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Enquête

Pourquoi la pauvreté gagne du terrain

Enquête | publié le : 01.06.2006 | Éric Béal

Plus de 7 millions de pauvres en France, si l'on retient le standard européen ! Un phénomène massif nourri par la persistance du chômage, mais aussi par la montée de l'emploi précaire et la multiplication des travailleurs pauvres. Mauvaises conditions de logement, ruptures familiales et insuffisance de qualification sont d'autres accélérateurs de pauvreté.

Pauvre. Marlène n'aurait jamais pensé porter un jour cette étiquette. Un licenciement en 2001, des CDD à la pelle : six mois chez un traiteur, trois dans une caisse primaire d'assurance maladie… ont pourtant suffi à la faire basculer. « Ces petits boulots ne m'ont pas permis de renouveler mes droits aux Assedic. » À 40 ans, cette secrétaire célibataire vit sur les 400 euros mensuels de l'allocation de solidarité spécifique, auxquels s'ajoutent des chèques mobilité et une cinquantaine d'euros donnés sous forme de chèques multiservices par le centre communal d'action sociale de sa commune… et paie un loyer de 380 euros par mois. Les dettes s'accumulent, les amis finissent par déserter et la solitude se fait pesante. « J'ai du mal à garder le moral. Cette situation me fait honte. »

Comme Marlène 3,7 millions de personnes, dont 1 million d'enfants, vivaient au-dessous du seuil de pauvreté à la fin 2003, soit 6,3 % de la population française, d'après le dernier rapport de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale. En un an, le nombre d'exclus a progressé dans l'Hexagone puisque l'Insee a enregistré 263 000 pauvres supplémentaires entre 2002 et 2003, selon l'indicateur de pauvreté monétaire (voir encadré page 22). Mais ce seul chiffre ne mesure pas toute l'ampleur du phénomène. En France, le seuil de pauvreté correspond à la moitié du revenu médian, soit 645 euros mensuels pour une personne seule. Alors qu'en adoptant le standard européen (60 % du revenu médian) on décompterait 7,2 millions de pauvres, soit pratiquement un Français sur huit. Un taleau noir qui a fait réagir le gouvernement. Dominique de Villepin a promis des « objectifs chiffrés » pour torpiller la pauvreté dès janvier 2007. Cette énième annonce vient s'ajouter à la longue liste des mesures déjà prises pour stopper la spirale : du plan Borloo pour doper le logement social à la loi de retour à l'emploi du 23 mars qui entend inciter les allocataires de minima sociaux à trouver du boulot…

Mais, au-delà des chiffres, « il n'y a pas, d'un côté, les pauvres correspondant strictement à la définition statistique du terme et, de l'autre, 90 % de la population à l'abri de la pauvreté. On observe une diffusion des facteurs de précarité […] », explique Martin Hirsch, dans la Nouvelle Critique sociale (éditions Seuil, collection « La République des idées »).

Cette extension de la précarité s'explique, selon Denis Fougère, directeur de recherche au CNRS et membre du Centre d'analyse stratégique, par la montée continue du chômage. Celle-ci a provoqué une exclusion durable : « La précarité de l'emploi s'est accrue et a engendré une précarisation des parcours professionnels. » De fait, 40 % des actifs pauvres sont des chômeurs, dont un quart seulement sont indemnisés. Président du collectif d'associations caritatives Alerte et directeur de l'action institutionnelle au Secours catholique, Gilbert Lagouanelle déplore pour sa part un phénomène en aggravation. « Certes, 62 % des adultes accueillis par les associations sont en situation de chômage non indemnisé. Mais, parmi le million et demi de personnes qui viennent au Secours catholique, la moitié sont des enfants. Un nombre croissant de seniors de moins de 60 ans nous sollicite également. Enfin, nous accueillons aussi beaucoup de travailleurs précaires, en intérim ou en CDD. »

Ces travailleurs pauvres, qui ont un emploi mais ne disposent pas d'un revenu suffisant pour se loger, les centres d'Emmaüs en reçoivent régulièrement. Figures connues depuis des décennies aux États-Unis, ils sont désormais une réalité en France où l'on a longtemps considéré que le modèle social conjuguant un haut niveau de couverture sociale, un droit du travail protecteur et un revenu minimum élevé préservait les actifs de la pauvreté. Chantre de la valeur travail, Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, s'est rendu compte des failles du système le jour où le réseau Alerte lui a présenté un salarié de Monoprix qui vivait dans la rue depuis trois mois faute de pouvoir obtenir un logement social. Contrairement à l'idée couramment répandue, les working poor à la française ne sont pas uniquement des salariés à bas salaire. L'Observatoire national de la pauvreté définit le travailleur pauvre comme « une personne qui a travaillé au moins une partie de l'année, mais n'a pas retiré de ce travail des ressources suffisantes pour assurer à son ménage un niveau de vie supérieur au seuil de pauvreté ». Autrement dit, un salarié à temps plein payé au smic ayant trois enfants avec un conjoint sans activité rémunérée peut très bien faire partie de ces nouveaux exclus.

On a longtemps considéré que le modèle social français conjuguant un haut niveau de protection sociale, un droit du travail protecteur et un revenu minimum élevé préservait les actifs de la pauvreté

Pour Pierre Concialdi, chercheur à l'Ires, deux raisons expliquent cette multiplication des travailleurs pauvres. « L'emploi précaire et flexible s'est généralisé. 25 % des travailleurs pauvres sont des salariés à temps partiel ou qui alternent des périodes d'emploi et de chômage. Mais l'augmentation des travailleurs pauvres est également nourrie par la dévalorisation des salaires et des prestations sociales depuis trente ans. » En 2003, les personnes à temps complet toute l'année représentaient plus d'un tiers (35 %) de l'ensemble des actifs pauvres.

Outre les conditions d'emploi, d'autres facteurs sont à l'origine de la spirale de l'exclusion. Les difficultés à se loger, par exemple. Christian est informaticien. Après son divorce, il a quitté le Nord pour refaire sa vie dans la région parisienne. « Je m'en sors parce que je suis hébergé par des amis, mais cette situation ne facilite pas ma recherche d'emploi », explique-t-il. RMIste, il vit avec 381 euros par mois, bien trop peu pour prétendre à un toit et à une adresse sur un CV. Il est loin d'être le seul à vivre une telle situation. La Fondation Abbé Pierre estime qu'environ 1 million de personnes sont actuellement hébergées chez un tiers. À l'inverse, avoir une feuille de paie n'est pas non plus l'assurance de pouvoir se loger. La Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars) souligne que la moitié des personnes hébergées par ses adhérents en Ile-de-France pourraient payer un loyer en HLM si des logements de ce type étaient disponibles. « Il y a urgence, explique Nicole Maestracci, présidente de la Fnars. L'insertion passe par le logement. On n'a pas de projet professionnel sans savoir où l'on va vivre. »

Autre problème, les ménages pauvres s'installent en périphérie des agglomérations où les loyers sont moins élevés, alors que la majorité des emplois sont en centre-ville, indique l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale. Les coûts de transport découragent certains d'accepter des emplois, surtout à temps partiel. « Une réflexion sur la mobilité est indispensable pour faciliter les retours à l'emploi », estime Michel Dollé, rapporteur général du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (Cerc). L'éclatement de la cellule familiale et la solitude sont également des facteurs de précarité. Nadine vit seule avec deux enfants. Au chômage depuis quelques semaines, elle attend avec impatience de bénéficier de l'allocation de parent isolé tout en fréquentant assidûment son agence ANPE. « Le plus difficile était de concilier les horaires de travail et la garde des enfants. Je n'ai pas pu bénéficier d'une place en crèche et ma famille est éloignée. Quant à payer quelqu'un, je n'avais pas les moyens. »

