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Le journal des ressources humaines

“Il faut écouter les salariés”

Le journal des ressources humaines | Management | publié le : 01.11.2006 | E. B., S. F.

Intervenant lors d'un colloque organisé le 16 novembre par l'association Anvie en partenariat avec Liaisons sociales, le sociologue Michel Crozier commente l'apport des sciences humaines et sociales dans l'entreprise.

Depuis la publication de votre ouvrage l'Acteur et le système, en 1977, les entreprises ont-elles pris la mesure des rapports humains au cœur des organisations ?

Au milieu des années 80, les entreprises ont commencé à parler de projet d'entreprise et à mettre en place des cercles de qualité. C'était la promesse d'associer les salariés aux développements de l'entreprise. Malheureusement, tout cela s'est souvent traduit par la tentation d'endoctriner les salariés. Les cercles de qualité ont donné un résultat positif dans 5 % des cas au mieux. Les problèmes humains sont difficiles à résoudre, il faut y consacrer du temps. Or, bien souvent, les directions voulaient faire du développement. Aujourd'hui encore, elles ne sont pas à l'écoute de ce qui se passe sur le terrain, là où se trouvent les salariés compétents dans leur métier et les solutions concrètes pour faire plus vite et mieux.

Existe-t-il des exemples d'entreprises à l'écoute ?

Les constructeurs automobiles français, en fâcheuse posture dans les années 70 et 80, ont écouté leurs troupes. Ils ont amélioré la qualité de leurs produits au cours des années suivantes et sont devenus très rentables. Renault s'est appuyé sur des sociologues dans les années 70 pour écouter ses salariés avant d'implanter de nouvelles techniques, Citroën a fait venir un spécialiste japonais de l'organisation pour implanter une méthode d'amélioration permanente. Les lois Auroux ont accéléré les choses dans certaines entreprises. Leurs responsables, qui imaginaient que le PC et la CGT allaient prendre le pouvoir, ont formé leurs contremaîtres à la conduite de réunions. Ces derniers ont ensuite tout fait pour résoudre les problèmes de management et d'organisation. La réussite d'Arcelor, en quasi-faillite en 1979, ne s'explique pas autrement.

Plus tard, en 1994, Christian Blanc nous a demandé de mener une intervention sociologique pour Air France, alors au bord de la faillite et paralysé par les grèves. En enquêtant auprès des salariés, nous nous sommes aperçus que, à force de rationaliser les méthodes de travail pour améliorer la productivité, l'entreprise avait créé des situations absurdes. Chacun travaillait dans son coin et n'avait plus le temps d'aider son collègue. Après notre enquête, un sondage a confirmé le diagnostic et a permis à la direction de proposer un plan de relance approuvé à 80 % par référendum auprès des salariés.

Ce cas a-t-il fait école ?

Malheureusement, si les managers français ont débattu sur l'intérêt d'utiliser l'arme du référendum pour forcer la main aux syndicats, ils sont peu nombreux à avoir repris la méthode consistant à écouter les salariés avant de prendre une décision stratégique…

Les groupes français font des bénéfices et s'internationalisent. Le management français ne doit pas être si mauvais que ça ?

Les grandes entreprises françaises ont découvert tardivement le fonctionnement des marchés financiers internationaux, mais elles se sont rattrapées depuis et savent les utiliser pour dynamiser leur développement international. Nos grandes écoles forment des managers de bon niveau qui travaillent pour des grands groupes et évoluent dans un contexte international. Les autres salariés sont englués en France et condamnés à vivre dans une société bloquée, tournée vers le protectionnisme.

Les entreprises ont-elles oublié la sociologie ?

En 1993, la crise a paniqué les patrons, qui ont mis de côté les enseignements de la sociologie. Les cadres ont vu leurs marges de manœuvre et leur autonomie fortement réduites. Puis, avec le poids de la financiarisation, les entreprises n'ont plus le temps de faire remonter les dysfonctionnements du terrain. D'où les folies qui touchent aujourd'hui EADS. Pourtant, la fracture entre direction, salariés et une partie importante de l'encadrement n'a jamais été aussi grande. L'écoute est le seul moyen pour une direction de rétablir la confiance. Laquelle est la condition sine qua non pour que les problèmes récurrents trouvent des solutions concrètes.

Auteur

  • E. B., S. F.