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Vie des entreprises

La fausse bonne idée du contrat unique de travail

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.06.2006 | Jean-Emmanuel Ray

Plusieurs rapports d'économistes (Cahuc-Kramarz, Camdessus) préconisent la création d'un « contrat de travail unique », plus exactement d'un contrat unique de travail, assorti d'un régime de rupture peu contraignant. L'idée, en apparence séduisante, résiste mal aux exigences des textes communautaires et de l'OIT ainsi qu'à l'analyse des besoins des entreprises.

L'économétrie est la plus puissante des écoles de l'imagination : aucun poète n'a jamais interprété la nature comme un économètre la réalité. »

C'est le sentiment qu'a l'amateur de Jean Giraudoux (qui évoquait les juristes) à la lecture de récents rapports de talentueux économistes français modélisant le marché du travail et maniant des équations qui laissent le juriste béat (« cela doit être beau, puisque je n'y entends goutte »). Les modèles mathématiques sont effectivement moins improbables que le social, qui ignore jusqu'à l'expression « toutes choses égales par ailleurs ».

Au-delà du très gaulois « contrat-vendanges » et de la galaxie des contrats aidés, personne ne peut certes défendre la multiplication à l'infini des contrats de travail, toujours plus dérogatoires par rapport au modèle initial. Pour les nombreux marchands de complexité, ce marché est porteur. Mais, pour l'employeur qui veut employer, tout cela est parfaitement illisible et nuit à l'embauche, surtout si la sortie de ces multiples contrats lui semble insécure. D'où l'idée de vouloir clarifier le système en l'unifiant. Et voilà le « contrat de travail unique » lancé par le rapport de Pierre Cahuc et Francis Kramarz, repris sous une forme légère par Michel Camdessus puis par l'OCDE (« Objectif croissance 2006 »). CTU qui devait constituer le troisième et dernier étage de la fusée « nouveaux contrats » avant que le second (le CPE après le CNE) n'explose en vol.

Au-delà du terme retenu – contrat unique de travail (CUT), plutôt que de travail unique –, de quoi s'agirait-il selon le rapport Cahuc ? D'un contrat à durée indéterminée. Pour éviter en particulier la si redoutée requalification du CDD, il suffisait d'y penser : qualifier ab initio la relation de CDI, dont la flexibilité est avérée et le régime de rupture moins contraignant.

En cas de rupture, l'employeur verse au salarié une indemnité qui croît avec l'ancienneté. Moins de dix-huit mois : 10 % de la totalité des salaires perçus. Plus de dix-huit mois : 2/10 de mois par an. Plus de dix ans : 3/10 de mois par année supplémentaire.

En contrepartie de la suppression de l'obligation de reclassement mais aussi pour intéresser directement les entreprises aux coûts pour la collectivité des licenciements prononcés, il verse aux services de l'emploi une contribution de solidarité (environ 2 % du salaire annuel) pour financer les dépenses d'accompagnement. Car la signature de ce contrat offre en cas de rupture l'assurance d'un accompagnement personnalisé et d'un revenu de remplacement.

But plus général de l'opération : insuffler une culture de la mobilité externe à la britannique ou à l'américaine, où n'existe pas notre summa divisio légale CDI/CDD. Il est moins traumatisant de perdre son emploi si la rupture est banalisée, le chômage mieux indemnisé, et si trouver un autre job est plus facile en raison de la fluidité retrouvée du marché du travail.

1° UNE IDÉE D'ÉCONOMISTE : L'ARGENT PEUT TOUT

Pour l'homo economicus rationnel, tout a un prix, tout est fongible en argent. Une meilleure indemnisation de la rupture du CUT, une prise en charge améliorée du futur chômeur permettraient donc d'atteindre deux buts essentiels. Mais est-ce aussi simple ?

a) Échapper à toute procédure ? S'agissant du licenciement pour faute, le Conseil constitutionnel a, de façon créative en évoquant les droits de la défense visant le procès, indiqué dans sa décision du 30 mars 2006 : « Le principe des droits de la défense qui résulte de l'article 16 de la Déclaration de 1789 impose le respect d'une procédure contradictoire dans les cas de licenciement prononcé pour un motif disciplinaire » : au minimum, donc, une convocation et un entretien préalable. Même si le législateur souhaite déblayer demain le terrain devant le CUT en supprimant du Code tout le chapitre relatif au droit disciplinaire, il encourt la censure. S'agissant du licenciement économique, même si était abrogé l'ensemble de ce droit très « procès-dural » du fait de sa sédimentation depuis 1975, il paraît difficile de nous soustraire à la directive du 20 juillet 1998 sur les licenciements collectifs, à celle du 11 mars 2002 sur l'information-consultation des travailleurs et à celle relative au transfert d'entreprise du 12 mars 2001 : rompre certains CUT la veille de la cession ? L'humour bien connu de la CJCE et de la chambre sociale a des limites.

b) Soustraire au contrôle du juge la cause de la rupture ? Il est permis de rêver. À l'occasion du CPE, le Conseil constitutionnel a fixé des limites prévisibles : « Il appartiendra à l'employeur d'indiquer les motifs de cette rupture afin de permettre au juge de vérifier qu'ils sont licites et [de] sanctionner un éventuel abus de droit. Il appartiendra notamment au juge de vérifier que le motif de la rupture n'est pas discriminatoire et qu'il ne porte pas atteinte à la protection prévue par le Code du travail pour les femmes enceintes, les accidentés du travail et les salariés protégés. »

Il faudrait alors abroger ces protections spécifiques, visées par des textes internationaux et/ou constitutionnels.

La veille, le 29 avril 2006, la chambre sociale avait décidé qu'était « d'application directe devant les juridictions nationales […] l'article 11 de la convention internationale du travail n° 158 ». Or l'article 4 de cette convention prohibe les licenciements sans « motif valable lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur, ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise ». Dénoncer alors la convention 158 ? « Motif valable » figure également à l'article 24a de la Charte sociale européenne, mais aussi à l'article 30 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union repris par l'article II-90 du projet de traité (« Tout travailleur a droit à une protection contre tout licenciement injustifié »). Certes, le Conseil d'État avait dû rappeler le 19 octobre 2005 que « cette Charte n'a pas été introduite dans l'ordre juridique interne ». Mais cette exigence (qui ne se confond pas avec la notification motivée du licenciement) ne relève-t-elle pas du simple respect de la dignité du collaborateur bientôt exclu de l'entreprise ?

Avec le CUT, la summa divisio motif personnel/économique disparaît. Motif personnel : pourra-t-on rompre ce contrat à durée indéterminée en raison d'un retard de dix minutes ? Pour un salarié avec un an d'ancienneté ? Avec douze ans ? Après que le législateur aura dû, pour donner son envol au CUT, abroger L. 122-14-4 sur la cause réelle et sérieuse, la jurisprudence ne créera-t-elle pas, à côté du classique abus de droit, une cause sérieuse et réelle légitimant la rupture du CUT ?

S'il est vrai que le très approfondi contrôle judiciaire du licenciement économique peut apparaître décalé, quid du subtil équilibre liberté d'entreprendre/droit d'obtenir un emploi si le juge ne doit plus rien contrôler, y compris l'obligation de reclassement désormais externalisée ? Même si l'on peut s'interroger sur la réalité concrète de cette obligation, cette externalisation ne sera pas sans impact sur la GPEC : le risque de se voir condamné pour défaut de reclassement incite l'entreprise à agir en amont.

2° UN CONTRAT CONTRAIRE AUX BESOINS DES ENTREPRISES, SINON AU SENS COMMUN

Sans doute l'amour, la santé et la famille sont-ils effectivement précaires, mais il n'est pas certain que précariser aussi le travail – et la valeur travail – en soit la suite logique et nécessaire. Même si, contrairement aux idées reçues, le taux de CDD reste stable en stocks (7 % des contrats de travail en France, contre 33 % en Espagne et 14 % en Allemagne), comme d'ailleurs la durée moyenne d'un CDI : onze ans en France, contre douze en Italie, huit en Grande-Bretagne et 10,5 dans l'Union européenne.

Si contrat unique il y a, disparaît alors le plus vieux contrat de l'humanité, le CDD : des journaliers et saisonniers de la Bible aux « services à temps » du Code civil de 1804. Or il n'est pas évident que les entreprises souhaitent se lier par CDI pour une tâche à durée tout à fait déterminée de quarante-huit heures ou de deux mois, durée moyenne d'un CDD. L'échéance prévue est psychologiquement moins coûteuse pour les deux parties, et judiciairement moins risquée que le contrôle du motif valable d'un licenciement : car comment qualifier cette rupture d'un CDI après la période d'essai ou de consolidation ? Un CUT est rompu au bout de trois semaines ou seize mois : l'employeur appréciera-t-il d'être obligé de se justifier devant les prud'hommes, alors qu'aujourd'hui il indique simplement que le CDD est arrivé à son terme ? Sur le plan humain, et si les mots ont encore un sens, peut-on raisonnablement annoncer à un salarié qu'il est embauché en CDI… jusqu'à demain ?

Si contrat unique il y a, disparaît enfin le CDI d'aujourd'hui. Or, au-delà des problèmes liés à notre évolution démographique et aux devoirs liés à une responsabilité sociale de l'entreprise dont on espère qu'elle ne commence pas uniquement à plus de 5 000 kilomètres du siège social pour attirer puis fidéliser une main-d'œuvre rare ou le Mozart du marketing, il faut un plus par rapport au marché. Comment demander à un collaborateur de s'engager alors que l'entreprise ne le fait pas elle-même ? Comme l'a montré l'attristant feuilleton du CPE, ce type de contrat pose un problème de motivation.

En outre, avant que le CUT ne monte en puissance, quid de nos treize bons vieux millions de CDI ancienne formule ? De plus en plus attentifs à la sécurité juridique, Conseil constitutionnel et Cour de cassation ne laisseront guère de place à l'improvisation.

Nécessaire abrogation de dizaines de pages de l'actuel Code liées au licenciement – ce qui n'est pas en soi un défaut mais un chiffon rouge nécessitant pendant environ sept ans une certaine témérité après l'imbroglio du CPE – contre espoir de simplification : « Le grand avantage d'une loi nouvelle est de remplacer des inconvénients connus par des inconvénients inconnus. »

FLASH
CUT et conventions collectives

La naissance du contrat unique de travail devrait entraîner un vaste mouvement de révision/dénonciation des conventions collectives ayant créé des procédures disciplinaires ou de licenciement spécifiques, auxquelles la chambre sociale donne un effet supérieur à la procédure légale.

Comme le rappellent les arrêts du 31 janvier 2006 (conseil de discipline) et du 31 mars 2006 (mise en demeure avant licenciement), elles constituent « une garantie de fond : le licenciement prononcé en méconnaissance de la procédure conventionnelle ne peut avoir de cause réelle et sérieuse ». Rappelons qu'en cas de violation de la procédure légale cette simple irrégularité est sanctionnée par une indemnité d'un mois de salaire maximum.

Le contrat unique de travail pourrait également susciter quelques réserves du côté des partenaires sociaux européens (accord-cadre européen du 18 mars 1999 sur le travail à durée déterminée, ayant conduit à la directive du 28 juin 1999) et français (accord national interprofessionnel du 24 mars 1990 relatif aux contrats de travail à durée déterminée et au travail temporaire, ayant donné lieu à la loi du 12 juillet 1990) confrontés à ce E.T. juridique, après avoir longuement négocié sur le CDD.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray