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Commerciaux La fin de l'age d'or

Enquête | publié le : 01.11.2006 | Yves Aoulou

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Les principales missions des commerciaux

Crédit photo Yves Aoulou

Entre restructurations et durcissement des conditions de travail, les commerciaux ont mangé leur pain blanc.Leur métier se transforme, exigeant des profils plus haut de gamme.Seule une élite va tirer son épingle du jeu.

Scène de recrutement insolite dans les locaux de Norma Conseil RH, à Neuilly-sur-Seine. Les rôles sont inversés : ce ne sont pas les candidats qui passent le grand oral, mais le DRH d'une grande entreprise qui planche devant un aréopage de vendeurs qu'il tente de charmer. Des opérations de ce genre, Jacques de Poix, cofondateur du cabinet, en organise régulièrement pour ses clients, sans garantir le coup de foudre.

Heureux commerciaux que les entreprises s'arrachent… Il en manquera 40 000 à l'appel chaque année d'ici à 2015, selon le Bureau d'informations et de prévisions économiques (Bipe). « Il en faudrait 100 000 pour couvrir les besoins », renchérit Guy Ravinet, président du Conseil national des forces de vente, la principale organisation syndicale de la profession, forte de 10 000 adhérents. Et la pénurie, selon lui, n'est pas près de s'estomper, compte tenu de la faible attractivité du métier. À la sortie des écoles de commerce, seuls 10 % des jeunes rêvent de faire carrière dans la vente.

Alors, tapis rouge pour tous les commerciaux ? Sûrement pas. Car, tout en invoquant la pénurie, les entreprises ont, en coulisse, écrémé. Dans les secteurs de la grande consommation (Unilever, Procter & Gamble…), considérés comme des « laboratoires », on a taillé à la hache. Entre 2000 et 2004, certaines de ces multinationales ont vu leurs équipes fondre d'un tiers ! Dans les secteurs professionnels (B to B), les rapprochements ont été aussi sanglants. Un exemple : la fusion en cours entre Gemplus et Gemalto devrait, selon Force ouvrière, se solder par le licenciement d'une bonne partie des vendeurs. « Impossible de maintenir l'intégralité des deux réseaux, jusqu'ici rivaux. Seuls les meilleurs sauveront leurs têtes », résume l'un des intéressés. Il n'est pas étonnant que, dans ce contexte, le zapping d'une entreprise à l'autre ne soit plus la norme du métier. Le turnover, qui culminait à plus de 15 % au début des années 2000, a chuté au-dessous de 10 %. Du jamais-vu !

Un fil à la patte. En outre, les conditions de travail se durcissent. Longtemps objet de mille prévenances de la part de son manager et de son DRH, le commercial est tombé de son piédestal. « La fonction s'est normalisée », observe Jean-Marc Pons, directeur associé du cabinet de conseil en recrutement Mercatus. Même la sacro-sainte autonomie dont les vendeurs étaient si fiers et si jaloux a pris un sacré coup. Les PDA, BlackBerry, ordinateurs et téléphones portables, qui devaient rehausser le standing de la profession et renforcer la liberté d'initiative, se sont transformés en fil à la patte. Suivis à la trace, voire fliqués, ces salariés itinérants sont astreints à des tâches de plus en plus variées, et dûment contrôlées. Même à distance : reporting, animation des réseaux de revendeurs, relance des paiements, formation des clients, gestion des conflits, veille concurrentielle… Au point que le commercial ne consacre plus que la moitié de son temps à la vente proprement dite.

Quant au cliché du vendeur qui se gave de commissions, il reflète de moins en moins la réalité. Même s'il faut toujours prendre les moyennes avec des pincettes, le commercial type (tous secteurs d'activité et tous niveaux de qualification confondus) croqué par la Cegos n'a pas les traits d'un nabab : il gagne 47 000 euros brut par an. Même si le revenu moyen du salarié du secteur privé se situe autour de 30 000 euros, on est loin du jackpot. À niveau de compétences égal, les hommes de marketing sont couramment payés 5 à 10 % de mieux avec, en prime, des perspectives de carrière plus alléchantes. En effet, la fonction n'est pas bien placée dans la course vers les plus hautes marches de la hiérarchie. Un excellent commercial devient rarement directeur général ou P-DG. On lui préfère, de loin, le financier ou l'ingénieur de terrain. Eddy Zeep, P-DG de Bahlsen, et Philippe Carli, P-DG de Siemens France, font figure d'exceptions.

Dans la course vers le sommet, même un excellent commercial devient rarement DG ou P-DG. On lui préfère, de loin, le financier ou l'ingénieur

Bac + 4 exigé. Après avoir recalibré leurs forces de vente, les entreprises ont aussi redessiné les contours du métier. Et quel chamboulement ! À l'embauche, la barre est de plus en plus haute. « Une formation supérieure est un minimum, constate Frédéric Vandœuvre, directeur associé chez Halifax, conseil en recrutement. Même dans les secteurs comme la grande consommation, dont les produits sont banalisés, tout acte commercial devient complexe. Les acheteurs, organisés au sein de puissantes centrales d'achats, négocient plus âprement. En face d'eux, il faut des vendeurs aguerris. » Pour débuter dans le métier, on glisse du bac + 2 au bac + 4. Beaucoup de professionnels restent sur le carreau. Chaque mois, Michael Page reçoit 3 500 candidatures spontanées. « Mais la majorité des postulants ne réponde pas aux critères exigés par les entreprises », regrette Pierre-Emmanuel Dupil, responsable de cette activité. Les recruteurs cherchent des candidats qui maîtrisent les techniques indispensables pour entretenir des relations durables et de qualité avec les clients. « Impossible de percer dans la grande consommation sans une bonne connaissance du merchandising et du trade marketing », souligne le consultant. L'art de conseiller le client pour bien exposer les produits en magasin et pour organiser les opérations de promotion en collaboration avec la grande distribution était hier séparé de l'acte de vente. Il fait maintenant partie intégrante du job.

Pour dénicher les profils répondant à leurs nouvelles exigences, les DRH sont à l'affût des nouvelles formations de haute volée ou archispécialisées, comme celles de l'Institut des forces de vente, émanation de la chambre de commerce et d'industrie de Paris. À peine diplômés, ses élèves décrochent sans coup férir leur ticket d'embauche et s'imposent illico. À l'image de Guillaume Leseigneur, vendeur grands comptes chez Dell. À 25 ans, il suit l'un des plus gros clients français de la marque et lorgne déjà l'international. Dans la foulée, les écoles supérieures de commerce commencent à prendre en compte l'aspiration des entreprises à trouver des surdiplômés.

MBA pour commerciaux. Elles sont quelques-unes à proposer des mastères spécialisés, des sortes de MBA pour commerciaux. C'est le cas, notamment, de l'ESC Reims, qui forme depuis janvier dernier des cracks programmés pour suivre les comptes clés (les très gros clients des entreprises). Ce cursus, de quinze mois, s'adresse à des vendeurs seniors déjà diplômés de l'enseignement supérieur ayant au moins trois ans d'expérience. « Ce sont des profils spécifiques qui parlent au moins deux langues, qui sortiront d'ici avec des connaissances étendues en matière de droit et de finance, de négociation », précise Odile Letrillart-Bénard, directrice de ce mastère très élitiste qui n'enrôle pas plus d'une dizaine de candidats par promotion. Pour embaucher ces cadors, les grandes boîtes piaffent déjà d'impatience.

L'élévation du niveau de compétences est encore plus manifeste dans le B to B où la double compétence, commerciale et technique, tend à devenir un standard. Un boulevard pour les ingénieurs passés par une formation commerciale. Chez Henkel Technologies, Aziz Mabrouki, chef de marché, est représentatif de cette nouvelle génération. Il a complété son pedigree d'ingénieur chimiste diplômé de l'École supérieure d'ingénieurs de Poitiers par une solide formation à la vente. « Nous tenons beaucoup à la double compétence, martèle Stéphane Cadron, le DRH. Un simple profil d'école de commerce ne suffit pas. Il est primordial de pouvoir discuter des solutions techniques avec le client avant de lui faire des propositions. » Un changement radical dans ce groupe où l'on pouvait percer avec un modeste bagage technique et beaucoup de persévérance. Les entreprises n'ont jamais autant investi dans la formation de leurs commerciaux. Pas seulement sur les produits et les fondamentaux du métier comme elles l'ont toujours fait, mais aussi en finance, comme le pratique 3M depuis un an.

