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Vie des entreprises

Accord collectif et contrat individuel

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.05.2006 | Jean-Emmanuel Ray

Le contrat individuel de travail peut-il résister aux dispositions stipulées par accord collectif ? En principe oui, si ses clauses sont plus favorables. Mais la réponse s'est compliquée avec la loi Aubry II qui a voulu éviter que les refus individuels des modifications consécutives à un accord 35 heures ne débouchent sur un plan social. Résultat : une abondante jurisprudence.

Un accord collectif ne peut modifier le contrat de travail d'un salarié : seules les dispositions plus favorables de l'accord peuvent se substituer aux clauses du contrat. » Même si le terme « substituer » peut prêter à confusion, l'arrêt du 7 février 2006 doit être rapproché de l'article L. 135-2 : « Lorsqu'un employeur est lié par un accord collectif de travail, ces clauses s'appliquent aux contrats conclus avec lui, sauf dispositions plus favorables. »

« Plus favorables » ? Pendant les Trente Glorieuses, l'article L. 135-2 s'est appliqué sans grande difficulté, la croissance économique et la grande illusion de l'inflation finançant le miracle permanent de l'ordre public social. L'analyse du plus favorable était alors aisée, s'agissant d'une négociation d'acquisition de nouveaux avantages, qui plus est quantitatifs (ex. : salaires).

L'apparition, en 1982, des accords dérogatoires, dits donnant-donnant, a radicalement changé la donne. A fortiori lorsque la contrepartie est devenue le maintien de l'emploi (v. Cass. soc., 19 février 1997, Sté Géophysique). Comment, alors, concilier la force obligatoire du contrat individuel avec le caractère impératif de la convention collective, lorsque cette dernière comporte autant d'« avantages » que de « contre-parties » ?

Érigé depuis 1988 en donjon par la jurisprudence, le bon vieux contrat individuel se révèle être aujourd'hui un précieux rempart contre la flexibilité tous azimuts qui a envahi le droit conventionnel. Mais un salarié peut-il refuser l'application d'une convention collective et ainsi se soustraire aux règles du jeu collectivement définies, a fortiori depuis que l'accord doit être majoritaire pour être valide ?

Le principe communautaire de subsidiarité sociale et la montée en puissance statistique et normative de la négociation collective depuis 1982 font désormais de l'accord collectif la référence en droit du travail : quid, alors, du bien modeste contrat de travail dont les travaillistes se méfiaient tant ? « Indépendance dans l'interdépendance », aurait ciselé le regretté Edgar Faure.

1° INDÉPENDANCE

« Lui, c'est lui ; moi, c'est moi. » La Cour de cassation a toujours clairement séparé les deux sphères, l'accord collectif ne pouvant prétendre modifier un contrat en cours. Si, par exemple, un nouvel accord d'entreprise prévoit désormais une clause de non-concurrence, son effet impératif et automatique est limité aux nouveaux embauchés (Cass. soc., 17 octobre 2000). Les anciens ne sont pas soumis à cette clause, ce qui bouscule le sacro-saint principe français de l'unité du statut collectif… qui n'est plus vraiment collectif.

Rendu le 10 janvier 2006, l'arrêt société Gringoire rappelle également cette indépendance. Les syndicats d'une société signent in extremis avec le repreneur un « protocole de reprise du site » prévoyant qu'il conserverait au moins 90 salariés, « mais à des conditions nouvelles de rémunération », ceux qui refuseraient voyant leur contrat rompu. Refus de modification suivis de « départs à caractère conventionnel excluant tout contrôle de la cause réelle et sérieuse » voulait croire la société. Mais la lettre de rupture ayant énoncé le seul refus de la modification du contrat (expressément prévue par l'accord collectif et condition de la reprise), la réponse de la chambre sociale était prévisible : « Le refus par le salarié de la modification de son contrat de travail proposée par l'employeur en application d'un accord collectif prévoyant le licenciement de ceux qui s'opposeraient à ladite modification n'impliquait pas de la part des intéressés la volonté de résilier d'un commun accord leur contrat » : lettre insuffisamment motivée et défaut de cause réelle et sérieuse.

Même rappel et même sanction le 5 avril 2005 : l'accord conclu entre l'employeur et cinq syndicats prévoit que les salariés remplissant des conditions d'âge et licenciés pour motif économique percevraient une « indemnité transactionnelle globale, forfaitaire et définitive » correspondant à 65 % du salaire brut. Mais à la condition qu'ils renoncent « de façon définitive et irrévocable à contester en justice tant la procédure que la réalité et le sérieux du motif du licenciement ». Voulant manifestement dépasser le cas d'espèce (un PSE), la chambre sociale censure les juges du fond ayant trouvé le deal équilibré : « La mise en œuvre d'un accord collectif dont les salariés tiennent leurs droits ne peut être subordonnée à la conclusion de contrats individuels de transaction. » Or, en fait, il est fort probable que l'entreprise n'aurait pas proposé des conditions financières aussi attrayantes si elle avait connu cette issue. Et, en droit, l'on pourrait inverser la proposition : c'est justement l'accord qui réservait ces avantages aux salariés qui accepteraient la transaction.

Même contradiction entre la position des juges du fond (souvent localement sous pression) et celle du juge du droit avec l'arrêt du 12 juillet 2005 : à des caissières contestant la réduction du nombre de leurs samedis de repos, la cour d'appel a répondu que « la nouvelle répartition de l'horaire résultant de la réduction du temps de travail opérée par voie d'accord collectif, même si elle affecte un élément essentiel du contrat de travail de ces salariées, s'impose cependant à elles, le maintien du repos un samedi sur trois revenant à remettre en cause la nouvelle organisation négociée et plus favorable ». Cassation au visa de l'article 1134 du Code civil : « Le contrat de travail mentionnant expressément que les salariées disposaient d'un samedi de repos sur trois, la fixation d'un repos un samedi sur six constituait une modification du contrat de travail qu'elles pouvaient refuser. »

2° VERS L'INTERDÉPENDANCE ?

