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“À nous de décider si nous voulons que les violences continuent en banlieue”

Actu | Entretien | publié le : 01.11.2006 | Denis Boissard, Jean-Paul Coulange

Le ministre délégué à la Promotion de l'égalité des chances veut convaincre les chefs d'entreprise d'embaucher les jeunes des quartiers défavorisés.

Il y a un an, les banlieues s'embrasaient. Cela peut-il repartir ?

La crise des banlieues ne date pas de l'année dernière. Les premières rixes opposant les habitants des banlieues aux forces de l'ordre se sont produites dans l'agglomération lyonnaise en 1974. Il y a plus de trente ans, des quartiers entiers se sont soulevés à Vaulx-en-Velin, la commune d'où je viens. Ces affrontements ont marqué la fin des Trente Glorieuses et d'une immigration socialement invisible parce qu'économiquement légitime. À partir de 1975 a commencé une autre période en matière d'immigration, marquée par des violences et des incidents fréquents. Pour les centaines de milliers de jeunes qui sont nés en France, le mythe du retour au pays s'est effondré. La médiation avec ces jeunes qui traversent une profonde crise identitaire est désormais au cœur du débat politique. C'est donc à nous de décider si nous voulons que le malaise perdure et que les violences continuent.

Résoudre la crise d'identité de ces jeunes passe par leur insertion dans l'emploi. Mais comment convaincre les entreprises françaises de devenir black, blanc, beur ?

En leur citant l'exemple de Paprec, une entreprise de recyclage de La Courneuve qui pratique la mixité sociale. En 1995, ils étaient 50, aujourd'hui, ils sont 1 500. Ses dirigeants ont compris que plus les salariés viennent d'horizons divergents, plus ils convergent vers l'intérêt de l'entreprise. Les chefs d'entreprise qui profitent du vivier des jeunes de l'immigration seront en avance. A fortiori dans la perspective du papy-boom qui s'annonce pour les années à venir. Mais on peut aussi évoquer le cas de Soitec, une société grenobloise spécialisée dans les nanotechnologies qui recrute des personnes handicapées. Pour les accueillir, elle a conçu un poste de travail ergonomique, qu'elle a ensuite décidé de généraliser à tous ses salariés, ce qui lui a permis de gagner en productivité.

Pourquoi êtes-vous opposé à toute forme de discrimination positive ?

J'ai été l'un des premiers beurs à aller étudier aux États-Unis, à la fin des années 80. Et j'ai été frappé par la diversité qui régnait dans les entreprises et la société américaines. J'étais alors partisan de la discrimination positive, mais la nomination du préfet « musulman » a pollué le débat. Aujourd'hui, je préfère promouvoir l'égalité des chances, à la fois pour les femmes, les jeunes issus de l'immigration, les personnes handicapées ou les seniors.

Vous faites la promotion de la Charte de la diversité, lancée par Claude Bébéar. Pensez-vous que les entreprises signataires ont réellement modifié leurs pratiques ?

Quand je suis arrivé au gouvernement en juin 2005, cette charte n'avait été signée que par une soixantaine d'entreprises. En moins de deux ans, sept cents autres l'ont adoptée. Et, grâce au Tour de France de la diversité que nous avons lancé au début du mois d'octobre et qui se terminera fin novembre, elle a pris son envol. Nous en sommes déjà à 1 825 signataires. La dynamique est lancée, et elle est irréversible.

Cette charte a surtout été signée par les sociétés du CAC 40. Comment l'élargir aux PME, qui créent de l'emploi ?

Je suis convaincu que des dizaines de milliers de PME vont y adhérer. Ce sont elles que nous touchons lors de notre Tour de France. Le maître mot pour que les petits patrons adhèrent au discours sur la diversité, c'est la confiance. Ils nourrissent des représentations négatives à l'égard des jeunes des banlieues. Il faut donc lever cet obstacle de la défiance. C'est la raison pour laquelle j'étais à cent pour cent pour le contrat première embauche. Ceux qui ont occupé la Sorbonne ne sont jamais allés dans une favela ou dans un quartier de Bamako. Parler de précarité à propos du CPE, c'est une insulte au reste du monde.

Un accord sur la diversité vient d'être trouvé par les partenaires sociaux. Certains regrettent qu'il ne soit pas plus contraignant pour les entreprises. Qu'en pensez-vous ?

Félicitons-nous tout d'abord que les partenaires sociaux s'emparent de cet enjeu majeur. Et j'estime qu'il n'est pas nécessaire d'imposer de nouvelles contraintes aux chefs d'entreprise. Ils en ont ras-le-bol ! C'est, au contraire, de souplesse dont ils ont besoin. Prenons l'exemple du CV anonyme. Les partenaires sociaux sont convenus, dans le cadre de cette négociation interprofessionnelle, qu'il fallait un bilan des expérimentations en cours avant toute généralisation. Soyons respectueux du dialogue social.

AZOUZ BEGAG

Ministre délégué à la Promotion de l'égalité des chances.

ÂGE

49 ans.

PARCOURS

Né dans un bidonville de Lyon, ce fils d'Algériens a passé son enfance dans la cité de la Duchère. Après un BEP d'électromécanicien, il se lance dans des études d'économie et décroche un doctorat. Chercheur au CNRS, puis enseignant, il a publié une vingtaine de livres. Avant son entrée au gouvernement, il avait été nommé au CES, sous le parrainage de Dominique de Villepin.

Auteur

  • Denis Boissard, Jean-Paul Coulange