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Politique sociale

La course d'obstacles du candidat au Fonds social européen

Politique sociale | publié le : 01.04.2006 | Fanny Guinochet

Procédures complexes, contrôles tatillons, l'accès au FSE ressemble à la quête du Graal. Et cela ne peut pas s'arranger dans l'Union à 25.

À la tête de Transtechnology, une PME de 30 personnes, Christian Fosse est confronté à un problème classique de gestion des âges : « Cette année, deux salariés hautement qualifiés partent à la retraite. Je dois aussi anticiper d'autres départs de cadres. » Pour s'en sortir, le directeur général de cette entreprise située à Garches a sollicité l'aide de la CGPME d'Ile-de-France : « On nous a parlé d'un diagnostic en matière de besoin prévisionnel des compétences, financé par l'Europe et l'État. L'occasion était trop belle pour la laisser passer. » C'est ainsi que, depuis novembre, une consultante l'accompagne, gratuitement, dans le cadre d'un audit personnalisé. Une intervention subventionnée par le FSE : Fonds social européen, pour les familiers des arcanes bruxelloises. Dans ce cas précis, l'Union européenne finance la moitié des 250 000 euros que coûte au total ce dispositif dont profitent 90 entreprises franciliennes. Le reste est pris en charge par l'Agefos (à hauteur de 25 %), mais aussi par l'État et la CGPME. Créé par le traité de Rome en 1957, le plus ancien des fonds européens est le seul à profiter aux ressortissants de l'UE dans les domaines de la promotion de l'emploi, de l'insertion ou de la réinsertion de personnes en difficulté comme les seniors, les jeunes, les peu qualifiés.

Pour autant, ces aides destinées notamment aux salariés – 350 000 en ont bénéficié entre 2000 et 2004 sur la seule mesure 6 qui concerne la formation des salariés – ne sont jamais directes. Elles leur parviennent via les entreprises, des associations ou des organismes de formation, et toujours en cofinancement avec d'autres intervenants publics ou privés, locaux ou nationaux. Le schéma, digne d'une usine à gaz, est le suivant : l'entreprise ou l'association traite avec un intermédiaire (Agefos, Opcareg, Greta, Fongecif, organisme patronal…) qui, lui-même, est soumis au contrôle d'un service déconcentré ou territorialisé de l'État. Avec une telle chaîne d'intervenants, pas étonnant que la notoriété du FSE soit quasi confidentielle. Et parmi les 8,9 millions de Français à avoir bénéficié de ses fonds entre 2000 et 2004 sur le seul objectif 3 (voir ci-contre), nombreux sont ceux qui ne savent pas qu'ils ont obtenu une aide de Bruxelles. « Une PME ou une petite association dispose rarement de la culture administrative et du temps suffisants pour se consacrer au FSE. Ce sont des procédures complexes et un langage abscons », confirme Jean-Louis Lafeuille, secrétaire général de la CGPME d'Ile-de-France.

En outre, jusqu'en 1999, l'Europe avançait l'argent. Aujourd'hui, le projet doit avoir été réalisé au préalable. « Conséquence : certains porteurs de projet n'ont pas les épaules assez larges pour engager des dépenses et payer des salaires en amont… », signale Abdellah Mezziouane, fondateur et DG de l'Institut du management territorial et européen. Ce qui laisse à penser que le dispositif pourrait être davantage utilisé. Car il ne s'agit pas d'enveloppe à budget limité mais de sommes abondées par Bruxelles. En clair, pour 1 euro mis au pot par le candidat, le FSE apporte 1 euro. Mais impossible de connaître le nombre de dossiers instruits et refusés par an. « Il existe une commission de sélection au niveau national mais aussi au niveau des régions et il faudrait faire un travail de recollection local », précise-t-on à la sous-direction du FSE à la DGEFP. Disséminée entre les ministères, les directions régionales du travail et Racine, l'organisme d'assistance technique du FSE situé à Paris, la centaine de personnes qui travaillent sur le FSE en France n'ont guère de vision d'ensemble.

Difficile également de connaître les critères de refus d'un projet. « Jusqu'en 2004, les grandes entreprises étaient exclues du dispositif car on voulait éviter un effet d'aubaine, poursuit-on à la DGEFP. Depuis, certains projets proposés par les groupes sont acceptés s'ils sont de grande qualité, offrant par exemple des formations transférables et monnéyables sur le marché du travail.» Mais pour l'essentiel ce sont toujours les salariés des petites entreprises qui bénéficient des subsides, devancés loin devant par les demandeurs d'emploi et les RMistes (via l'ANPE, l'Afpa…) puis par les apprentis.

Autre facteur qui freine le développement du FSE, le principe du « dégagement d'office » : « Autrement dit, il faut s'assurer que le projet va se réaliser dans les deux ans, sinon vous ne recevez rien de l'Europe », poursuit Abdellah Mezziouane. Autant d'anticipations en décalage avec les réalités du terrain. Sans compter les délais de déblocage des fonds, extrêmement longs et, là encore, peu adaptés aux calendriers des entreprises. « Pour les actions menées en 2004, nous avons reçu le chèque seulement en juillet 2005 ! Six mois, c'est le minimum à attendre ! » regrette Ourida Lebbal, chargée de projet à l'Opcareg de Rhône-Alpes, qui, outre la constitution du dossier et l'avance de l'argent, ne doit pas oublier de recenser toutes les pièces nécessaires. « Il faut montrer que l'action s'est bien déroulée. Pour cela, on doit donner les listes d'émargement des stagiaires, archiver les éléments avec rigueur. C'est un travail fastidieux mais obligatoire en cas de contrôle », reconnaît-elle. Et Aurélie Gavoille, responsable de l'Opcareg de Rhône-Alpes, d'ajouter : « Nous redoublons de vigilance car, ces deux dernières années, les contrôles se sont multipliés. »

Créés en 1990, les 205 Plie français sont de très gros consommateurs de crédits du FSE. « Aujourd'hui on nous demande de réaliser un véritable audit financier. En d'autres mots de fliquer les porteurs de projet ! » s'insurge un responsable de Plie. Et d'ajouter, « c'est le jeu des dominos : l'Europe contrôle l'État, qui se retourne vers ses services déconcentrés, qui se retournent vers nous… Finalement, la pression s'exerce sur le dernier maillon de la chaîne ! ». Ce professionnel refuse de se transformer en inspecteur : « Nous ne sommes pas des ingénieurs financiers. Et même si nous voulions l'être, l'opacité des directives qui nous sont données est telle que nous serions susceptibles de commettre des erreurs.

Les procédures de contrôle constituent un dernier point d'achoppement du FSE. Si l'État français renforce les contrôles, c'est parce que la Commission européenne lui demande des comptes (voir encadré ci-dessous). « On vérifie plus aussi parce que la part du gâteau est en passe de se réduire », s'inquiète Marie-Pierre Establie, déléguée générale de l'association nationale Alliance Villes Emploi. Et pour cause : dans l'attente du feu vert du Parlement européen, la prochaine période de mise en œuvre du Fonds social européen (2007-2013) suscite bien des incertitudes. L'arrivée des nouveaux adhérents de l'Union européenne entraînera de facto une réduction du montant des fonds attribués à l'Hexagone. « Par comparaison avec 2000-2006, nous risquons de perdre entre 15 et 20 % de l'enveloppe globale », poursuit-elle. Or quasiment plus aucun projet social ne se monte sans le concours du FSE.

Mais avec ses conditions de mise en œuvre draconiennes et ses contrôles, il risque, à l'avenir, d'en rebuter plus d'un. Et il y a fort à parier qu'il générera ce contre quoi il lutte : l'inégalité des chances, la discrimination des salariés… « On le ressent déjà sur le terrain, certains porteurs de projet ne veulent plus se frotter au FSE ! » affirme un professionnel. Ceux qui seront exclus du dispositif risquent bien d'être ceux qui en auraient le plus besoin. L'association de quartier qui accompagne le RMIste, la microentreprise qui cherche à innover ou la TPE qui n'a pas les moyens de former ses salariés…

62,5 milliards d'euros

C'est le montant du FSE pour 2000-2006.

Sur les 6,7 milliards affectés à la France, 5 milliards sont alloués à des politiques de promotion de l'emploi, d'insertion ou de réinsertion de seniors, de jeunes ou de personnes peu qualifiées.

La France doit rembourser

Gros pataquès, la France est priée de rembourser à l'Europe une partie des fonds du FSE perçus. La somme aurait porté à l'origine sur 300 millions d'euros. Le sujet étant quelque peu épineux pour le gouvernement français, la vérification de ce montant n'a pu se faire. « [Ce chiffre] est fantaisiste et exagéré, mais il y a un problème de justification des dépenses faites entre 2000 et 2004 », reconnaît Bertrand Gaudin, chef du département du Fonds social européen au ministère de l'Emploi et de la Solidarité. Et d'arguer, comme pour minimiser l'affaire, que la France n'est pas la seule à être dans la ligne de mire. L'Espagne et la Grèce ont aussi quelques comptes à rendre.

Mais pour répondre aux injonctions de Bruxelles, la France n'a pas d'autre choix que de lancer un vaste plan de reprise. Des négociations sont en cours avec la Commission, menées conjointement par la représentation permanente de la France à Bruxelles et le département du FSE du ministère de l'Emploi et de la Solidarité, afin de réduire le montant. Celui-ci serait en passe d'être ramené à 150 millions d'euros. Parmi les mauvais élèves, l'Éducation nationale est au premier rang. Via la Mission générale d'insertion, elle reçoit des fonds sociaux européens afin de dispenser des formations aux 75 000 jeunes qui quittent chaque année l'école sans qualification. La Mission générale devrait rembourser 55 millions d'euros à Bruxelles. Motif ? L'impossibilité de vérifier que l'argent distribué en 2004 a bien été affecté à l'usage prévu. Pareil cas n'est pas une première : en 2002, l'ANPE avait déjà été contrainte de rembourser plus de 30 millions d'euros à l'Europe car les dépenses déclarées ne correspondaient pas exactement aux projets financés.

À l'origine de ce faux pas, les mauvaises langues évoquent une position hautaine de la France. Cette même France qui vote non au référendum mais utilise depuis des années le FSE en substitution des dépenses de l'État et se permet de faire fi des remarques de la Commission. Cela étant, État, organismes intermédiaires et porteurs de projet s'accordent à dire qu'il s'agit plus d'une maladresse que d'une volonté délibérée de tricher. « C'est surtout sur le contrôle de service fait que les défaillances portent », admet Bertrand Gaudin. Les porteurs de projet, vers qui l'État se retourne aujourd'hui pour rendre des comptes, estiment avoir reçu des contradictoires sur les procédures à suivre. Ils évoquent un accompagnement insuffisant ainsi que la faiblesse des outils de suivi mis à leur disposition. « Pour éviter que ce genre de problème ne se reproduise sur la programmation 2007-2013, nous allons mettre en place un programme de formation musclé en 2006 », répond Bertrand Gaudin.

Auteur

  • Fanny Guinochet