C'est la loi Aubry II du 19 janvier 2000 qui, la première, a donné à un accord collectif le pouvoir d'imprimer sa volonté au contrat. Afin d'éviter que tout projet de passage aux 35 heures visant 10 salariés ou plus n'aboutisse ipso facto au montage d'un plan social au titre de la défunte jurisprudence Framatome – paradoxe pour une loi qui se voulait créatrice d'emplois en dehors des services contentieux –, l'article L. 212-3 a indiqué : « La seule diminution d'heures stipulées au contrat, en application d'un accord de réduction du temps de travail, ne constitue pas une modification. » Et pour bien enfoncer le clou, en cas de refus, « le licenciement est un licenciement individuel ne reposant pas sur un motif économique ».

Par quatre arrêts rendus le 15 mars 2006, la chambre sociale a donné la plus large portée à ces dispositions permettant à un accord collectif de modifier le régime du licenciement faisant suite à un refus.

• À un salarié licencié pour avoir refusé la diminution de son salaire à la suite d'un accord de RTT signé le 2 juin 1999 et demandant une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, elle répond en deux temps :

– « En vertu des dispositions combinées des articles 28-I et 30-II de la même loi, ce texte est applicable à tout licenciement résultant d'un accord de RTT, que celui-ci ait été conclu en application de la loi du 13 juin 1998 ou de la loi du 19 janvier 2000, à condition que les stipulations de l'accord soient conformes aux dispositions de cette dernière. »

Malgré sa créativité, cette analyse englobante simplifie grandement la situation.

– Lorsqu'un salarié refuse une modification de son contrat en application d'un accord de RTT, son licenciement est un licenciement individuel ne reposant pas sur un motif économique : pas de montage d'un PSE, donc. Reste la délicate question de la cause réelle et sérieuse, non résolue dans ces arrêts.

• À l'opposé, et démontrant l'importance de l'accord collectif : « Le licenciement prononcé en raison du refus par un salarié de la modification de sa rémunération proposée, non en application d'un accord collectif, mais par suite d'une mise en œuvre unilatérale de la RTT dans l'entreprise, constitue un licenciement pour motif économique. » Délicates questions de procédure, et encore davantage s'agissant de cause réelle et sérieuse.

• Un cadre est licencié car il avait refusé de passer en forfait jours à la suite d'un accord de RTT. La Cour rappelle la règle : il s'agit d'un licenciement individuel ne reposant pas sur un motif économique… « mais la lettre de licenciement doit comporter l'indication de cet accord », précise-t-elle le 15 mars 2006. Ce qui avait sans doute échappé à nombre d'entreprises dans les années 1998-2002 (oubli en forme de défaut de cause réelle et sérieuse), mais qui est une précieuse indication permettant au juge de vérifier la réalité de cette clause conventionnelle.

• Et, en cas d'accord mixte, c'est-à-dire mélangeant un gros tiers de RTT, un petit tiers d'ATT (au sens de l'époque : aménagement, et non augmentation), et un gros tiers de réorganisation visant en l'espèce l'« amélioration de la marge de 5 % » ? Aux juges du fond qui n'avaient pas voulu appliquer la très dérogatoire règle visant exclusivement les accords de RTT, et n'avaient donc trouvé aucune cause à ce licenciement économique, la chambre sociale répond : « Le juge doit apprécier la cause réelle et sérieuse du licenciement consécutif à ce refus au regard des seules dispositions de l'accord collectif de RTT. » On attend avec intérêt la cause réelle et sérieuse – sans doute très sui generis – d'un tel « licenciement individuel ».

 Et moi, et moi, et moi »… et paradoxe dans notre société d'individus : le contrat individuel va-t-il pouvoir longtemps résister à cette offensive du collectif ?

• Après la dérogation à la loi par accord collectif de 1982, puis la dérogation par l'accord inférieur à la norme conventionnelle supérieure par la loi du 4 mai 2004, le prochain glissement pourrait être la dérogation par le contrat à la norme supérieure, la convention collective. Une fausse bonne idée.

• L'opt-out individuel anglais est largement soutenu au sein des 25 pays de l'UE, et les heures supplémentaires « choisies » par les salariés français volontaires depuis la loi du 31 mars 2005 n'en sont guère éloignées.

FLASH
Avantages contractualisés

Si, en droit français, la règle est la non-incorporation des avantages conventionnels dans le contrat de travail, la situation change évidemment en cas de contractualisation expresse : ainsi en cas d'avenant individuel. Mais, à l'évidence (pour le juriste), « la mention de la nature et du montant d'une prime conventionnelle sur le bulletin de paie n'a pas pour effet de contractualiser les avantages qui y sont décrits », a dû rappeler la chambre sociale le 7 mars 2006.

Rare cas d'incorporation : en cas de fusion, et à défaut d'accord de substitution dans les quinze mois (C. trav., art. L. 132-8) : si l'ancien accord est désormais inopposable au nouvel employeur (Cass. soc., 12 octobre 2005), ses avantages individuels acquis changent de support et deviennent contractuels.

Mais qu'il s'agisse de rémunération (Cass. soc., 26 janvier 2005) ou de régime de retraite complémentaire (Cass. soc., 17 mai 2005), les salariés ont alors simplement droit au maintien du niveau atteint au jour de la fusion : ils ne peuvent se prévaloir des modalités de réévaluation du défunt accord, qui constituent un avantage collectif.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray