Sociologues, journalistes, écrivains, ils ont décidé de mettre en commun leurs outils et leurs sensibilités pour rendre compte de la situation de ceux que l'on appelait jadis « les exclus » et qu'ils préfèrent nommer « la France invisible ». Car il ne s'agit pas nécessairement de ces Français exclus ou en marge de la société, mais de ceux qui n'ont pas accès à un minimum de visibilité. « Le monde social semble ne poser question qu'à partir du moment où il est rendu visible sur un mode spectaculaire », regrettent les trois coordinateurs du projet, Stéphane Beaud, Joseph Confavreux et Jade Lindgaard.

Ce monde invisible ne l'est guère pour les spécialistes du social : accidentés du travail, salariés démotivés ou délocalisés, prisonniers, handicapés, jeunes au travail occupent les journaux à longueur d'année. Il n'empêche, l'approche privilégiée par l'équipe qui a conduit ce travail a pour vertu de donner la parole à ces catégories, encore moins écoutées que regardées. La palette est large puisqu'elle inclut aussi bien les ex-salariés des services publics privatisés que les drogués, les prostituées ou les homosexuels dissimulés. Pour chaque type de population, la parole est donnée à un expert afin de ne pas s'en tenir au seul constat. C'est, par exemple, le sociologue Michel Villette qui remet en perspective la « crise des stages » et qui, après avoir dénoncé leur utilisation pour réduire le coût du travail des jeunes diplômés, y voit tout de même une « formule pédagogique pleine d'avenir ». Plus thématique et analytique, l'ultime partie du livre apporte des éclairages sur certains problèmes sociaux de l'époque : la précarisation du travail, l'affaiblissement continu des syndicats, l'isolement dans lequel vivent les enfants des quartiers populaires, la déshérence des lycées professionnels. Tout cela fait un peu patchwork, mais attire au moins la vue.