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Vie des entreprises

Différenciation salariale et discrimination

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.04.2006 | Jean-Emmanuel Ray

En matière de rémunération salariale, le distinguo n'est pas toujours simple entre la différenciation, licite, et la discrimination, illégale. Mais la différence de traitement entre deux salariés d'une même entreprise – consubstantielle aux politiques d'individualisation des salaires – doit surtout jongler avec le fameux principe « à travail égal, salaire égal ».

Saisi du seul point de savoir si le principe à travail égal, salaire égal avait été méconnu par l'employeur, le juge n'avait pas à se prononcer sur une éventuelle discrimination en raison de l'un des cas énumérés à l'article L. 122-45 du Code du travail ». L'arrêt du 5 juillet 2005 avait à juste titre voulu séparer les deux concepts :

• La discrimination est une différenciation toujours illégale car reposant sur un motif interdit (activités syndicales, grève…).

• L'inégalité de traitement, où la comparaison avec des situations identiques ou voisines est un exercice obligé mais souvent délicat car, à travail inégal, salaire inégal.

Distinction confirmée le 18 janvier 2006 : « Une différence de traitement entre les salariés d'une même entreprise ne constitue pas en elle-même une discrimination illicite au sens de l'article L. 122-45 du Code du travail. »

1° DISCRIMINATION SALARIALE ENTRE HOMMES ET FEMMES

C'est la plus ancienne des discriminations, reposant sur l'idée que le salaire de la femme était un salaire d'appoint. Depuis trente ans, textes européens, communautaires et français se succèdent, voire s'empilent pour y mettre un terme. Et les très nombreux arrêts de la CJCE – l'essentiel de son contentieux social – ont fini par bousculer les habitudes des pays du Sud, même si la religion laïque de certains pays du Nord – semblant confondre nécessaire égalité et totale identité, sinon guerre des sexes à l'américaine – n'est guère enthousiasmante… Le « combat pour l'égalité » n'est pas contre les hommes.

La récente loi de mars 2006 « relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes » a pris le taureau par les cornes.

• Article L. 132-27-2 nouveau : « Les négociations sur les salaires effectifs que l'employeur est tenu d'engager chaque année visent également à définir et à programmer les mesures permettant de supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes avant le 31 décembre 2010. » Si l'on en croit l'enquête Dares publiée en février 2006, il y a du pain sur la planche : pour des salariés à temps complet, les écarts de rémunération seraient pour les ouvriers de 19 %, pour les employés de 4,8 %, mais pour les cadres de 29,4 %, chiffres ne tenant pas compte des différences de qualification. Or, selon le rapport présenté au Conseil européen de mars 2006, dans l'UE, les femmes gagnent en moyenne 15 % de moins que les hommes. Mais plus de 40 % d'entre elles travaillent dans l'éducation, la santé ou l'administration publique (20 % d'hommes) et le travail à temps partiel représente plus de 32 % des emplois occupés par elles (contre 7 % chez les hommes).

• Article L. 122-26 nouveau : nécessaire, si l'on veut maintenir le taux français de fécondité (le plus élevé d'Europe), la seconde amélioration légale vise le retard salarial souvent pris par les parents prenant un congé maternité ou paternité. « À la suite de ces congés, la rémunération est majorée des augmentations générales, ainsi que de la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant la durée de ces congés par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle ou, à défaut, de la moyenne des augmentations individuelles dans l'entreprise. »

Depuis le très célèbre arrêt Mme Ponsolle du 29 octobre 1996, où l'entreprise n'avait pu avancer aucune explication (avouable) sur une bien curieuse différenciation entre deux salariées effectuant exactement le même travail, nul n'ignore que l'égalité salariale entre hommes et femmes entraîne a fortiori une égalité de rémunération entre deux hommes ou entre deux femmes. Mais dans quel périmètre ?

2° LE PÉRIMÈTRE DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ

« Le principe à travail égal, salaire égal n'a vocation à s'appliquer qu'à l'égard des salariés d'une même entreprise. Un employeur est en droit d'instituer, par usage, des avantages particuliers au profit des salariés, à condition que ces avantages bénéficient à tous les salariés placés dans une situation identique et que les conditions de leur attribution soient préalablement définies et contrôlables. » S'inspirant de la CJCE, l'arrêt du 22 février 2006 est le dernier d'une liste qui s'allonge, admettant la différenciation des rémunérations.

• Cass. soc., 21 juin 2005 : le principe de l'égalité de traitement ne s'applique pas au sein d'une UES, composée par définition de personnes juridiques distinctes, « sauf conditions légales, conventionnelles communes, ainsi que dans le cas où le travail de ces salariés est accompli dans le même établissement ».

• Cass. soc., 6 juillet 2005, à propos de salariés mis à disposition par une autre entreprise : différenciation licite car il ne s'agissait pas du même employeur.

• Cass. soc., 11 janvier 2005 : l'article L. 132-8 imposant la survie des avantages conventionnels individuellement acquis de l'entreprise absorbée, il est parfaitement licite que deux collaborateurs aient des rémunérations différentes, au moins pendant un temps (par exemple : signature d'un accord de substitution).

• Cass. soc., 18 janvier 2006 : « Un accord d'entreprise peut prévoir qu'au sein de certains de ses établissements, compte tenu de leurs caractéristiques, des modalités de rémunération spécifiques seront déterminées par voie d'accords d'établissement. » Si le législateur a admis la possibilité de négocier au niveau des établissements, il paraît en effet difficile d'obliger les accords à fixer des niveaux de primes partout identiques.

