logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Zéro pointé au mammouth pour sa gestion des profs

Politique sociale | publié le : 01.04.2006 | Éric Béal

Des DRH dans les académies, et après ? La gestion des enseignants reste paralysée par les règles de mobilité, les statuts…Ce qui n'exclut pas les initiatives locales.

Alors, tu l'as eu ? » Ces dernières semaines, la question revient comme une ritournelle en salle des profs. Pour les 53 000 enseignants qui demandent chaque année une affectation dans une autre région, c'est la période critique. Celle où leurs velléités de déménagement sont exaucées ou bien renvoyées à l'année suivante. Quant aux 115 000 professeurs et instituteurs qui veulent changer de poste au sein de leur académie, ils auront la réponse au cours du mois de juin.

Cette grande migration annuelle, appelée en interne « le mouvement », est un classique du genre à l'Éducation nationale. « Ce sont les plus anciens qui sont servis en premier, commente Jean, un professeur des écoles de Seine-Saint-Denis. Un jeune qui se défonce pour sa classe n'est jamais récompensé par un poste plus proche de son domicile. » Gabriel, un de ses collègues, ajoute que la seule proposition de poste qui lui a été faite depuis son entrée en fonction est celle d'aide à l'intégration scolaire, un poste au contact d'enfants en difficulté pour lequel il n'a pas été formé. « Les services de l'académie ne me connaissent pas, mais ils manquent d'instituteurs spécialisés, alors ils sont prêts à envoyer n'importe qui sur un poste non pourvu… »

Et dire que l'Éducation nationale s'est lancée il y a plus de dix ans dans la gestion de ses ressources humaines. Depuis 1994, chacune des 30 académies est dotée d'une direction des ressources humaines, dont le responsable est placé juste en dessous du recteur et du secrétaire général sur l'échelle hiérarchique. Contestée à l'époque par le Snes, syndicat majoritaire chez les enseignants, et par d'autres syndicats inquiets de voir débarquer les « méthodes du privé dans l'Éducation nationale », cette décision tardive n'est pas superflue pour le premier employeur de France avec son 1,1 million de salariés, dont 742 000 enseignants dans le premier degré (les écoles maternelles et primaires) et le second degré (les collèges et les lycées).

Créées et mises en place par Claude Allègre, le pourfendeur du « mammouth », les DRH de l'Éducation nationale ont cependant bien du mal à s'imposer dans une institution plus habituée à gérer des « stocks » de titulaires et des « mouvements » de personnel qu'à s'occuper de l'intégration des nouveaux recrutés ou à récompenser les plus méritants. D'autant plus que leur action est entravée par une inflation de textes. Aux statuts propres à la fonction publique qui datent, pour certains, de 1946, s'ajoutent les textes instituant cinq corps entre la maternelle et le lycée (voir encadré page 34). À l'intérieur de ces corps, l'enseignant est classé en deux grades : la classe normale, avec ses 11 échelons, et le hors-classe, avec 7 échelons. Et chaque échelon correspond à un niveau de salaire. Bon courage au DRH audacieux qui souhaite faire évoluer la rémunération d'un enseignant en fonction de son implication ou de ses résultats. De toute façon, du premier au quatrième échelon, l'avancement fonctionne automatiquement à l'ancienneté. Ensuite, il peut être accéléré grâce aux notes obtenues lors d'une inspection, où sont jaugés savoir faire pédagogique et méthodes de travail. « Un enseignant ayant toujours eu d'excellentes notes arrivera au onzième échelon bien avant un collègue qui ne progressera qu'à l'ancienneté. La différence de revenu cumulée, à la fin de la carrière, pourra être supérieure à 110 000 euros », assure Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU. Sauf que, selon les statistiques du ministère, les promotions ne concernent à peine que 4 % des effectifs chaque année.