La fragilité des familles monoparentales tient pour beaucoup à la difficulté pour un seul adulte de combiner vie professionnelle et vie familiale, note-t-on au Secours catholique, où 26 % des personnes accueillies en 2003 étaient des mères isolées. De son côté, l'Observatoire de la pauvreté souligne que les familles monoparentales connaissent un taux de pauvreté deux fois supérieur à celui de l'ensemble de la population. Les ruptures familiales sont aussi un élément non négligeable. Rajaa, 25 ans, est partie de chez elle à sa majorité pour vivre de petits boulots, avant de trouver récemment sa voie grâce au Secours catholique. « Jusqu'à présent, j'ai été très seule. La mission locale se contentait de me signaler les offres en grande surface. Je vis avec 325 euros par mois mais j'ai repris confiance depuis que j'ai entamé une formation pour obtenir un brevet professionnel d'animatrice. »

Dernier élément déclencheur de la précarité, le manque de qualification. « La majorité des personnes qui viennent nous voir ont peu ou pas de formation, explique Michel Vigneau-Cazalaa, un ancien patron qui anime le service emploi du Secours catholique à Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Ils veulent des emplois fixes, mais beaucoup ne trouvent que des CDD, de l'intérim ou des emplois aidés. Il faudrait réformer l'accompagnement des personnes en difficulté et leur permettre de suivre des formations si l'on veut réduire la pauvreté de façon durable. » Pour Nicole Maestracci, de la Fnars, il faudrait surtout « mettre en place une politique sociale pérenne, au-delà des alternances politiques. Avec des objectifs concrets, sur lesquels pouvoirs publics et intervenants de terrain se seraient mis d'accord. Jusqu'à présent, les mesures annoncées manquent de cohérence et certaines sont le résultat de redéploiements budgétaires qui n'apportent pas de moyens supplémentaires ». Une critique qui vise notamment le dernier effet d'annonce du Premier ministre.

L'insee a enregistré 263 000 pauvres de plus entre 2002 et 2003

Pas simple, la notion de pauvreté

Aux États-Unis, le seuil de pauvreté officiel est « absolu ». Il est défini à partir du coût de satisfaction des besoins alimentaires minimaux, fixé par le ministère de l'Agriculture en 1961 et réévalué depuis en fonction de l'inflation.

En France, le seuil de pauvreté officiel est « relatif ». Son montant représente 50 % du revenu médian et varie avec lui chaque année. Pour un ménage, ce calcul est pondéré par le nombre d'unités de consommation : 1 pour le premier adulte, 0,5 pour chaque personne de 14 ans et plus, 0,3 pour un enfant.

Basées sur les revenus monétaires, ces définitions ne peuvent appréhender le caractère multidimensionnel de la pauvreté. Pour répondre à cette critique, le Réseau d'alerte sur les inégalités propose un baromètre des inégalités et de la pauvreté, intégrant six dimensions : emploi, logement, pauvreté, revenus, travail et santé. Les statistiques recueillies sont agrégées en s'inspirant des méthodes employées par l'ONU pour obtenir l'indice du développement humain. Mais la fabrication de cet indice introduit une part d'appréciation subjective.

De son côté, l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale surveille l'évolution de 11 indicateurs parmi lesquels, outre le revenu, l'évolution du nombre d'allocataires de certains minima, le taux de renoncement aux soins pour raisons financières ou le taux de sortants du système scolaire à un faible niveau d'études. Un groupe du Conseil national de l'information statistique travaille à un système cohérent d'informations sur les inégalités sociales, les revenus et la pauvreté.

Benoît Genuini : “Rapprocher les entreprises et les associations”

Ancien président d'Accenture France, Benoît Genuini est trésorier de l'Agence nouvelle des solidarités actives, qui compte parmi ses fondateurs Martin Hirsch, président d'Emmaüs France, et Étienne Grass, inspecteur de l'Igas.

Quel est l'objet de l'Agence nouvelle des solidarités actives ?

Nous voulons nous attaquer concrètement à la résolution des problèmes de pauvreté. En aidant les collectivités locales et les intervenants de terrain à mener des expériences, à en tirer des enseignements et à généraliser les bonnes pratiques éventuelles.

Une méthode bottom up, selon la terminologie des consultants.

Y a-t-il déjà des expériences en cours ?

Les départements de l'Eure, de la Meurthe-et-Moselle et de la Côte-d'Or nous ont sollicités pour créer un revenu de solidarité active. L'Eure nous a également demandé un appui à la diversification des projets d'insertion de personnes en difficulté. La Meurthe-et-Moselle veut mettre en place un nouveau contrat aidé en faveur des bénéficiaires du RMI.

Sur ces questions, vous vous positionnez comme un cabinet de consultants spécialisés ?

Oui, mais pas seulement. L'autre idée est de rapprocher deux mondes qui se côtoient rarement : les entreprises, d'une part, et les associations caritatives, d'autre part. Nous allons solliciter l'aide du Medef pour développer le prêt de cadres aux associations intervenant sur le terrain. Ils seraient porteurs de projets. Leurs compétences permettraient la création de nouveaux ateliers d'insertion ou la mise en place d'un groupement d'employeurs pour l'insertion et la qualification. Je sais, pour l'avoir constaté à Accenture, que nombre de cadres expérimentés seraient séduits par cette expérience.

ENTRETIEN AVEC MICHEL ROCARD, DÉPUTÉ EUROPÉEN
“Seule l'Europe a la dimension pour réduire la pauvreté, mais aujourd'hui elle est morte”

Si c'était à refaire, réinventeriez-vous le RMI ?

Naturellement. En France, c'est la première aide sociale qui s'adresse à des adultes valides. Jusque-là, on aidait spécifiquement les mères célibataires, les personnes âgées, les malades, les handicapés… Le RMI était le moyen de traiter un flux de chômeurs en fin de droits jusqu'à ce qu'ils retrouvent du travail, l'allocation de survie s'accompagnant d'une démarche d'insertion. Mais, avec 500 000 allocataires en 1988, il était déjà très difficile de trouver des personnels en nombre suffisant capables de mener ces démarches d'insertion. Alors à 1,2 million, le RMI craque de toute part. Mais cela n'enlève rien à l'intuition première des fondateurs du revenu minimum d'insertion. Si des adultes valides sont au chômage, ce n'est pas seulement leur faute.

Dès l'origine, vous avez confié l'insertion aux départements. Est-ce que c'était une bonne idée ?

Je n'ai pas eu le choix. Ma première intention était de laisser la gestion du RMI aux préfets. Mais les parlementaires m'ont rappelé fort à propos que nous venions de lancer la décentralisation. Confier le lancement du RMI aux conseils généraux était donc un passage obligé. La loi ne serait pas passée sans cela. J'ai décentralisé le RMI parce que la France se décentralisait. Je savais que les personnels des conseils généraux auraient plus de mal à entrer dans cette démarche très innovante mais, après tout, c'est le pari de la décentralisation.

Le RMI est parfois accusé d'agir comme une trappe à inactivité qui enferme les allocataires dans l'assistance. Vous y attendiez-vous ?

Nous en avions énormément parlé à l'époque au sein du Parti socialiste, où l'idée du RMI est née. Nous nous sommes rendus à l'urgence sociale. Nous avions estimé à l'époque que ce revenu minimum allait concerner entre 400 000 et 600 000 personnes sans ressources qui, sans cela, allaient crever de faim. Alors songer à la désincitation au travail dans ce contexte apparaissait comme un luxe. Néanmoins, c'est principalement à cause de ces effets pervers que la loi sur le RMI est la première qui comporte son propre dispositif d'évaluation. Aujourd'hui, si le marché de l'emploi se portait bien, je serais favorable à une réduction de l'allocation. Mais dans la situation actuelle ce serait un scandale moral. De toute façon, le meilleur moyen de combattre ces effets pervers reste l'insertion. Et la principale variable sur laquelle il faut jouer en période de récession, c'est la formation professionnelle. Globalement, les chômeurs ont un niveau de qualification inférieur à celui qui est demandé aujourd'hui sur le marché du travail.

Le taux de chômage des jeunes de moins de 26 ans est aujourd'hui de 22 %. N'est-ce pas une erreur que de les exclure du RMI ?

L'argument majeur était de ne pas provoquer, chez les jeunes, une désincitation au travail au moment de la recherche d'un premier emploi. À la sortie de l'école, les jeunes sont beaucoup plus proches de l'emploi qu'un chômeur de 35 ans qui aura plus de mal à reprendre une formation.

Faut-il fusionner les trois minima d'insertion comme le préconise un récent rapport sénatorial ?

L'idée de simplifier le système me paraît bonne. Le manque de simplicité compromet la bonne marche des politiques d'insertion et leur compréhension. Mais il faut regarder attentivement ce que l'on fait. Dans ce domaine, lorsqu'on touche à quelque chose, on peut aussi aggraver certaines situations.

On voit se multiplier en France les working poor. L'emploi est-il le seul rempart contre la pauvreté ?

Ce phénomène est bien connu aux États-Unis. L'existence du salaire minimum et notre système de protection sociale ont retardé son arrivée en France. Mais, quel que soit le pays, on observe que la somme des chômeurs et des travailleurs précaires représente toujours entre 20 et 25 % des actifs. L'une des solutions serait peut-être d'instaurer un revenu citoyen. Mais on ne pourrait pas le mettre en place tout en conservant l'ensemble des aides existantes.

Un revenu universel, est-ce la meilleure réponse à la pauvreté ?

Inutile de tourner autour du pot. Aussi longtemps que la croissance ne sera pas au rendez-vous, ces remèdes sont des cautères sur une jambe de bois. Cela ne fait que soulager la douleur sociale. La solution, c'est de combattre le malthusianisme de notre politique économique, d'utiliser les finances publiques dans un objectif de relance, même quand on est en déficit, mais d'être plus rigoureux sur la résorption de ces déficits en période de croissance.

Quelles autres réformes sont nécessaires ?

J'ai longtemps cru qu'il fallait accompagner un capitalisme intelligent nous permettant de développer une société à peu près harmonieuse, de liberté, de consommation et de bien-être. Mais je constate aujourd'hui que nous allons dans le mur. Le capitalisme financier génère chômage et emploi précaire. De plus, les multinationales, qui tirent l'économie, maintiennent une pression constante pour augmenter leurs profits au détriment des salaires. Aucun des pays européens ne peut sortir seul de ce carcan.

Il faudrait une coalition mondiale pour imposer des règles : une limitation légale et fiscale des salaires des dirigeants d'entreprise pour mieux répartir les profits, un contrôle des OPA, qui seraient autorisées uniquement lorsqu'il n'y a aucune crainte de voir renforcer le travail précaire dans l'entreprise rachetée. Il faut aussi renforcer le poids du pouvoir syndical dans les conseils d'administration.

Quel rôle doit jouer l'Europe dans la lutte contre la pauvreté ?

Seule l'Europe a la dimension pour ramener la croissance, rééquilibrer nos sociétés et réduire la pauvreté, mais la vérité, c'est qu'aujourd'hui l'Europe est morte. Le résultat du référendum sur le projet constitutionnel a bloqué son évolution. Et les perspectives financières adoptées par le Conseil des ministres en novembre 2005 aggravent la situation. Avec un budget correspondant à 1,05 % du PIB des États membres, contre l'avis de la Commission qui voulait 1,24 %, l'Europe est interdite de toute relance économique pour sept ans.

En Grande-Bretagne, Tony Blair a lancé un plan de réduction de la pauvreté, avec des objectifs chiffrés. Est-ce la bonne méthode ?

La réduction du nombre d'enfants pauvres en Angleterre a été réelle grâce à des efforts concertés, mais cela ne garantit pas les résultats scolaires ni l'avenir de ces enfants dans quelques années. À la place de Tony Blair, je lancerais aussi ce genre de programme global touchant tous les aspects de la pauvreté, mais il ne faut pas faire croire que l'on résolve le fond du problème avec ce seul type de dispositif. Cessons de bricoler.

Dominique de Villepin veut aussi fixer des objectifs quantifiés de réduction de la pauvreté…

Tout ça c'est du pipeau. Tant que nous n'avons pas retrouvé la croissance, un quart de notre main-d'œuvre sera en situation de précarité.

Propos recueillis par Éric Béal, Anne-Cécile Geoffroy et Jean-Paul Coulange.

MICHEL ROCARD

L'ancien Premier ministre socialiste de François Mitterrand, aujourd'hui député européen, a instauré le RMI en 1988.

Auteur

  • Éric Béal