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Vie des entreprises

Les troupes des parcs scientifiques n'ont pas le temps de rêver

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.06.2006 | Corinne Rieber

Si le Futuroscope et la Cité des sciences ont un statut différent, privé pour l'un, public pour l'autre, tous deux soumettent leurs salariés aux mêmes impératifs commerciaux. Le parc poitevin fait mieux en matière de carrières et de relations sociales. La Villette se distingue sur l'emploi et les salaires.

Futurobot va devoir serrer les boulons : la haute saison approche. Mais l'humanoïde à la démarche syncopée qui accueille chaque matin les visiteurs du Futuroscope est prêt. Ouvert de février à décembre, le parc d'attractions poitevin connaît un pic de fréquentation à partir de juin et jusqu'à la fin de l'été. Pour ses 19 ans, le Futuroscope vise 1,5 million de visiteurs, son point d'équilibre d'exploitation. Pas de fièvre estivale à la Cité des sciences et de l'industrie à Paris. Ouvert toute l'année, le quatrième musée le plus couru de France a une fréquentation plus lissée entre les visiteurs individuels et les groupes, en particulier les scolaires. Mais la Cité des sciences, édifiée voilà vingt ans sur les décombres des abattoirs de la Villette, compte bien battre son record de fréquentation de 2005 (3,2 millions de visiteurs payants ou non). D'où l'importance accordée à Paris comme à Poitiers aux métiers en contact direct avec le public, vitrine des deux parcs scientifiques.

Au Futuroscope, pas d'ambiguïté : « Le sourire, la disponibilité et les conseils incitent les visiteurs à consommer sur place. Entre les boutiques et la restauration, une famille dépense 42 euros en moyenne. Et un client satisfait est un client qui revient », précise Jean Bordonneau, le DRH du parc.

Même discours chez son homologue de la Cité des sciences, avec toutefois une autre terminologie. « Nous préférons parler de visiteurs plutôt que de clients. Mais il est vrai que notre personnel d'accueil est formé pour présenter des offres sur mesure en fonction de la composition de la famille et du temps passé à la Cité afin de proposer les meilleures formules tarifaires », précise Pascal Boyer Chammard, le DRH de la Cité des sciences.

Cela provoque quelques grincements de dents du côté des syndicats. « Notre mission de service public perd du terrain. Tout devient commercial. À l'accueil et aux caisses, les agents de la Villette ont désormais des objectifs de vente à atteindre. Ils sont contraints de proposer des offres couplées pour les expositions et même du pop-corn pour le public de la Géode », vitupère Christian Liénard, délégué syndical CFDT.

Pourtant, à la différence du Futuroscope, la Cité n'est pas contrainte de dégager des profits. Question de statut. Si les parcs sont tous deux dédiés aux sciences et au futur, ils n'évoluent pas du tout dans le même univers. Depuis sa création en 1987 par René Monory, l'ancien président du conseil général de la Vienne, le Futuroscope a connu une histoire mouvementée, passant du giron public au semi-privé, pour revenir à son point de départ. Le parc d'attractions est géré par une société d'économie mixte locale, actuellement détenue à 65 % par le département, 20 % par la région et 15 % par le groupe de presse Amaury. L'éditeur du quotidien l'Équipe, qui a géré sans succès le parc entre 2000 et 2002, sortira définitivement du capital d'ici à 2007 et devrait être remplacé par la Caisse des dépôts.

Pas de valse d'actionnaires de ce genre à la Villette. Établissement public à caractère industriel et commercial (Epic), la Cité est une entreprise de droit privé placée sous la double tutelle des ministères de la Recherche et de la Culture. Elle a donc une mission de service public d'intérêt général, d'où l'accès gratuit à la médiathèque, au Carrefour numérique ou à la Cité de la santé et à la Cité des métiers. Toutefois, ce statut ne lui interdit pas d'avoir une activité commerciale. Sur un budget de 100 millions d'euros par an, 80 % sont ainsi financés par les dotations publiques et 20 % par les ressources propres du musée (vente de billets, location d'espaces pour les colloques, partenariats avec les entreprises pour les expositions, etc.). Cette stabilité financière assure également une certaine sécurité de l'emploi. Ce qui est loin d'être le cas au Futuroscope.

