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Vie des entreprises

Pierre-Yves Legris veut fédérer ses troupes autour de bonnes pratiques

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.05.2006 | Éric Béal

Guide du manager, culture de groupe, formation à l'économie… le patron de Legris Industries, spécialiste du raccordement pour la distribution de fluides, met tout en œuvre pour resserrer les liens avec ses salariés. En s'appuyant sur les managers.

Une maison fondée en 1848, qui pourra bientôt prétendre à entrer dans le club fermé des Hénokiens, un actionnariat demeuré à large majorité familial (61 % du capital), des dirigeants qui se succèdent de père en fils, une assise bretonne revendiquée… Sur le papier, Legris Industries est un parfait exemple de success story à la française. Mais, en réalité, le mode de fonctionnement du groupe breton n'est pas très éloigné de celui d'un groupe international diversifié, à l'instar d'un champion comme Saint-Gobain. Le spécialiste du raccordement industriel pour la distribution de fluides a peu à peu investi dans des activités de plus en plus éloignées de son métier d'origine. Les raccords pour les circuits de chauffage et de sanitaire domestiques, avec la prise de contrôle de Comap ; la fabrication de grues, avec celles de Potain et de PPM ; l'instrumentation, avec l'achat de Bourdon Sédème ; ou encore la conception et l'installation d'équipements automatisés pour entrepôts à travers Savoye. Tournant le dos à une gestion patrimoniale, Pierre Legris, puis son fils Pierre-Yves Legris, l'actuel président du directoire, ont acheté, développé puis revendu des entreprises.

Après la cession de Potain, de PPM et de Bourdon Sédème au cours des dix dernières années, Legris Industries s'est séparé de Comap (1 244 personnes) fin mars, ne gardant que sa division fluides industriels (Legris SA), forte de 1 683 salariés, et sa division logistique (Savoye), qui compte 507 salariés. « Comap est numéro trois en Europe sur ses marchés. Il aurait fallu procéder par croissance externe pour l'amener à une taille critique. L'opération nécessaire, compte tenu de la taille des acteurs, était au-dessus de nos moyens financiers, explique Pierre-Yves Legris. C'est pourquoi nous l'avons cédée à un groupe néerlandais qui va développer l'entreprise et pérenniser les emplois. » Quant aux 2 223 salariés du groupe Legris Industries, ils peuvent s'attendre à l'arrivée de nouvelles têtes. Car les capitaux dégagés dans l'opération dopent les ambitions industrielles du groupe. « Nous sommes en mesure d'acheter une société de 150 à 200 millions d'euros de chiffre d'affaires chaque année, au cours des prochains trente-six mois », indique Hugues Robert, le directeur général. Le périmètre du groupe devrait donc encore fortement bouger. À charge pour les dirigeants de réussir l'intégration des différentes entités.

1 Appuyer le management sur les valeurs

L'air est rempli d'iode. Mais les salariés n'y prêtent aucune attention avant d'entrer dans l'usine Legris de Muzillac, à proximité du golfe du Morbihan. À l'intérieur, dans un vacarme assourdissant, une vingtaine de presses automatiques façonnent des pièces en PVC, qui vont ensuite alimenter des chaînes de montage largement robotisées, situées dans un hall adjacent. Le reste sera acheminé vers d'autres sites de production. Comme toutes les usines du groupe, le site de Muzillac compte moins de 200 salariés. « C'est un choix délibéré, explique Pierre-Yves Legris. Dans une usine où tout le monde se connaît, les problèmes humains peuvent se régler plus facilement par la discussion, sans avoir à se référer au Code du travail. »

Cette organisation éclatée, couplée avec une réflexion stratégique poussée et une certaine rigueur de gestion, est le fondement du système Legris. « La qualité de nos fonctions support nous a permis de réussir nos diversifications successives en donnant aux responsables de division les moyens de développer leur périmètre », estime Hugues Robert, le directeur général du groupe. Du côté des représentants du personnel, l'analyse est quelque peu différente. « La dispersion des sites permet aux managers de faire ce que bon leur semble », estime un élu du comité d'entreprise.

Pour « créer de la valeur économique et actionnariale », son credo, la direction de Legris Industries en appelle à l'imagination, l'exigence, la proximité et la transparence, les quatre piliers du projet d'entreprise que Bénédicte Peronnin, la DRH groupe, est chargée de concrétiser depuis deux ans et demi. Une réflexion qui s'est traduite, il y a quelques mois, par la diffusion d'un « Guide du manager ». Élaboré par un groupe de travail auquel les représentants du comité de groupe ont été associés, il a été remis à chacun des 800 managers de Legris Industries, qu'ils soient cadres ou non-cadres.

En 76 pages, chacune des quatre valeurs de l'entreprise est déclinée en comportements que les managers sont invités à adopter avec leurs collaborateurs. Le vade-mecum du parfait manager de Legris décrit ensuite les bonnes pratiques que l'on attend de lui, qu'il s'agisse de recruter ou d'accueillir un collaborateur, d'évaluer la performance, d'animer une équipe ou encore de conduire le changement. À l'avenir, ce livret devrait être présenté à l'ensemble des salariés par l'intermédiaire d'une formation. Un forum de discussion sur l'intranet RH est également envisagé par Bénédicte Peronnin, car « un guide, aussi bien fait soit-il, n'est pas suffisant pour modifier en profondeur des pratiques managériales ».

2 Placer les managers au cœur du projet d'entreprise.

« L'ambition d'avoir un management dont la qualité fasse référence place les managers au centre de notre projet », explique Pierre-Yves Legris, dans la préface du « Guide du manager ». « Les managers qui sont à l'aise avec leurs équipes vont l'utiliser pour s'autoévaluer. Les autres auront plus de mal et auront besoin d'accompagnement pour progresser en management », résume Guy Duhamel, responsable du site de Muzillac.

Le document interpelle les managers, dont une partie de l'entretien annuel de développement et de performance portera dorénavant sur leur comportement et leurs qualités managériales. La direction espère convaincre la hiérarchie intermédiaire petit à petit, tout en expliquant que nul ne pourra se soustraire aux nouvelles règles du jeu. Sur le terrain, les choses évoluent. À Muzillac, le responsable de la production va bientôt pouvoir nommer un adjoint qui l'assistera dans le suivi de la production. « De cette façon, il aura davantage de temps à consacrer au management de son équipe », précise Guy Duhamel.

Élue au CE de l'usine de Muzillac, Béatrice Loyer a reçu le guide, comme ses collègues managers. « J'y ai déjà fait référence car je n'appréciais pas l'attitude de mon responsable à l'égard d'un collègue qui avait fait une erreur. Cela permet de dédramatiser. » Aux yeux de Thierry Battais, délégué syndical CFDT, il était temps. « Jusqu'à présent, il y avait une telle diversité des attitudes chez les managers des différents sites que l'on pouvait se demander si les recommandations de la direction servaient à quelque chose. » Et cela ne fait que commencer, promet Régis Criton, délégué syndical FO chez Savoye et secrétaire du comité de groupe. « Même si certaines recommandations semblent un peu utopiques, le guide est l'outil idéal pour interpeller les managers qui ne prennent pas suffisamment en considération leurs collaborateurs. »

« Le guide doit être un outil exigeant pour tout le monde et contribuer à créer du dialogue pour progresser », affirme Pierre-Yves Legris. Et les managers ne sont pas au bout de leurs surprises. « On a plein d'idées pour avancer », indique Bénédicte Peronnin. Dans ses projets figure l'organisation d'un 360° feed back proposé à chaque manager lors de son entretien de développement et de performance annuel. La mobilité interne devrait être encouragée par l'intermédiaire d'une charte en 2006, qui viendra renforcer l'impact de la gestion de carrière élargie des cadres.

3 Informer et former les collaborateurs.

Située au cœur du vignoble bourguignon, l'usine Savoye de Ladoix-Serrigny est un havre de tranquillité. Ici, pas de cliquetis des chaînes de montage : la moitié des 120 salariés travaillent au bureau d'études ou au service après-vente. La fabrication et le montage de chaînes de tri ne concernent qu'une quarantaine d'ouvriers. Chaque contrat est un projet qui s'étend sur plusieurs mois. L'important est de livrer une installation conforme à la date fixée. Au milieu du hall de montage, un espace de repos a été installé, avec machine à café et panneaux d'information. Les tracts syndicaux ne sont pas les seuls à attirer les regards. Cap Tendance, la lettre d'information économique mensuelle de la direction, figure également en bonne place. Cet outil de communication interne, réalisé en cinq langues, donne l'évolution des indicateurs clés de performance et des résultats financiers du groupe. Il a été mis en œuvre depuis que l'entreprise a quitté le marché boursier, en 2004. « Il permet à chacun de s'approprier les objectifs communs », précise Pierre-Yves Legris.

En parallèle, une formation ludique et interactive d'une journée est proposée afin que tous les collaborateurs puissent comprendre la signification des indicateurs économiques. Quelque 870 personnes l'ont suivie en 2005. Dans la foulée, la DRH groupe a inauguré une université interne et propose Cap Dialogue, un autre programme destiné à faciliter le déroulement de l'entretien annuel. Un effort budgétaire non négligeable. « Hormis chez Legris SA, il y avait de gros décalages entre le discours du groupe sur la progression individuelle de chacun et les faits, » explique-t-on à la direction. Thierry Battais, le délégué CFDT de Legris SA, attend des résultats concrets. « Par le passé, nous avons déjà eu des formations sur ce thème, mais il manquait la volonté d'aller jusqu'au bout de la logique. »

4 Renforcer la culture de groupe

En juillet 2005, Legris SA, la division fluides industriels, a connu un mouvement social pour la première fois depuis trente ans : quelques heures de grève suivie par plus de 80 % des salariés. Un choc pour la direction. « Les augmentations salariales sont excessivement limitées depuis quelques années, traduit Thierry Battais. On explique aux nouveaux embauchés que l'intéressement rapporte jusqu'à trois mois de salaire, mais cela ne s'est produit qu'une seule fois dans l'histoire de l'entreprise. Résultat, les gens sont mécontents. » D'autant que les salariés ne bénéficient ni du treizième mois ni de titres-restaurants.

Cette poussée de fièvre était toutefois prévisible. Fin 2003, une enquête « Valeur sociétale » menée par la DRH groupe auprès des managers, des élus du personnel et d'une partie du personnel soulignait des décalages par rapport aux attentes. Près de la moitié des sondés estimaient que le groupe ne récompensait pas les bonnes performances de ses salariés. Et plus de la moitié des sondés étaient inquiets pour l'avenir.

Face à cette situation, la direction a décidé de resserrer les liens avec le comité de groupe. « J'ai proposé de mieux les informer et de recueillir régulièrement leur avis », indique Bénédicte Peronnin. Autre chantier prévu, le souci de la parité et de la diversité dans la ligne hiérarchique. « Nous avons 40 % de femmes et plus de 40 % de nos effectifs sont situés à l'étranger. Cela doit se traduire dans les instances dirigeantes. »

Pour se rapprocher de l'ensemble de ses salariés disséminés dans une vingtaine de sites industriels et une cinquantaine d'implantations commerciales, et tenter de renforcer la culture de groupe, la direction mise sur sa politique de sponsoring. Legris soutient une dizaine de sportifs qui devraient participer aux épreuves de voile aux JO de Pékin. Pierre-Yves Legris met également en avant la politique d'intéressement en faveur de l'ensemble des collaborateurs. En 2005, chacun d'entre eux a touché l'équivalent d'un mois et demi de salaire au titre de la participation et de l'intéressement. Une somme que les salariés pouvaient investir dans des fonds communs de placement, dont le FCP Legris Avenir qui détient 5 % du capital du groupe. L'actionnariat salarié, rien de tel pour créer un sentiment d'appartenance…

Dates et faits
Chiffre d'affaires 2005 : 468 millions d'euros (70 % hors de France). 3 310 personnes. 26 sites industriels. 49 filiales commerciales

1846

Création de l'entreprise Legris, un fabricant de lanternes de fiacres.

1969

Invention du raccord instantané pour fluides en basse et haute pression.

1985

Introduction au Second Marché de Paris.

1987

Acquisition de Comap et création du groupe Legris Industries.

1989

Rachat de Potain et PPM.

1995

Cession de PPM.

2001

Cession de Potain.

2004

Retrait de la Bourse.

ENTRETIEN AVEC PIERRE-YVES LEGRIS, PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE DE LEGRIS INDUSTRIES
“Il faut arrêter de créer des contrats de travail différenciés pour les PME”

La famille Legris contrôle plus de 51 % du capital de Legris Industries. Cela influence-t-il la façon dont l'entreprise est gérée ?

