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Idées

Le rapport Hadas-Lebel innove-t-il sur la représentativité syndicale ?

Idées | Débat | publié le : 01.09.2006 |

Pour réviser les règles de représentativité et de financement des syndicats, l'ancien président de la section sociale du Conseil d'État, Raphaël Hadas-Lebel, envisage, dans un rapport remis début mai au Premier ministre, deux scénarios possibles : une réforme progressive ou une rupture profonde. Des préconisations que commentent deux universitaires et un avocat.

Dominique Andolfatto Chercheur au Cnam, coauteur d'Histoire des syndicats, 1906-2006, Seuil, 2006.

“Si le diagnostic du rapport s'avère lacunaire, certaines propositions sont hardies”

Cela fait des années que la représentativité des organisations syndicales est l'objet de discussions. Si la légitimité du syndicalisme n'est pas en cause, l'indigence du taux de syndicalisation des Français pose question. À son tour, le rapport Hadas-Lebel s'interroge sur le décalage entre le paysage syndical « légal », qui paraît figé et privilégier des logiques de groupes d'intérêts, et le « pays réel », extrêmement mouvant et en quête de nouvelles régulations. Le rapport tente de clarifier une situation opaque concernant les ressources syndicales sous-entendant une remise à plat de ces ressources légales ou matérielles en fonction des implantations effectives des syndicats et de leurs dynamiques sociales. Comme on le sait, leur représentativité a été codifiée par un décret de 1966. Or le contexte économique et social, mais aussi syndical, a profondément changé depuis quarante ans.

Est-ce pour des raisons politiques ? Ce diagnostic s'avère bien lacunaire. Les données historiques sur la syndicalisation sont contestables. Contrairement à ce qui est affirmé, celle-ci n'a pas été « quasiment… divisée par deux en vingt-cinq ans », mais par trois (si l'on remonte aux années 70) et même par quatre depuis le début des années 50 ! L'interprétation de la désyndicalisation est également partielle et le tableau des ressources syndicales paraît très incomplet. Les syndicats se seraient-ils joués des auteurs du rapport ? À moins que celui-ci s'apparente à une partie de poker menteur.

Certaines préconisations sont néanmoins hardies : suppression du monopole de candidature syndicale au premier tour des élections professionnelles, remise en cause de la présomption irréfragable de représentativité. Dans l'ensemble, les syndicats y demeurent hostiles. Quant à mesurer la représentativité à travers les résultats des élections des délégués du personnel ou l'organisation d'élections de représentativité par branche, cela semble techniquement impossible. Et redondant avec les élections prud'homales dont une interprétation des résultats par branche pourrait être recherchée, ainsi que le rapport le propose. La question des effectifs syndiqués conditionnant la représentativité mériterait aussi d'être réexaminée car certaines organisations font de réels efforts de transparence. Il serait facile de vérifier les dires des uns et des autres sans recourir à une ingénierie électorale qui risque d'engendrer d'abord de l'abstention et des contentieux.

Jean-Marie Pernot chercheur à l'Ires

“Le risque de deux scénarios est que les propositions minimalistes l'emportent”

Le rapport Hadas-Lebel répond à la crise du système de relations sociales mis en place dans le contexte de l'après-guerre. Ce bloc juridique est devenu, au fil du temps, totalement inadapté aux réalités syndicales contemporaines, mais plus largement sociales et politiques. Le diagnostic formulé par ce conseiller d'État est peu contestable. La question de la légitimité des acteurs de la négociation sociale est en effet la condition de la reconnaissance de celle-ci, en particulier par les salariés. Le rapport aurait pu d'ailleurs élargir l'examen aux organisations patronales qui se tirent bien de l'exercice. La « tradition de contestation » qui, selon le rapport, marque le syndicalisme français trouve aussi son origine dans les traditions d'un acteur patronal peu porté au compromis.

