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Les grands groupes à la traîne

Dossier | publié le : 01.04.2006 | S. D.

Avancées pédagogiques, ouverture du supérieur, nouveaux métiers… les efforts sont légion pour booster l'apprentissage, mais parents, profs et grandes entreprises restent difficiles à convaincre.

Un maillot à l'effigie du Che dans le magasin-école d'un centre d'apprentissage d'obédience catholique ! Le CFA à la vente et au commerce de Poissy, créé en 1992 à l'initiative de l'enseignement catholique et des missions locales, bat en brèche les poncifs sur l'apprentissage. L'insuffisance d'encadrement, souvent reprochée aux centres d'apprentissage ? Non seulement les formateurs font le point une fois par semaine avec leurs apprentis, mais ils leur rendent visite en entreprise deux fois par an. « Les plus en difficulté peuvent bénéficier d'une aide aux devoirs et d'un soutien psychologique, précise le directeur, Didier Guinaudie, par ailleurs secrétaire national de la Fnadir-CFA (Fédération nationale des directeurs de CFA). Nous consacrons une bonne partie de notre temps à l'écoute des élèves et de leurs familles. » Une pédagogie au rabais ? Construit autour d'un chalet suisse aux couleurs pastel, le CFA dispose de trois salles informatiques dernier cri. Une partie des 450 apprentis, répartis dans des sections de niveau CPA (de la classe préparatoire à l'apprentissage) à BTS, vont acheter et vendre des produits issus du commerce équitable du Burkina Faso.

En 2005, 380 000 élèves – contre 1,6 million environ en Allemagne – ont appris un métier par le biais de l'apprentissage. L'objectif du gouvernement d'atteindre les 500 000 apprentis par an en 2009 paraît ambitieux. Dans l'enseignement supérieur, notamment, le Premier ministre veut pratiquement doubler les effectifs en fixant la barre à 100 000. Lors des Assises de l'apprentissage organisées par la CCIP fin février, Gérard Larcher annonçait sa volonté de créer un CFA par université. « L'ouverture du supérieur à l'apprentissage permet à des étudiants issus de milieux modestes de poursuivre leurs études en DUT, licence professionnelle ou master », explique Bernard Fabre, directeur du CFA universitaire d'Alsace, qui a formé 393 apprentis en 2005. « Nous avons besoin de locomotives pour tirer les trains. Mais 150 000 jeunes sortent du système éducatif sans qualification et il ne faut pas abandonner les niveaux CAP-BEP », tempère Henri Lachmann, P-DG de Schneider Electric. Aux jeunes en rupture scolaire, le gouvernement propose l'apprentissage junior, dispositif assez proche des classes préparatoires à l'apprentissage (CPA) et des classes d'initiation préprofessionnelle en alternance (Clipa) existantes (voir encadré page 74). « Les CFA restent une solution pour des jeunes qui veulent découvrir l'entreprise et apprendre des choses concrètes, conteste Didier Guinaudie, du CFA de Poissy. Mais ils ne peuvent se mettre au service de la lutte contre la délinquance. »

Excepté la Haute-Normandie, toutes les régions, qui ont hérité du pilotage de l'apprentissage, ont signé un contrat d'objectifs et de moyens (COM) avec l'État. L'Ile-de-France, qui vise les 100 000 apprentis en 2009 contre 67 000 actuellement, va y consacrer 200 millions d'euros, à parité avec l'État. Les Pays de la Loire vont débloquer 208 millions d'euros en 2006. Globalement, les COM mettent l'accent sur l'amélioration du suivi et des conditions de vie des jeunes. Les réformes successives ont redoré le statut de l'apprenti, en lui permettant de conserver son ancienneté en cas de changement d'employeur. La CCIP, qui forme environ 4 000 apprentis par an, a instauré une pédagogie différenciée. « Nous avons individualisé et modularisé les parcours, explique Annick Fortin, directrice du réseau CFA de la CCIP. Nous pouvons dispenser les jeunes de certains modules pour mettre l'accent sur les matières où ils sont en difficulté. Ils ont aussi la possibilité de préparer un CAP en un an. » Résultat : le taux de rupture des contrats est de 3,3 % seulement, contre une moyenne de 25 %.

Malgré ces efforts, l'apprentissage souffre encore d'une image galvaudée en France, où les diplômes fondent en grande partie le statut social. S'il enregistre une percée notable au bac ? et dans le supérieur, il reste étroitement associé aux niveaux de qualification de type CAP-BEP (deux tiers des contrats). Et même s'il constitue un antidote au chômage des jeunes, avec un taux d'emploi de 85 % pour les CAP, les familles renâclent encore à y inscrire leurs ouailles. « Les plus difficiles à convaincre sont les parents et les enseignants, confirme Josiane Tatin, directrice du CFA Sup 2000, premier CFA universitaire créé en 1990 qui forme aujourd'hui 12 000 apprentis, en partenariat avec 987 entreprises et 8 universités. Un proviseur m'a fait remarquer récemment que l'apprentissage n'était pas fait pour ses élèves, destinés aux classes prépas. »

« Les pouvoirs publics ne sont pas seuls à décider, rappelle Jean-Jacques Arrighi, chargé d'études au Cereq. L'apprentissage naît d'un compromis entre les intérêts des branches, des chambres consulaires, des établissements de formation. » Côté entreprises, ce sont celles de moins de 50 salariés qui accueillent le gros des troupes. Selon la Dares, en 2004, elles ont embauché plus de 83 % des apprentis. Les grandes sont à la traîne, sans parler du secteur public, qui accueille à peine 4 000 apprentis. Pour inciter ces entreprises à jouer leur rôle de formatrices, le projet de loi pour l'égalité des chances instaure des quotas. Celles de plus de 250 salariés devront embaucher des jeunes à hauteur d'au moins 1 % de leurs effectifs en 2007, puis 2 % en 2008 et 3 % en 2009. Les employeurs pris en défaut devront payer une taxe d'apprentissage majorée de 0,6 % de la masse salariale.

