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Vie des entreprises

Le manager de proximité entre marteau et enclume

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.10.2006 | Éric Béal

Coincé entre les exigences de résultat de sa direction et les contraintes de son équipe, l'encadrant n'a vraiment pas la tâche facile. Surtout que sa charge de travail ne cesse de croître. Pas étonnant qu'il craque, parfois.

La direction se fiche pas mal de la qualité de mon management, du moment que j'atteins mes objectifs… » Responsable méthodes dans une fonderie de la Sarthe, Frédéric est désabusé. « On me demande de dynamiser mes collaborateurs, mais le montant de ma prime d'intéressement est lié à mes objectifs quantitatifs, pas à mes qualités de manager. » Pour autant, comme nombre de responsables de terrain, cet ingénieur de 41 ans est devenu un maillon essentiel dans la gestion des ressources humaines de l'entreprise. La DRH lui demande de faire progresser ses collaborateurs, de se charger des entretiens annuels d'évaluation et d'élaborer des recommandations sur la répartition des augmentations salariales. « Entre le suivi technique, les réunions, les reportings et la gestion des problèmes divers et toujours urgents, je manque de temps. Du coup, j'ai tendance à bâcler la communication », reconnaît l'encadrant.

Cette situation est bien connue des managers de proximité. Près de 70 % des managers interrogés en septembre 2004 par Guillaume Tell Tendances, le cabinet de conseil en marketing social du groupe Publicis, estimaient manquer de temps pour s'occuper de leurs collaborateurs. Et une proportion identique expliquait que l'entreprise ne leur donnait pas les moyens d'assumer ce rôle. « Les managers de proximité doivent en permanence régler des conflits de priorité. Mais beaucoup constatent que leur autonomie de décision est limitée alors que leur charge de travail s'accroît. Pas étonnant qu'ils soient stressés et démotivés », analyse Paul-Marie Chaumont, de Guillaume Tell.

Créateur de l'Observatoire du stress de la CFE-CGC, le médecin du travail Bernard Salengro estime que les cadres responsables d'équipe sont coincés entre la logique de la direction générale, axée sur les résultats financiers ou la productivité, et les contraintes humaines et techniques de leur équipe. « Les deux logiques sont souvent contradictoires. Et, en cas de pression trop forte, le manager peut voir sa santé mentale altérée. » D'autant plus que, ces dernières années, les entreprises ont chargé la barque. Inventé par France Télécom, le slogan « Managers, premiers RH » a été mis en musique par tous les grands groupes qui ont ajouté de la gestion des ressources humaines sur les épaules du chef d'équipe, de l'agent de maîtrise ou du responsable de département. Mais sans lui donner toutes les clés pour remplir sa nouvelle mission.

Résultat, nombre de managers estiment que leur rôle n'est pas clairement défini. « Peu d'entreprises ont pris la peine de préciser les obligations d'un encadrant », confirme Luc Boyer, directeur de recherche à l'université Paris Dauphine, auteur de 50 Ans de management des organisations (Éditions d'Organisation, 2005). Or l'engouement pour la lean production (« gestion au plus juste ») a entraîné la diminution du nombre de postes hiérarchiques et accru la charge de travail des cols blancs.

Autre évolution significative, les entreprises procèdent à des changements de stratégie et d'organisation plus fréquents, auxquels les managers de terrain sont rarement associés. Incapables de donner un éclairage sur les évolutions en cours, ils se retrouvent dans une situation inconfortable vis-à-vis de leur équipe. « Ce manque de visibilité m'interdit de m'engager sur des augmentations de salaire ou sur l'allocation de moyens supplémentaires », note Thomas, ingénieur responsable d'un service d'études aux Chantiers de l'Atlantique.

Chargée du département organisation industrielle dans une multinationale de l'agroalimentaire, Sandrine essaie de garder la tête froide. « Mes obligations, études, présentations en séminaire, synthèses et reportings sont toujours urgents. Mais mon équipe a besoin d'un suivi. Reconnaître les succès crée une dynamique positive et constater les dérives permet souvent d'y remédier. Malgré la pression, je prends régulièrement le temps de discuter de façon informelle avec mes collaborateurs. Quitte à laisser certaines urgences de côté. » Cet arbitrage n'est pas le lot commun. « Certains considèrent cela comme une perte de temps car l'évolution de votre carrière dépend plus du soin apporté aux reportings et aux relations avec la hiérarchie que du temps passé à gérer son équipe », souligne Jean-Baptiste, cadre chez Areva.

Pour Maurice Thévenet, professeur au Cnam et à l'Essec et auteur de Quand les petits chefs deviendront grands (Éditions d'Organisation, 2004), les dirigeants sont responsables de ce manque d'appétence pour la gestion des collaborateurs. « Les P-DG investissent dans des “process qualité” et rêvent d'une organisation qui fonctionne toute seule. Ce fantasme leur fait oublier l'importance de la régulation exercée par le management intermédiaire. »

Et de regretter que les encadrants soient encore trop souvent choisis en fonction de leurs performances : « On peut être un vendeur formidable et un piètre manager. » Or il arrive qu'un mauvais manager dérape. Délégué syndical CFE-CGC à BNP Paribas, Roland Roberdeau fait état de nombreux problèmes dans le réseau. « J'entends parler d'autoritarisme, de pression psychologique exercée sur des salariés. Certains managers ne communiquent avec leur équipe que par l'intranet. La direction affiche sa volonté de faire cesser ces pratiques grâce à des formations, mais elle continue de déterminer la progression de carrière des cadres en fonction de la productivité de leur équipe. Sans s'intéresser à leur mode de management. »

Cette situation fait, en tout cas, les affaires des organismes de formation. Selon Michel Fourmy, consultant à la Cegos, les séminaires centrés sur le développement personnel, le leadership ou l'affirmation de soi connaissent les plus fortes progressions. Le développement des activités de services et les modifications de la relation au travail devraient maintenir la demande, estime ce spécialiste. « Les services sont plus près du client et demandent une plus grande implication des salariés. Ce qui oblige les managers à s'intéresser à leur équipe. Par ailleurs, les salariés sont moins attachés à leur travail et les managers doivent développer leur capacité à identifier les leviers de motivation de chacun. »

Un avis partagé par Gérard Silve, consultant chez Towers Perrin. « Les salariés ne croient plus en leur hiérarchie et leur vie ne tourne plus autour du travail, explique-t-il. Les encadrants sont obligés de passer plus de temps à les remobiliser. Ils doivent argumenter et démontrer, là où auparavant il s'agissait plus d'imposer. D'autre part, plus la pression sur les résultats augmente, plus la demande des salariés pour une prise en compte individuelle est importante. »

L'autorité qui reposait autrefois sur le statut dépend à présent en grande partie du savoir-faire relationnel, voire du charisme. À charge pour le manager de séduire, d'argumenter et de démontrer tout en restant un bon technicien. N'en jetez plus !

2,8 millions de salariés entrant dans la catégorie « cadre » exercent réellement une fonction d'encadrant, selon l'Apec, sur un total de 3,5 millions (pour le secteur privé).

Les managers ont-il besoin d'un statut de cadre ?

L'encadrement n'est pas l'apanage des cadres à statut. 350 000 agents de maîtrise encadrent également, en particulier dans l'industrie. À l'inverse, sur les 3,5 millions de cadres bénéficiant du statut, 21 % sont des experts n'exerçant aucune fonction d'encadrement.

« Le statut de cadre reste une forme de reconnaissance sociale pour les managers de proximité », estime Jacky Chatelain, délégué général de l'Apec.

Une reconnaissance fragile car fondée sur des dispositions propres à chaque branche d'activité. Concrètement, seuls le niveau de salaire dans la grille de classification et la possibilité d'utiliser l'Apec en cas de recherche d'emploi différencient les cadres. À l'inverse, le régime de retraite Agirc accepte les agents de maîtrise. Pas grand-chose pour Jean-Paul Boucher, secrétaire général adjoint de la CFDT Cadres. « Le statut des cadres est aujourd'hui dépassé. Pour le patronat, et en particulier l'UIMM, il se résume à la possibilité de faire travailler les managers au forfait, soit beaucoup plus que les 35 heures hebdomadaires. » Mais rien qui puisse aider les managers à contrôler, évaluer et motiver leurs collaborateurs.

Auteur

  • Éric Béal