Si de nombreuses différenciations sont donc licites, en termes de relations sociales, les faire perdurer est en France souvent périlleux.

3° INÉGALITÉ DE TRAITEMENT ET MARCHÉ DE L'EMPLOI

« Une inégalité de traitement entre des salariés peut être justifiée lorsqu'elle repose sur des raisons objectives, étrangères à toute discrimination prohibée. » S'agissant du synchrotron de Grenoble octroyant une grosse prime dite d'expatriation aux chercheurs étrangers (même présents sur place depuis fort longtemps), l'arrêt du 9 novembre 2005 a légitimement pris la mesure de la chasse aux talents qui exige des efforts financiers : « Si la prime d'expatriation introduit une différence de traitement entre les salariés français et les salariés étrangers, cette inégalité vise non seulement à compenser les inconvénients résultant de l'installation d'un individu et de sa famille en pays étranger, mais aussi à faciliter l'embauche des salariés ressortissants non français afin de contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international. L'avantage ainsi conféré aux salariés étrangers reposait sur une raison objective, étrangère à toute discrimination en raison de la nationalité. » Le rayonnement international de la France et l'intérêt de l'institution en cause exigeaient cette différenciation, source de jalousie du jardin du voisin (Chateaubriand : « Les Français n'aiment point la liberté : l'égalité est leur seule idole. »).

Le même pragmatisme avait inspiré l'arrêt du 21 juin 2005, s'agissant du principe d'égalité de traitement entre CDD et CDI… mais inversé. La directrice d'une crèche en CDI mais en congé maladie avait été fort marrie de constater que sa jeune remplaçante en CDD avait obtenu une rémunération supérieure : elle exigeait un alignement à la hausse. Réponse de la chambre sociale, où siégeaient sans doute de jeunes parents ou grands-parents déjà confrontés au cataclysme familial et professionnel de problèmes récurrents de garde : « L'employeur était confronté à la nécessité, pour éviter la fermeture de la crèche par l'autorité de tutelle, de recruter de toute urgence une directrice qualifiée pour remplacer la directrice en congé maladie. »

4° MORT ANNONCÉE DES PRIMES DE PRÉSENTÉISME

Deux arrêts rendus en février 2006 semblent sonner le glas des primes voulant dissuader les absences en récompensant le présentéisme sur longue période.

L'interdiction légale des sanctions pécuniaires, puis la jurisprudence s'agissant de l'exercice normal du droit constitutionnel de grève avaient déjà considérablement réduit leur portée. Mais les primes restaient licites si « toutes les absences, quelle qu'en soit la cause, entraînaient le même abattement ». Or, pour d'évidentes raisons pratiques, tactiques ou sociales, le congé maternité n'était par exemple pas traité comme l'absence sans motif du lundi matin… ou la grève.

Mais la comparaison était rarement poussée très loin.

« Toutes les absences, autorisées ou non, n'entraînant pas les mêmes conséquences, l'exclusion du bénéfice de l'augmentation des salariés ayant été absents pour cause de maladie était une mesure affectant la rémunération des salariés en raison de leur état de santé, et constituait une discrimination prohibée par l'article L. 122-45. » En approuvant le 7 février 2006 un juge des référés ayant ordonné le versement d'une provision sur salaires alors que l'employeur avait fixé « une règle d'augmentation des salaires sur un critère objectif relatif au travail fourni : pas plus de vingt jours de maladie dans l'année », la chambre sociale a donné un coup de pied dans la fourmilière.

Même motif et même sanction avec l'arrêt du 15 février 2006 s'agissant, cette fois, de grève : « Si l'employeur peut tenir compte des absences, même motivées par la grève, pour l'attribution d'une prime destinée à récompenser une assiduité profitable à l'entreprise, c'est à la condition que toutes les absences, autorisées ou non, entraînent les mêmes conséquences. Les absences pour événements familiaux ou des absences conventionnelles prévues par l'accord d'entreprise ne donnant pas lieu à retenue, il résultait que la suppression de la prime d'assiduité en cas de grève constituait une mesure discriminatoire. » Pour être licite, il faut donc que la prime subisse le même abattement pour toutes les absences : socialement impensable.

« L'on a souvent dans la bouche ce que l'on n'a pas dans le cœur » : l'aphorisme du professeur de Göttingen Georg Christoph Lichtenberg serait-il applicable aux Français ?

FLASH
Discrimination et avancement judiciaire

Outre les lourdes sanctions pénales aggravées par la loi du 9 mars 2004 (45 000 euros et trois ans de prison pour les personnes physiques, et donc 225 000 euros pour les entreprises personnes morales, selon l'article 225-2 du Nouveau Code pénal), et désormais le renforcement des pouvoirs, par la très médiatisée loi sur l'égalité des chances de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), la sanction d'une discrimination est-elle indemnitaire ou de remise en l'état ?

« La réparation intégrale d'un dommage oblige à placer celui qui l'a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n'avait pas eu lieu. Les dispositions de l'article L. 412-2 du Code du travail ne font pas obstacle à ce que le juge ordonne le reclassement d'un salarié victime d'une discrimination prohibée. En statuant comme elle l'a fait après avoir constaté que l'application des termes du statut aurait dû entraîner pour le salarié un avancement à compter du 1er janvier 1998 qu'il n'a pas eu, la cour d'appel a violé le texte susvisé. » (Cass. soc., 23 novembre 2005, EDF.) Même motif et même sanction le 25 janvier 2006 à propos d'un militant syndical discriminé dans sa carrière professionnelle : mais la chambre sociale accepte que ce soit le juge des référés qui procède à cette promotion judiciaire.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray