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Politique sociale

L'Afpa condamnée à changer

Politique sociale | publié le : 01.09.2006 | Anne-Cécile Geoffroy

Malgré un guichet de départs généreux, les syndicats de l'Afpa s'inquiètent toujours des effets de la décentralisation. D'autant que l'ouverture à la concurrence se profile en 2009, Europe oblige.

Si vous voulez mon avis, nous sommes en train d'assister à la lente agonie de l'Afpa. » Sans appel, ce constat émane d'un observateur averti du petit monde de la formation. Depuis l'annonce, en 2002, par Jean-Pierre Raffarin de la décentralisation de ses crédits pour la formation vers les conseils régionaux, les pronostics sur l'avenir de l'Association pour la formation professionnelle des adultes vont bon train. Les commentaires sont d'autant plus pessimistes que la directive européenne sur les services va lancer la formation, et donc, par ricochet, l'Afpa, dans le grand bain de la concurrence au 1er janvier 2009.

Créée au lendemain de la guerre de 39-45 pour former en accéléré les bras chargés de reconstruire la France, l'association est considérée comme une véritable école de la seconde chance pour des salariés et des demandeurs d'emploi peu ou pas qualifiés. En cinquante ans, elle est aussi devenue un outil important des politiques d'emploi de l'État. Avec 11 300 salariés, dont une majorité de formateurs et de psychologues, l'Afpa dispose d'un budget qui frise le milliard d'euros. En 2005, plus de 151 000 stagiaires sont passés par ses centres et ont décroché une des précieuses certifications du ministère de l'Emploi.

« Aujourd'hui, 70 % du budget de l'Afpa provient de subventions de l'État. Demain, la moitié du budget émanera des régions, un quart de l'État et, le reste, de notre activité avec le secteur privé », détaille Pierre Boissier, le directeur général. Un bouleversement qui oblige l'Afpa à faire sa révolution culturelle.

Le dossier est d'autant plus explosif que la maison est réputée ingérable car très syndicalisée. Il est aussi très politique et cristallise toutes les tensions entre l'État et les régions, dirigées, pour la plupart, par la gauche. Sur le plan social, l'inquiétude des salariés de l'Afpa n'a fait que croître depuis 2002. Dès sa nomination, Pierre Boissier n'a pas hésité à afficher un plan social musclé et une politique de rigueur salariale pour rendre la maison compétitive aux yeux des conseils régionaux. Ex-P-DG de l'agence photo Gamma et ancien directeur de cabinet d'Anne-Marie Coudert dans le gouvernement d'Alain Juppé, le patron de l'Afpa a été nommé par François Fillon en 2003 pour mener à bien la réforme. « Cet homme est obnubilé par les coûts, pointe Pierre Confavreux, représentant CFDT au CCE de l'Afpa. Avant même de connaître la maison, il a clamé haut et fort que nous étions trop chers et qu'il fallait supprimer 615 emplois. » Et l'intéressé de rétorquer : « Nous ne serions pas raisonnables si nous ne nous positionnions pas dans une logique d'application du Code des marchés. Notre enjeu est de répondre aux besoins des régions et de proposer des prix compatibles avec des appels d'offres. » Après une année 2004 marquée par des grèves à répétition, des campagnes de presse et des pétitions, les syndicats (CGT, CFDT, FO, SUD, CGC, CFTC et STC) ont fait plier la direction en négociant un protocole de fin de conflit puis un plan de dispense d'activité très avantageux en lieu et place du PSE : les personnels administratifs, de gestion et les ingénieurs de formation peuvent quitter l'Afpa tout en continuant à être rémunérés 85 % de leur salaire pendant trois ans. Quelque 300 salariés sont déjà passés par le guichet. Depuis, un calme précaire est revenu. « En 2005, les salariés étaient vent debout et craignaient un démantèlement de l'Afpa, se souvient Christophe Donon, directeur régional de Midi-Pyrénées. Un an après, c'est devenu un non-événement. Nous avons réussi à dédramatiser le dossier. »

Un avis que ne partagent pas les syndicats. « Nous allons vers un mouvement social majeur en octobre car la direction ne tient aucun compte de nos revendications sur les salaires », annonce Jean-Paul Dekooninck, patron de la CFDT. « Au-delà du plan de départ anticipé, il y aura encore des répercussions sur l'emploi. Certains postes de formateurs ne sont pas remplacés, prévient Jacques Coudsi, leader de la CGT de l'Afpa. « La direction a beau nous dire que la décentralisation n'aura aucune conséquence sur notre travail, ce n'est pas vrai », renchérit Pierre Confavreux. En ligne de mire, le programme fonction support (PFS), qui fait évoluer le système de facturation et consiste en un vaste plan de restructuration des postes administratifs et de gestion des centres de formation vers une plate-forme régionale unique. « Le travail des formateurs est directement touché par ce PFS, explique Jacques Coudsi. Ils vont devoir assumer des tâches administratives qui n'ont rien à voir avec leur métier. » Afin de rassurer les troupes, Pierre Boissier a tout fait pour convaincre les régions de passer des conventions avec l'Afpa et l'État. Mais seule la région Centre s'est réellement saisie de l'opportunité depuis 2004. Le Limousin, Midi-Pyrénées et l'Alsace signent leur convention ce mois-ci.

D'autres, comme l'Ile-de-France ou Rhône-Alpes, n'ont pas avancé d'un pouce. « Certaines régions redoutent que l'État ne nous fasse avaler un plan social déguisé », explique un conseiller régional francilien. La direction de l'Afpa table sur une quinzaine de signataires d'ici à 2008, l'objectif des conventions étant de faire évoluer les pratiques en matière d'accueil, de recrutement, d'orientation des demandeurs d'emploi ou des salariés. « Nous sommes en train de revoir notre processus de recrutement des stagiaires, explique le directeur d'un centre régional d'orientation. Le délai d'attente moyen pour entrer en formation est de quatre mois. Mais il peut atteindre dix-huit mois. C'est inacceptable pour les conseils régionaux. »

Mais ces conventions tripartites ne lèvent pas toutes les incertitudes, car la loi de décentralisation omet de baliser complètement le chemin. « C'est bien beau de conventionner mais, en 2009, les crédits ne seront plus fléchés vers l'Afpa comme ils le sont dans le cadre conventionnel. Les régions pourront utiliser ces crédits à loisir. Vont-elles garantir aux 22 directions régionales le même taux d'activité ou le même chiffre d'affaires ? » interroge Christian Houel, délégué syndical CGT dans la région Centre. « Nous avons signé cette convention afin de préparer le terrain pour 2009, se défend Jean Germain, premier vice-président de la région et maire de Tours. Nous n'avons aucune envie de tuer l'Afpa. C'est pour nous l'occasion de bâtir un vrai service public régional de la formation professionnelle qui engloberait l'Afpa mais aussi les Greta de l'Éducation nationale ou les universités. »

Reste que les régions n'ont pas encore résolu le problème de l'interrégionalité. « Vont-elles accueillir sur leur territoire des stagiaires venus d'ailleurs ? » souligne Pierre Boissier. Dans le Limousin, par exemple, les centres Afpa forment aux métiers des travaux publics pour la France entière. « L'accueil de stagiaires fait partie de l'économie du territoire, tempère Jean-Paul Denanot, président du conseil régional du Limousin et responsable du dossier formation à l'Association des régions de France. Pourquoi remettre cet équilibre en question ? » Une vision que ne partagent pas toutes les régions. « Dans l'hypothèse où elles acceptent de payer la formation de stagiaires d'autres régions, il est moins probable qu'elles les rémunèrent », décrypte le directeur d'un centre régional d'orientation. Certains stagiaires touchent jusqu'à 80 % de leur salaire brut en formation. Des craintes renforcées par la régionalisation. Effective dans les DOM-TOM depuis les premières lois de décentralisation en 1984, elle illustre les disparités : le budget de financement de l'organisme varie du simple au double entre la Réunion et la Guadeloupe. Difficile d'assurer mordicus aux stagiaires que l'Afpa garantira l'égalité de traitement et d'accès à la formation.

Autre casse-tête à résoudre, l'hébergement et le système de restauration intégrés à l'Afpa : au total 16 100 lits et un parc immobilier pas toujours en bon état mis à disposition de l'association par l'État pour un euro symbolique. Mais qu'en sera-t-il en 2009 ? « Si l'État abandonne l'hébergement, la convention n'est plus intéressante, prévient Jean Germain. Sans lui, les stagiaires seraient incapables de venir en formation. Nous sommes en discussion pour examiner d'autres voies de financement de ce patrimoine, en l'ouvrant par exemple aux autres stagiaires de la formation professionnelle. » Par ailleurs, un audit de la Cour des comptes sur la gestion du patrimoine de l'Afpa devrait livrer des résultats très attendus en janvier 2007. De quoi relancer la polémique.

Quelle gouvernance pour l'Afpa ?

Le 21 juin, une nouvelle crise a bien failli mettre à mal la difficile décentralisation de l'Afpa. Au cœur du problème : la gouvernance de l'institution. Dans ses négociations avec les régions, le bureau national paritaire a en effet tenté d'imposer la mise en place au niveau régional d'un bureau consultatif bis. Impensable pour les régions, qui entendent piloter la formation sans avoir dans leurs pattes une instance issue du paritarisme. « Les partenaires sociaux se sentent dépossédés par la décentralisation », analyse Marie-Noëlle Lienemann, vice-présidente de la région Nord-Pas-de-Calais, pour expliquer cette dernière exigence afpaienne. « Il est impensable que l'on ajoute un énième niveau de négociation en région. Les comités de coordination régionaux pour la formation professionnelle sont là pour ça », s'agace Jean-Paul Denanot, président de la région Limousin. « Sans doute, mais encore faut-il que ces comités ne soient pas des coquilles vides », rétorque-t-on à l'Afpa.

Ces crispations sur la gouvernance viennent aussi du fait que l'État n'a finalement décentralisé qu'à moitié l'Afpa. La loi de cohésion sociale a en effet réaffirmé le rôle de l'Afpa au sein du service public de l'emploi (SPE) en lui confiant le suivi de l'expérimentation du contrat de transition professionnelle ainsi que le programme d'accès à la vie active, destiné à 30 000 jeunes pour les amener à signer un contrat en alternance. Un double positionnement mal compris tant en interne qu'au niveau des conseils régionaux qui se veulent aussi des acteurs du SPE. « L'État nous réitère sa confiance, note Paul Marconnot, directeur de l'Afpa en Bourgogne. Mais pour combien de temps ? » Sur le terrain, des arbitrages vont forcément s'imposer entre les attentes des régions et les politiques de l'emploi. Emploi et formation sont en osmose. Où s'arrête le domaine de l'un et où commence celui de l'autre ?

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy