous avons allongé la durée du congé de reclassement, amélioré les indemnités de licenciement, mais nous ne pouvons pas accorder les cinq années de salaire et la prime de 100 000 euros réclamés. Le problème de fond, c'est plutôt l'absence totale de confiance dans l'avenir. Un des délégués syndicaux, âgé d'à peine 40 ans, m'a dit qu'il avait peur de devenir SDF. »

Humiliés et insultés

La Poste n'a accordé aucune circonstance atténuante aux syndicalistes qui ont séquestré cinq cadres du centre de tri de Bègles, en 2005. À l'origine de cette affaire, une réorganisation du travail de nuit qui entraîne la suppression d'emplois mais sans licenciements secs.

Depuis des semaines, les discussions sont au point mort. Lors d'une réunion du CHSCT, une dizaine de syndicalistes CGT et SUD envahissent la salle et exigent des négociations. Plusieurs dizaines de postiers acheminent tout le matériel roulant qu'ils trouvent pour boucher le passage. Les parois vitrées de la salle de réunion sont recouvertes de papier. Le siège peut commencer. Il va durer vingt-cinq heures. Dans le couloir, les postiers observent les cadres entre les interstices. « Chaque fois qu'ils nous voyaient somnoler, ils tapaient sur les vitres, hurlaient, nous insultaient, rapporte Rizal Martinez, le chef de projet. Lorsque nous avons demandé la possibilité d'aller aux toilettes, les syndicalistes présents dans la pièce ont questionné les autres salariés dans le couloir. Ils ont refusé, nous balançant une bouteille dans laquelle on a uriné à tour de rôle. Il y avait clairement une volonté de nous humilier. » Il faudra attendre le lendemain l'intervention du GIPN pour mettre fin au blocus.

Les cadres ainsi que La Poste ont porté plainte. Un agent de droit privé a été licencié. Quatorze fonctionnaires ont été traduits devant le conseil de discipline, six ont été exclus de trois mois à deux ans sans salaire. Quant à la nouvelle organisation, elle est aujourd'hui effective…

Des sanctions plutôt rares

La séquestration n'est pas du goût du législateur, qui a prévu de fortes sanctions pénales. Selon l'article 24-1 du Code pénal, le fait de détenir une personne est puni de vingt ans de réclusion criminelle. Si la personne détenue est libérée volontairement au bout de sept jours, la peine est de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Reste que « les plaintes ne sont pas systématiques, la séquestration de dirigeants est une inversion du pouvoir qui, sur le plan symbolique, est d'une grande violence. Les dirigeants cherchent rapidement à refermer la plaie ouverte », constate Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à Paris I.

La séquestration est un événement suffisamment grave pour justifier le licenciement de représentants syndicaux, après autorisation de l'Inspection du travail. Pourtant, l'issue de ces conflits fait bien plus souvent l'objet de négociations que de poursuites judiciaires. « Ce genre de conflit embarrasse tout le monde, y compris les juges, poursuit Jean-Emmanuel Ray. Ils doivent apprécier le caractère arbitraire de la séquestration. Est-ce que la personne retenue est physiquement empêchée de sortir ? »

En 2005, la direction d'une PME ardennaise a été retenue dans les bureaux. À l'extérieur, plusieurs dizaines de salariés se sont rassemblés pour protester contre un plan de suppression d'emplois. « Il n'y a jamais eu obstruction, s'insurge le délégué syndical, ce sont les dirigeants qui se sont enfermés dans leur bureau parce qu'ils avaient peur de sortir face aux gars. Alors nous leur avons apporté des matelas pour la nuit. »

À l'issue du conflit, la direction a demandé le licenciement de ce délégué syndical à l'Inspection du travail, qui l'a autorisé. L'affaire est remontée jusqu'au cabinet de Jean-Louis Borloo, qui est revenu sur cette décision.

Auteur

  • Frédéric Rey