La gestion d'une entreprise à capitaux familiaux s'inscrit dans la durée. La famille Legris considère que l'actionnaire d'une entreprise n'a pas seulement un rôle économique à jouer mais également un rôle social. Le mode de développement du groupe doit permettre aux salariés de renforcer leur capital de connaissances, leur autonomie et leur capacité à prendre leur destin en main.

Pourtant, vous gérez votre groupe comme une holding financière, en achetant et en revendant des sociétés comme Potain ou Comap. N'est-ce pas contradictoire ?

Pas du tout. En 1987, nous avons cherché à accélérer notre croissance en achetant Comap, une société dont le savoir-faire technique était proche de Legris. Mais nous nous sommes aperçus qu'en réalité ses clients, sa stratégie et même les conditions d'utilisation de ses machines étaient différents des nôtres. Nous avons alors donné aux managers les moyens de développer l'entreprise grâce à une gestion financière rigoureuse, une réflexion stratégique, une capacité à faire évoluer l'activité en s'appuyant sur la gestion des ressources humaines. Nous ne sommes donc pas dans une logique exclusivement financière. Nous conservons nos sociétés jusqu'à atteindre la limite de nos possibilités de développement et nous nous appuyons toujours sur les managers et sur leurs équipes pour avancer.

Vous prônez un certain nombre de valeurs, comme l'exigence ou la transparence. Les avez-vous explicitées de manière que tous vos salariés les respectent ?

Nous les avons formalisées, mais nous avons évité de les afficher au mur. Nous avons préféré nous donner les moyens de les mettre en œuvre. Qu'elles soient connues de tous les salariés n'est pas important. L'entreprise n'est pas une secte où tout le monde doit penser de façon identique. Mais nous avons élaboré des documents comme le « Guide du manager » pour expliquer comment mieux manager en tenant compte de nos valeurs. Par ailleurs, nous limitons la taille de nos sites de production à 150 personnes maximum, de manière à favoriser la proximité et les relations humaines.

Les temps de travail et le dialogue social ne sont pas identiques sur tous vos sites. Les différents outils développés par la DRH groupe ont-ils vocation à homogénéiser les pratiques ?

Il existe des domaines comme le temps de travail, la sécurité, la rémunération ou l'organisation qui sont clairement de la responsabilité du P-DG de chaque division du groupe. D'autres, comme les pratiques managériales et le dialogue social, font l'objet de recommandations ou d'interdictions de la part de la direction centrale. Nous espérons convaincre tous les responsables de division de la justesse de nos valeurs. Ils sont comptables de leur politique et doivent exercer leur jugement dans ce cadre.

Vous êtes l'un des responsables de l'UIMM en Bretagne. Pensez-vous que le Code du travail devrait être simplifié ?

Oui, car il complexifie la décision de recruter pour les petits entrepreneurs et se traduit par une surprotection d'une partie de la population de salariés au détriment des jeunes et des plus âgés qui subissent plus fortement les aléas de l'économie. Je ne souhaite pas que les licenciements soient facilités, mais il faudrait par exemple supprimer la contribution Delalande qui fragilise les seniors. Et arrêter de créer des contrats de travail différenciés pour les petites entreprises, car ils accréditent l'idée qu'un contrat de travail dans une grande entreprise est plus sécurisant qu'un CDI dans une PME.

Êtes-vous favorable aux contrats du type CNE et CPE ?

Le CNE répond bien aux besoins des responsables de PME de moins de 20 salariés qui hésitent à prendre le risque d'embaucher de peur de se tromper et de devoir faire face à une condamnation aux prud'hommes. À l'inverse, le CPE ne se justifiait pas. Il s'adressait à toutes les entreprises. Or, dans les grandes entreprises, les solutions existent déjà.

Propos recueillis par Éric Béal et Jean-Paul Coulange

PIERRE-YVES LEGRIS

NAISSANCE

Le 16 février 1953 à Paris.

PARCOURS

Après des études d'ingénieur, il fait Sciences po et termine par HEC Lausanne.

1981 : il devient responsable du contrôle de gestion et de la logistique à Legris.

1986 : il est promu directeur de Legris SA à la création du groupe Legris Industries.

1992 : il succède à Yvon Jacob à la tête de Legris Industries.

Auteur

  • Éric Béal