Certaines entreprises n'ont jamais formé et ne s'y mettront jamais », déplore Jean Lardin, président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb). En 2005, Jean-Louis Borloo avait confié à Henri Lachmann une mission de valorisation de l'apprentissage dans les grandes entreprises. Une initiative qui s'est traduite par une charte ratifiée par un millier d'entreprises, dont 35 du CAC 40. L'objectif principal étant d'augmenter de 20 % en deux ans le nombre d'apprentis chez les signataires. Carrefour s'est engagé à recruter plus de 1 500 apprentis, la BNP accueille environ 800 jeunes en apprentissage et en contrat de professionnalisation, Schneider a détaché un ingénieur commercial à temps complet pour faire le point annuellement sur les engagements pris et animer un réseau de bonnes pratiques. « Les grandes entreprises disposent d'une vraie capacité de formation par le biais des tuteurs, explique Henri Lachmann. Elles bénéficient aussi d'une capacité d'attraction et de placement des jeunes une fois diplômés. »

Dans un secteur en pénurie de main-d'œuvre, Bouygues Construction, signataire de la charte, a depuis longtemps noué des partenariats avec des organismes de formation. Partisan de la création, en 1997, du CFA Gustave-Eiffel de Chilly-Mazarin, le constructeur recrute 50 à 60 % de ses élèves. Kévin Thépault en fait partie. Dès 16 ans, il préparait un CAP en bâtiment-gros œuvre en alternance sur les chantiers d'Habitat résidentiel, une filiale de Bouygues Construction. « Une cousine, qui travaillait au siège de Bouygues, m'a conseillé de préparer un CAP à Gustave-Eiffel après ma troisième. Mes parents m'ont soutenu mais m'ont prévenu que si je commençais, je devrais aller jusqu'au bout. » Sept ans plus tard, le voilà chef d'équipe boiseur-traceur d'une dizaine d'ouvriers qui l'ont parfois connu simple manœuvre. « Les responsabilités ne m'effraient pas. J'aime bien encadrer des gens. Plus tard, j'aimerais devenir chef de chantier. Ma hiérarchie a déjà tout planifié. » Pour gagner la bataille contre le chômage des jeunes, le gouvernement Villepin aura besoin de beaucoup de Kévin.

Le gouvernement veut passer de 380 000 apprentis en 2005 à 500 000 par an d'ici à 2009

Apprentis à 14 ans

Je déambulais dans les allées d'un salon professionnel en songeant qu'il nous faudrait des têtes bien faites pour maîtriser les nouvelles technologies quand le gouvernement a annoncé son intention de ramener à 14 ans l'âge possible de l'apprentissage, se souvient Jean Lardin, président de la Capeb. Mais l'apprentissage constitue une voie d'intégration des jeunes, pas un palliatif aux manquements de la société ! Qu'on ne s'étonne pas, en colportant une image a minima, que les jeunes refusent de venir. » En réponse aux violences urbaines, la proposition de Dominique de Villepin de créer un apprentissage pour les jeunes en déshérence a fait grand bruit en novembre dernier. Opérationnel à la rentrée prochaine, le nouveau dispositif devrait se substituer aux actuelles classes d'initiation préprofessionnelle en alternance (Clipa) et classes préparatoires à l'apprentissage (CPA), qui concernent actuellement plus de 9 000 jeunes.

Dès 14 ans, les jeunes, sous statut scolaire, pourront suivre une initiation aux métiers dans un lycée professionnel ou un CFA en alternant avec des stages en entreprise. Ce que permettaient déjà les Clipa. Le seul changement majeur réside dans la possibilité de signer un contrat d'apprentissage dès 15 ans, âge pour lequel une dérogation est aujourd'hui nécessaire.

« Le gouvernement oublie que la plupart des Clipa et CPA ont été supprimées pour cause d'insuccès, rappelle Jean-Jacques Arrighi, chargé d'études au Cereq. Celles qui ont résisté doivent leur survie à des équipes pédagogiques motivées. » Le pari de l'apprentissage junior n'est donc pas gagné.

Un financement inégal

La dernière réforme de la taxe d'apprentissage semble plonger certains CFA dans l'embarras financier.

Les entreprises qui pouvaient auparavant verser directement une partie de la taxe aux CFA de leur choix doivent maintenant passer par un organisme collecteur de la taxe d'apprentissage (Octa), rendu obligatoire par la loi de cohésion sociale. « En principe, la redistribution des Octa est effectuée fin juin, explique Jean-Marc Bonnafon, directeur du centre Gustave-Eiffel, à Chilly-Mazarin. Mais je n'ai aucune lisibilité sur les montants qui vont m'être versés. »

Christian Vambersky, directeur général du CFA interprofessionnel Corot, à Marseille, souligne que « la taxe d'apprentissage est versée dans la région où est domicilié le siège social, ce qui crée des disparités énormes ».

Mais le Fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage devrait permettre d'opérer une péréquation entre les régions. Pour sa part, la CCIP a proposé, lors des premières Assises de l'apprentissage en février, de stabiliser pendant cinq ans le cadre juridique de l'apprentissage et notamment de son financement, afin que les entreprises puissent élaborer une stratégie à plus long terme.

Auteur

  • S. D.