Un rapport de la Cour des comptes de 2003 observe que « la note pédagogique fait l'objet, lors de l'établissement du tableau d'avancement, d'un correctif automatique consistant à la porter à la moyenne des notes de l'échelon dès que le délai écoulé depuis la dernière inspection est supérieur à cinq ans ». Or il s'écoule souvent plus de cinq ans entre deux inspections. Chez les représentants syndicaux, les méchantes langues expliquent qu'il suffit d'être affecté à un établissement éloigné de l'inspection pour être « oublié ». De toute manière, la pondération de salaire en fonction du savoir faire pédagogique échappe complètement aux DRH. « Cette fonction ne sert à rien, assène Hervé Emorine, professeur de musique au collège Langevin-Wallon de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). C'est la division du personnel enseignant de l'académie qui s'occupe de mon dossier. Quant au salaire, ceux qui souhaitent avancer plus vite demandent une inspection. Mais beaucoup de profs sont allergiques à la GRH, pensant que l'administration profite de cette évolution pour casser le statut. » Parallèlement, le passage d'un corps à un autre est suivi à la loupe par les organisations syndicales, au sein des commissions administratives paritaires académiques. La majorité des syndicalistes défendent en priorité les collègues plus âgés afin d'améliorer le montant de leur retraite, calculé sur le salaire des six derniers mois.

Autre source d'inefficacité, les DRH de l'Éducation nationale ne maîtrisent pas les changements d'affectation entre académies, qui sont gérées par la Direction des personnels enseignants (DPE) du ministère. Une savante alchimie réalisée sur la base d'un barème spécifique, dans lequel entrent en compte l'ancienneté au poste, la note pédagogique, la situation familiale – être pacsé rapporte des points – et les caractéristiques de l'établissement. Enseigner en zone d'éducation prioritaire ou en zone rurale pèse lourd. « Les recteurs peuvent demander à leur DRH de modifier le barème en fonction des besoins de leur académie », indique Pierre-Yves Duwoye, responsable de la DPE. Certes, mais à condition d'accepter un bras de fer avec les représentants syndicaux. Car l'équité est le maître mot au sein de l'Éducation nationale. « L'égalitarisme est une culture très prégnante chez nous, reconnaît Samy Driss, de l'Unsa Éducation. Sur le terrain, elle peut aboutir à des situations absurdes. »

Deux enseignants qui se croisent chaque matin pour aller travailler ne peuvent échanger leurs postes. Demander un changement d'affectation implique d'entrer dans le fameux « mouvement », où toutes les requêtes sont prises en compte en même temps. Et où la règle d'airain est le nombre de points obtenus. Résultat, nombre d'enseignants rongent leur frein avant de tenter une mobilité géographique, le temps d'acquérir les points nécessaires. Dans un tel contexte, les plus jeunes sont condamnés aux postes les moins convoités. Quitte à aboutir à ce genre de situation kafkaïenne : en moyenne, 40 % des enseignants nommés dans des classes spécialisées sont frais émoulus des IUFM.

« Dans le premier degré, un grand nombre de néotitulaires sont affectés en CP, considérée à juste titre comme la classe la plus difficile. Dans le secondaire, c'est le régime de la double peine. Un tiers des jeunes professeurs sont affectés dans des établissements difficiles et davantage encore doivent quitter leur région pour enseigner dans des académies peu demandées, comme Créteil, Versailles ou Lille », admet Pierre-Yves Duwoye. Au grand dam des DRH, qui voient arriver chaque année de jeunes profs issus de province dont la majorité n'ont qu'une idée en tête : retourner dans leur région d'origine. Inutile de dire que cette situation affecte le travail en équipe et l'implication dans le projet d'établissement, deux domaines que l'Éducation nationale souhaite pourtant améliorer depuis quelques années. La formation est également montrée du doigt. « L'IUFM ne m'a pas appris à tenir une classe d'élèves difficiles, affirme Madeleine, jeune prof d'anglais dans un lycée professionnel du Val-de-Marne. Quant aux services de l'académie, ils n'assurent aucun suivi. Comme mon proviseur est plutôt du genre à rester dans son bureau, je dois me débrouiller toute seule. »

Pour autant, la gestion du personnel du second degré a tout de même fait des progrès. Alors que, traditionnellement, les syndicats étaient les plus prompts à renseigner les candidats à la mobilité sur les résultats du mouvement, chaque enseignant possède désormais un dossier personnel sur I-Prof, un espace dédié sur le site de son académie. Certaines d'entre elles vont même plus loin. En 1999, Claude Allègre, alors ministre de l'Éducation nationale, a décidé de déconcentrer la gestion du personnel en donnant aux académies la responsabilité de gérer le suivi de la carrière et les affectations des professeurs du second degré sur leur territoire. « Les maîtres et maîtresses des écoles maternelles et primaires n'y ont rien gagné. Ils ont toujours été suivis par leur académie. À l'inverse, nous avons pu prendre des initiatives pour les professeurs des collèges et des lycées », indique Florence Briol, directrice des ressources humaines et secrétaire générale adjointe de l'académie de Poitiers.

Profitant de cette nouvelle marge de manœuvre, cette dernière n'a pas chômé. Pour améliorer l'accueil des jeunes stagiaires, elle a développé un réseau de délégués RH, tous chefs d'établissement, chargés d'un suivi plus serré. Elle a également mis en place des formations spécifiques au management et à la GRH dédiées à l'ensemble des chefs d'établissement. De même, l'offre de formation pour changer de matière s'est étoffée et les enseignants en difficulté ont maintenant la possibilité de participer à un « groupe d'écoute et de soutien », doublé d'un suivi psychologique. Une cinquantaine de personnes en bénéficient chaque année à l'académie de Poitiers. Mais son plus gros chantier a consisté à négocier avec les organisations syndicales une rénovation du mode d'évaluation des professeurs de manière à introduire des possibilités de promotion plus rapide. « On a incorporé aux règles habituelles la prise en compte de l'implication personnelle dans le projet d'établissement. » Les volontaires pour assurer des heures de soutien ou remplacer un collègue absent, ceux qui acceptent de tutorer un élève ou qui organisent un voyage pédagogique peuvent gagner des points et voir leur salaire progresser plus rapidement.

Si le Snes, par principe, se montre très critique envers ce genre d'innovations, ces initiatives vont dans le sens des revendications du Syndicat national des personnels de direction de l'Éducation nationale, affilié à l'Unsa. « Nous souhaitons une autonomie contractuelle plus importante pour chaque établissement, explique Philippe Guittet, son secrétaire général. Nous aimerions également une évaluation des professeurs plus proche des réalités du terrain, débouchant par la suite sur des propositions concrètes de formation continue. »

Une révolution des mœurs autant combattue par la majorité des syndicats que par les services administratifs, dont les habitudes sont remises en question. Mais les nombreux départs à la retraite attendus dans les années à venir pourraient permettre de faire évoluer les choses en douceur. Et, dans quelques années, Hervé Emorine, le professeur de musique de Seine-Saint-Denis, pourrait bien réviser son jugement sur les directeurs des ressources humaines de l'Éducation nationale…

Des statuts corsetés par les textes officiels

Le décret du 1er août 1990 « relatif au statut particulier des professeurs des écoles » du premier degré se fonde sur quatre lois et deux décrets. Le statut des professeurs agrégés du second degré s'appuie sur une ordonnance, une loi et pas moins de sept degrés. Quant aux certifiés, leur statut, modifié par vingt-huit décrets, se réfère à une ordonnance, deux lois et sept décrets.

Le décret du 4 août 1980 créant le « statut des professeurs d'éducation physique et sportive » se fonde sur une ordonnance, quatre lois et sept décrets.

Et, enfin, le décret du 6 novembre 1992 créant le « statut particulier des professeurs de lycée professionnel » fait référence à six lois et huit décrets. À noter que les instituteurs qui officiaient dans les écoles maternelles et secondaires avant de se voir accorder le titre de professeur n'avaient aucune reconnaissance officielle. Leur corps était simplement régi par un règlement et les statuts de la fonction publique.

En France, en 2005, on recense :

318 236 instituteurs et professeurs des écoles primaires.

424 385 professeurs des collèges et des lycées.

59 041 écoles, collèges et lycées publics.

10 098 000 élèves inscrits en premier et en second degré.

Auteur

  • Éric Béal