Les règles de conclusion des accords sont premières. Leur modification entraîne celle de la reconnaissance des acteurs aptes à conduire la négociation. Après des années de contournement, le principe majoritaire doit s'imposer. L'élection doit fonder la représentativité. Derrière cette double dynamique se profile une logique de redéfinition des relations entre syndicats et, pour certains d'entre eux, une véritable interrogation sur leur identité et leur rôle. Les syndicats minoritaires sont condamnés à disparaître ou à s'engager dans des alliances. Les trois premières confédérations qui sont, dans un grand nombre d'entreprises ou de branches, dans l'incapacité de construire seules une majorité d'engagement devront elles aussi trouver les accommodements pour construire des alliances positives.

Restent cependant des sujets sur lesquels le rapport ne s'engage pas. La question de la présence dans les PME se pose mais les aménagements proposés n'y répondent pas. Si l'extension du droit de suffrage est nécessaire, elle doit s'accompagner de la mise en place d'un droit syndical interprofessionnel permettant la mutualisation de la représentation dans des zones d'activité, des bassins d'emploi ou sur la filière donneur d'ordres/sous-traitant. En particulier, l'extension de la portée des accords à la sous-traitance est le meilleur moyen de s'opposer à un usage excessif de celle-ci à des fins de contournement des normes sociales. Le risque que comporte l'exposé des divers scénarios du rapport est que les propositions « minimalistes », dites d'adaptation, l'emportent tant est fréquente chez les politiques la tentation de la demi-mesure.

Claude Katz Avocat, porte-parole de l'Observatoire de la démocratie sociale et des libertés syndicales

“Le scénario dit de transformation est le seul qui permette de redynamiser le syndicalisme”

L'arrêté ministériel du 31 mars 1966 portant sur la représentativité des organisations syndicales crée un vrai décalage entre démocratie syndicale formelle et réelle compte tenu de l'émergence d'organisations syndicales durant ces dix dernières années. Par ailleurs, il organise une véritable discrimination entre syndicats reconnus ou non représentatifs, sur le fondement de son propre énoncé qui est privé de base légale, car aucun texte ne stipule qu'une décision administrative devait dresser la liste des organisations représentatives.

Conscient de l'impérieuse nécessité de réformer les règles actuelles de représentativité, le gouvernement a confié à l'ancien président de la section sociale du Conseil d'État une mission d'investigation. Dans ce rapport, Raphaël Hadas-Lebel a proposé deux scénarios dits d'adaptation et de transformation. Le premier maintient une présomption irréfragable de représentativité pour les syndicats affiliés aux confédérations reconnues représentatives en préconisant plusieurs aménagements. Le second est fondé sur une évolution et une représentativité par le vote évalué en fonction des résultats aux élections prud'homales ou de délégués du personnel ou d'une élection de représentativité de branche. Dans tous les cas, la question demeure de la définition d'un seuil de chiffre et de représentativité de l'ordre de 5 ou 10 % selon que l'on souhaite ou non favoriser le regroupement des organisations syndicales.

La construction d'une démocratie sociale, qui nécessite un meilleur accès des salariés à la représentation syndicale, devrait conduire à privilégier le choix du scénario de transformation. Seule une véritable réforme du système permettrait de redynamiser le syndicalisme français et de lui restituer une légitimité sérieusement entamée. Une telle réforme ne peut être dissociée de réflexions sur le financement des syndicats, la représentation des salariés dans les PME ou la participation aux négociations collectives. Cette rénovation et ce renforcement du syndicalisme sont consubstantiels à toute réforme de la démocratie sociale sur le plan notamment de la capacité des partenaires sociaux à élaborer des règles limitant l'intervention étatique. Dans cette attente, invitons les organisations syndicales déclarées représentatives à cesser leur guérilla judiciaire de contestation de la représentativité des autres organisations en leur rappelant les effets bénéfiques d'une démarche unitaire telle que démontrée à l'occasion de la réforme du CPE.