Après des années de gestion chaotique marquée par une absence d'investissements pour renouveler les attractions, la fréquentation du parc a fortement diminué, entraînant dans sa chute une réduction des effectifs en 2003. Un plan de sauvegarde de l'emploi, négocié avec les partenaires sociaux, a été mis en place. « Pour encourager les départs volontaires, nous avons proposé des programmes de formation longue et qualifiante. Nous avons aussi centralisé des offres d'emploi venues de toute la région, mais uniquement des contrats de plus de six mois », explique Jean Bordonneau. Finalement, pas de licenciements secs mais le départ de 165 salariés, soit 25 % des effectifs de l'époque.

À la Cité des sciences, les licenciements, uniquement pour faute grave, se comptent sur les doigts d'une main. Avec une dizaine de départs à la retraite et une quinzaine de démissions par an, le musée affiche un turnover de 3,8 % contre 5 % au Futuroscope. Presque tous les salariés ont un contrat de droit privé. Fin 2005, le musée employait 61 CDD et 941 CDI dont une dizaine de fonctionnaires en détachement, rémunérés par la Cité. Plus une cinquantaine de « mis à disposition », animateurs ou médiateurs culturels, payés par leur ministère de tutelle. Toutefois, son statut d'Epic empêche la Cité de signer des contrats saisonniers. Une interdiction à laquelle n'est pas soumis le Futuroscope. Avec seulement 397 CDI fin décembre 2005, les saisonniers constituent en effet le gros de ses troupes, surtout pour l'accueil, l'animation, la vente dans les boutiques ou la restauration.

La campagne de recrutement commence dès le début février, en fonction d'un calendrier prévisionnel de fréquentation. Le parc dispose d'un vivier de 700 personnes, dont 80 % sont des étudiants. « Nous préférons l'aisance relationnelle au diplôme ou à la pratique de langues étrangères. C'est aussi la raison pour laquelle nous avons recours depuis 2003 à la méthode des habiletés mise au point par l'ANPE. Nous détectons les aptitudes personnelles des candidats en les plaçant dans des situations réelles comme savoir faire une caisse ou mettre en valeur le client », précise Marie-Claude Lépine, responsable du recrutement et de la mobilité interne. La centaine de saisonniers embauchés en 2006, avec un CDD d'un à huit mois, a bénéficié d'une formation de trois jours avant d'intégrer un poste.

Cette souplesse permet aussi de pallier les carences d'un bassin d'emploi restreint et l'absence d'hébergement à proximité du parc. À la Cité des sciences, l'embauche de profils atypiques est plus anecdotique. Le musée travaille avec l'Association Villette Emploi Jeunes, qui aide à se réinsérer des jeunes de 18 à 30 ans sans qualification. Chaque année, une dizaine d'entre eux obtiennent des missions de courte durée (deux cent quarante heures par an maximum) dans les métiers d'accueil, comme la gestion des files d'attente et des vestiaires. Mais, pour les périodes de forte fréquentation, la Cité puise surtout dans un vivier de candidatures spontanées. « Ce sont majoritairement des étudiants en sciences humaines, en école de commerce, de préférence trilingues, qui ont une bonne culture générale et sont capables de gérer des situations de stress, comme des clients mécontents », souligne Taous Sehad, responsable du département emploi et formation.

En 2005, 132 personnes ont décroché un CDD d'un mois renouvelable pour surcroît d'activité. 40 % de ces contrats étaient à temps partiel. Comme au Futuroscope, les salariés qui donnent satisfaction sont systématiquement repris la saison suivante. En revanche, entre les deux parcs scientifiques, l'écart se creuse en termes de rémunération. Les employés et agents de maîtrise du parc gagnent en moyenne 150 euros de moins par mois que leurs homologues de la Cité des sciences et de l'industrie, et les évolutions de salaire sont moins rapides. « Après quatorze ans d'ancienneté, je ne gagne que 1 200 euros brut par mois », constate, fataliste, un chef de rang de l'un des restaurants du Futuroscope.

À la Villette comme à Poitiers, chaque salarié perçoit une prime d'intéressement collectif au prorata du temps de présence dans l'année. Mais au Futuroscope le statut et le poste occupé conditionnent aussi l'octroi d'autres primes : de fin d'année (340 euros), de rentrée scolaire (100 euros par enfant, exclusivement pour les CDI), de compensation pour les nocturnes et les week-ends travaillés pour tous les salariés concernés. Quant à la prime de performance individuelle, elle est réservée aux personnels de la restauration, de la vente et de la centrale de réservation téléphonique. « La DRH exige toujours plus de flexibilité pour compenser le manque chronique d'effectifs. S'il est volontaire, un comptable peut être amené à faire des sandwichs le midi ! » déplore Mercedes Santervas, déléguée CGT du parc.