Le big bang de la formation commerciale ne se limite pas à une simple question de diplômes. Il concerne aussi l'organisation du travail. Oublié, le solitaire qui remplit son carnet de commandes dans son coin. Et pour cause : l'offre standard prête à livrer existe de moins en moins. Au commercial de mobiliser en interne la finance, la production, le marketing, voire la logistique afin de bâtir une proposition compétitive. « Le professionnel que l'on recherche aujourd'hui est un coordinateur qui sait rassembler des compétences internes, définit Yvelise Lebon, directrice d'activité à la Cegos. Cela implique d'autres qualités que la tchatche. » Cette pratique est déjà bien ancrée dans les entreprises high-tech, comme Alstom, dont les task forces chassent en « meutes » multidisciplinaires. Impossible de jouer solo quand le moindre appel d'offres est un pavé de 500 à 1 000 pages. « Le mode de fonctionnement collégial se généralise à tous les secteurs », observe Yvelise Lebon.

De nouveaux parcours. Reste à savoir si la nouvelle génération recrutée à un plus haut niveau acceptera des perspectives de carrière relativement limitées. Les gestionnaires de carrière anticipent déjà. Ils sont nombreux, à l'image d'Olivier Pasturel, DRH pour les fonctions commercial et marketing chez Schneider Electric France, à aménager de nouveaux parcours évolutifs pour leurs cracks. Les musts : gestion des comptes clés mondiaux, international, passerelles vers le marketing, la finance, le développement de nouveaux produits… Sur la planète des commerciaux, la révolution ne fait que commencer.

COMMERCIAL

Portrait-robot

Âge : 38 ans

Salaire annuel :

47 000 euros

Part variable :

11 %

Turnover : 10 %

Qu'est-ce qui fait courir les vendeurs ?

1 Leurs perspectives d'évolution dans l'entreprise

2 La reconnaissance de leurs efforts

3 Leurs relations avec le management

4 Le développement de leurs compétences

5 Leur rénumération globale

6 Les conditions de travail

Les principales missions des commerciaux
L'externalisation de la vente n'est pas pour demain

Inutile de chercher ! Chez Philips Éclairage, aucun commercial ne se charge de la commercialisation et du suivi de la gamme dans les grandes surfaces de l'Hexagone. Ce rôle est dévolu à 15 commerciaux salariés d'Ajilon Sales & Marketing, filiale du groupe Adecco. Même pratique à Neuf Cegetel : l'opérateur de téléphonie a externalisé la visite des entreprises de moins de 100 salariés auprès de Circular Pro-Vente, une société proposant des vendeurs « clés en main » : recrutés, formés et encadrés spécialement pour cette mission.

Le recours aux viviers externes de commerciaux n'a plus rien d'anecdotique. En atteste l'évolution de ce marché – plus de 10 % de croissance annuelle pour un chiffre d'affaires de 150 millions d'euros – qui s'est développé, pour l'essentiel, grâce aux animations ponctuelles sur le lieu de vente.

Des missions qui seraient, aujourd'hui, battues en brèche par un nouveau type de demande, « au long cours et plus stratégique », selon Stéphane Cordoliani, directeur de Circular Pro-Vente. « On nous confie la commercialisation d'un produit de la gamme ou le suivi d'une certaine clientèle pendant que les équipes intégrées gardent la gestion des grands comptes ou des clients importants », explique-t-il. « Les deux tiers de notre activité reposent sur des prestations de plus de six mois. Certains de nos salariés travaillent depuis huit ans pour la même entreprise », renchérit Alain Ducrocq, d'Ajilon Sales & Marketing, qui emploie 150 commerciaux. Les sociétés de vente externe profitent de la recherche de flexibilité chez leurs clients et de la segmentation des tâches lors des reconfigurations commerciales.

Mais, avant que la vente ne rejoigne le nettoyage au palmarès des activités sous-traitées, du temps risque de s'écouler, compte tenu des résistances des directions comme des syndicats.

« Le commercial est le porte-drapeau de l'entreprise », martèle un DRH du bâtiment réfractaire à l'idée d'externaliser sa force de vente. Pour nombre de dirigeants, la fonction commerciale reste stratégique. Parmi toutes les entreprises qui envisagent de modifier leurs services commerciaux dans les deux ans, seules 4 % projettent, selon la Cegos, de recourir à des commerciaux externes.

A. F.

Auteur

  • Yves Aoulou