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Politique sociale

Les Geiq gagnent le pari de l'insertion

Politique sociale | publié le : 01.11.2006 | Cédric Morin

Les groupements d'employeurs pour l'insertion et la qualification remettent en selle des publics éloignés de l'emploi tout en palliant les difficultés de recrutement de leurs adhérents. Les résultats suivent, les financements, moins.

Trouver un emploi dans une région sinistrée, avec un bracelet électronique et deux ans de prison au casier judiciaire, c'était mission impossible pour Jean-Philippe Sergent. Son coup de chance ? Le groupement d'employeurs pour l'insertion et la qualification (Geiq) multisectoriel de la région hamoise, dans la Somme. « Après mon incarcération, j'étais discrédité. Tout se sait ici ; je devais en plus trouver très vite un boulot pour ne pas retourner en prison. Le Geiq m'a donné une seconde chance et une formation. » D'abord recruté par le groupement en contrat d'alternance, il a été embauché ensuite, en juin 2004, en CDI, comme opérateur sur machine par l'un des adhérents du Geiq, les Armatures du Nord, à Eppeville, fabricant d'armatures industrielles.

Ces groupements associatifs, une centaine, forts de 3 200 adhérents, visent, grâce à des contrats de professionnalisation pour l'essentiel, mais aussi des contrats aidés, à l'intégration durable des publics les plus éloignés de l'emploi : RMIstes, chômeurs de longue durée, jeunes en échec scolaire… Et, dans la grande famille de l'insertion par l'activité économique, ils constituent un modèle à part qui a fait ses preuves. Plus de 80 % des salariés recrutés par les Geiq obtiennent une qualification, et près de 70 % des contrats débouchent sur un emploi (la moitié en CDI). Un taux deux fois supérieur à la moyenne du secteur de l'insertion.

Pourquoi ces structures réussissent-elles là où la majorité des dispositifs patinent ? En premier lieu parce que les parcours d'insertion qu'elles proposent sont calqués sur les besoins des entreprises et non l'inverse. Ainsi, les Armatures du Nord (65 salariés) ont adhéré au Geiq multisectoriel de Ham pour faire face à la pénurie de professionnels. « Il n'existe pas de formation pour préparer à nos métiers, nos conditions de travail sont peu attractives. Le Geiq nous a permis de construire un cursus et d'anticiper les départs à la retraite », souligne Claudie Pasquier, la directrice administrative de l'entreprise. Souple, le Geiq s'adapte à chaque bassin d'emploi ou branche d'activité pour offrir un parcours de formation répondant aux besoins du terrain. Cela suppose que toutes les entreprises jouent le jeu, comme le souligne Jean-Pierre Minjard, gérant de la société de nettoyage Time (70 employés) et membre du Geiq propreté stéphanois (33 adhérents et 33 salariés en insertion). « C'est la multiplication des expériences professionnelles – chaque marché nécessite la maîtrise de machines spécifiques – qui fait la qualité des parcours d'insertion dans notre secteur. Malgré la concurrence, nous avons intérêt à former ensemble des profils polyvalents. »

Autre avantage, si les entreprises créent et pilotent le Geiq, elles sont déchargées de l'ensemble des tâches administratives par la structure, qui est l'employeur des salariés en insertion. « Je peux me concentrer sur leur formation pratique », explique Jean-Pierre Auterives, dirigeant d'une entreprise de maçonnerie de 15 salariés et membre du Geiq de Ham.

L'alternance, clé du succès. Avec des salariés qui ont généralement moins de 26 ans et au maximum un niveau CAP, la formation théorique est une condition sine qua non de la réussite du dispositif. Elle représente 30 % du cursus et ne conduit pas nécessairement à une formation diplômante. Comme au Geiq viticole du Libournais, où les 33 jeunes se forment sur vingt-quatre mois à toutes les compétences nécessaires sur une exploitation viticole, dans un centre de formation de la branche professionnelle. « Ce qui nous intéresse, c'est d'avoir des jeunes qualifiés. Par le biais de la VAE, ils peuvent par la suite obtenir un diplôme », précise Pierrette Bonnin, productrice de pessac-léognan. Elle embauche jusqu'à six jeunes du Geiq pour les vendanges. Et, pendant les périodes creuses, ils travaillent à la coopérative ou suivent une formation théorique. En marge des cours de remise à niveau en français et mathématiques, des formations sur le savoir-être en entreprise figurent également au programme.

L'accompagnement des personnes en insertion est l'autre grand facteur de succès des Geiq. « Au départ, il y a souvent des problèmes comportementaux et il ne faut pas être trop exigeant », explique Claudie Pasquier, du Geiq hamois. Au quotidien, les responsables des Geiq se coltinent les histoires de drogue, de retard, d'absentéisme, de crises familiales… qui n'aident pas à se fondre dans les codes de l'entreprise. Et si la résolution des problèmes de logement, de transport – certains Geiq vont jusqu'à prêter une Mobylette – et de comportement incombe au tuteur du groupement, l'entreprise ne peut faire l'impasse sur ces questions. Le Geiq stéphanois prévoit ainsi de consacrer cent quatre-vingts heures de formation au savoir-être en entreprise. « C'est le prix à payer pour un résultat dont les bénéfices vont au-delà de la mesure d'insertion », souligne Philippe Condamin, directeur de la société de nettoyage éponyme (110 salariés) et adhérent du Geiq stéphanois.

Créés principalement dans des secteurs sous tension, les Geiq sont plébiscités. Pour autant, le modèle n'est pas duplicable à l'infini. « L'objectif n'est pas d'atteindre 600 Geiq, souligne Claude Ribière, président du CNCE-Geiq, l'instance nationale. Nous misons sur la qualité. L'un des ressorts de la réussite est l'étincelle de départ et le retour social. Pour nos chefs d'entreprise, voir des gars inembauchables gagnés par l'envie de s'en sortir, de décrocher une qualification, puis un vrai boulot… et toute la vie qui va avec, est un moteur. » Mais tous les patrons n'ont pas cette fibre ni la volonté de s'investir dans un projet social.

Incertitudes financières. L'autre obstacle majeur au développement du modèle Geiq touche aux financements. En 2004, les groupements ont senti le vent du boulet. La suppression de l'aide à l'embauche de personnes en contrat de qualification adulte – remplacé par le contrat de professionnalisation – leur a joué un sale tour. Sans compter le refus de certains Opca de financer des formations de plus de douze mois, pourtant essentielles pour l'insertion de personnes sans aucune qualification. Au cours des années 2004 et 2005, 13 Geiq ont dû mettre la clé sous la porte. « Nous avons réussi à stabiliser la situation, explique Arnaud Farhi, le secrétaire général du CNCE-Geiq. Des Opca nous ont suivis. Une dizaine de Geiq se sont ouverts cette année et, par rapport à 2004, nous avons recruté 10 % de salariés en plus. » Un accord signé en février avec le Fonds unique de péréquation a permis de conforter les finances, et la reconnaissance par l'État des Geiq, entrés cette année au Conseil national de l'insertion par l'activité économique, a rassuré le réseau.

Néanmoins, tout n'est pas réglé. « On sait que les ingrédients du Geiq fonctionnent, mais les soutiens tardent à venir, déplore Didier Piard, de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale et vice-président du CNCE-Geiq. En janvier 2006, pour pallier la suppression des primes liées au contrat de qualification, l'Unedic nous a promis une aide forfaitaire pour les employeurs à concurrence de 2 000 euros par an dont nous n'avons toujours pas vu la couleur. Par ailleurs, une mesure du projet de loi de finances 2007 va faire sauter des exonérations de charges pour les employeurs ayant recours aux contrats de professionnalisation et d'apprentissage. Ce qui représente, pour nous, en moyenne 900 euros de moins par an et par contrat. » Un sacré trou pour les Geiq. « Il va falloir à nouveau monter au créneau pour pérenniser notre modèle », avertit Arnaud Farhi. La routine pour les responsables de Geiq, passés maîtres dans le système D.

Chiffres clés

Créés en 1991, les Geiq sont présents dans 22 branches d'activité. D'abord implantés dans le BTP, ils se sont diversifiés dans la restauration, le transport, le sport… et se lancent dans le pastoralisme et les services à la personne.

En 2006, les Geiq ont embauché 2 290 salariés en parcours d'insertion.

67 % des adhérents d'un Geiq sont des PME. Le coût de l'adhésion est estimé entre 150 et 2 000 euros. L'heure travaillé est facturée en moyenne 15 euros.

Le salarié en insertion est payé sur la base du salaire minimal de la branche.

En 2005, 888 000 heures de formation ont été dispensées aux salariés en insertion.

Auteur

  • Cédric Morin