Récriminations du même ordre à la Villette. « Les salariés absents ne sont pas systématiquement remplacés, y compris dans les métiers d'accueil. La pression et le stress sont tels que les arrêts de travail de longue durée sont en progression depuis quelques années », note Nathalie Joly Sitruk, élue au CE. Mais ce sont surtout les relations sociales entre les représentants du personnel et la DRH qui sont pointées du doigt. « Depuis l'arrivée de la nouvelle direction, en 2003, les conflits se multiplient avec des grèves répétées à l'accueil et au centre de conférences. De façon générale, le dialogue est faussé. La DRH nous place devant le fait accompli avant chaque négociation et consulte en permanence son avocate, histoire de ne pas se mettre hors la loi », déplore Christian Liénard, de la CFDT. Les syndicats ont lancé des actions en justice pour obtenir un rappel d'heures supplémentaires et pour dénoncer les discriminations à l'encontre d'un élu de la CGT et d'un autre de FO. « Pour ma part, je n'ai pas eu de formation depuis huit ans ni d'augmentation individuelle depuis cinq ans », rappelle Christian Liénard.

Au Futuroscope, en revanche, les relations sociales sont plus sereines. « Nous demandons un réel investissement à nos salariés. Mais, en échange, nous sommes là pour les accompagner et construire avec eux un parcours professionnel sur mesure », explique Marie-Claude Lépine. Comme en témoigne Séverine, responsable du plateau des réservations à l'agence de voyages du Futuroscope. « Je suis arrivée comme simple stagiaire il y a huit ans, puis j'ai enchaîné des CDD d'hôtesse d'accueil. On m'a ensuite proposé un CDI à l'agence de voyages. Là, j'ai pu effectuer plusieurs formations et j'occupe aujourd'hui un poste de responsable », souligne cette jeune femme de 32 ans.

À la Cité des sciences, les évolutions de carrière butent souvent sur la lourdeur de l'institution. « Voilà quatre ans que je travaille comme médiatrice culturelle. J'ai fait le tour de mon métier et du musée. Ma seule évolution possible, c'est d'attendre le départ à la retraite de mon responsable. Alors je préfère retourner enseigner », plaide cette institutrice. Mais qu'ils soient de statut public ou privé, les salariés de la Cité des sciences et de l'industrie et ceux du Futuroscope ont un point commun : ils se déclarent très attachés à leur job. Offrir du rêve, ce n'est pas le plus ingrat des métiers.

Futuroscope

CA 2005 : 61,5 million d'euros

Salariés : 700 équivalents temps plein

Fréquentation : 1,435 million de visiteurs payants

Cité des sciences

CA 2005 : 19 millions d'euros + 81 millions d'euros de subventions

Salariés : 1002

Fréquentation : 1,9 million de visiteurs payants

Sur le handicap, la Villette met le turbo

Le Futuroscope et la Cité des sciences ont tous deux reçu le label Tourisme et Handicap pour l'accueil des visiteurs handicapés moteurs, mentaux et sensoriels.

En termes d'insertion, les deux parcs scientifiques sont au coude-à-coude. Actuellement, 23 salariés handicapés (sur 1 000) travaillent à la Cité, contre 19 (sur 700) au Futuroscope.

Le musée vient également de signer le 7 février dernier une convention avec l'Agefiph pour atteindre, voire dépasser, l'obligation d'emploi de handicapés fixée à 6 % de l'effectif total. Il s'engage aussi à sensibiliser et à former en interne son personnel pour favoriser l'accompagnement humain et technique des collègues handicapés. Action plus ciblée du côté du Futuroscope. Partenaire de l'association Paul Guinot, qui milite pour l'insertion des aveugles et des malvoyants, le parc propose depuis 2005 une attraction baptisée « Les yeux grands fermés », un parcours dans l'obscurité la plus totale où les visiteurs sont guidés par des malvoyants. Grâce à sa rencontre avec un touriste agent du Trésor public, Gilles, l'un des animateurs, vient d'y décrocher un CDI de comptable !

Auteur

  • Corinne Rieber