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Vie des entreprises

Nullité du licenciement d'un salarié non protégé

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.03.2006 | Jean-Emmanuel Ray

Indemnisation ou réintégration ? Pour sanctionner l'illégalité du licenciement, le juge s'est longtemps placé sur le terrain de la réparation, avant de privilégier la remise en l'état. Depuis les années 2000, la dynamique de la réintégration est remise en cause par la chambre sociale, le juge constitutionnel et le législateur. Mais l'addition peut être salée pour l'employeur.

Annule-t-on un divorce ? Jusqu'au début des années 80, la réintégration d'un salarié illégalement licencié était rarement prononcée, pour trois raisons : l'article 1142 du Code civil semblait permettre d'échapper à cette obligation de faire en payant des dommages-intérêts. Le juge hésitait à imposer au chef d'entreprise fautif de perdre ainsi la face. L'état du marché de l'emploi n'avait rien à voir avec celui d'aujourd'hui, et une éventuelle réintégration aurait mis le salarié en situation de futur démissionnaire. Il était donc plus raisonnable de lui allouer des dommages-intérêts, comme l'indique encore par exemple le dépassé article L. 412-2 du Code du travail sanctionnant la prise en compte de l'activité syndicale. Or, qu'il s'agisse d'un licenciement ou d'un retard de promotion à ce titre, la jurisprudence de la Cour de cassation est bien fixée : la remise en l'état s'impose. Elle a ainsi sanctionné, le 23 novembre 2005, la cour de Paris ayant refusé de reclasser un militant discriminé dans sa carrière : « Les dispositions de L. 412-2 ne font pas obstacle à ce que le juge ordonne le reclassement d'un salarié victime d'une discrimination prohibée. » Et, le 26 janvier 2006, elle autorisait même le juge des référés, le « Samu de la justice », à pourvoir à cette promotion judiciaire. S'agissant d'ailleurs de licenciement nul, le terme « réintégration » est-il adéquat ? Si le licenciement est frappé de nullité, il n'a en droit jamais existé : il y a donc eu éviction, et il s'agit de « la poursuite du contrat qui n'a pas été valablement rompu ».

1° FLUX ET REFLUX DE LA « RÉINTÉGRATION »

Logique d'indemnisation ou de pouvoir ? Initiée pour les représentants du personnel bénéficiant d'une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun, la réintégration sous astreinte s'est banalisée avec les lois Auroux, en particulier avec l'article L. 122-45 du Code du travail frappant d'une nullité de plein droit tout licenciement discriminatoire, dont la liste s'allonge année après année (18 cas aujourd'hui).

Puis avec la loi de 1993, ce fut au tour des plans sociaux n'intégrant pas un plan de reclassement : la « procédure de licenciement étant nulle et de nul effet, la nullité s'étend à tous les actes subséquents ». Les licenciements étaient donc eux-mêmes nuls (arrêt Samaritaine du 13 février 1997). Mais il ne s'agissait alors plus de réintégrer un ou deux salariés, mais plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines, dans une entreprise qui, malgré ses frasques, connaissait la plupart du temps de graves problèmes économiques.

Cette dynamique de l'annulation, souvent en l'absence de texte en ce sens et aux effets pourtant rétroactifs, donc bien difficiles à gérer, fut doublement remise en cause à compter du XXIe siècle.

D'abord par la chambre sociale, à l'égard de juges du fond ayant une lecture panoramique des articles L. 122-14 et suivants du Code du travail : « Le juge ne peut, en l'absence de disposition le prévoyant et à défaut de violation d'une liberté fondamentale, annuler un licenciement. » (Cass. soc., 13 mars 2001.)

Principe rappelé par le Conseil constitutionnel à l'occasion de la loi de modernisation sociale de janvier 2002 : « En l'absence de disposition expresse en ce sens et la nullité ne se présumant point, la méconnaissance de cette obligation ne pourra pas être sanctionnée par la nullité de la procédure de licenciement et l'obligation de réintégration qui en résulterait. »

À cause, ensuite, du battage d'un avocat n'ayant guère lu Giraudoux – « le droit est la plus puissante des écoles de l'imagination : nul poète n'a jamais interprété la nature comme un juriste la réalité » – et pourvu d'un faible sens politique réclamant, en plein débat parlementaire de la loi du 18 janvier 2005, dans tous les médias et même en justice, la réintégration d'ex-salariés de Wolber-Michelin dans une usine définitivement fermée. La majorité parlementaire a alors voté comme un seul homme la première inflexion depuis cinquante-quatre ans : une petite mais symbolique modification de l'article L. 122-14-4 du Code du travail. Tout en maintenant le principe de la nullité, il limite très largement les possibilités de réintégration pour les employeurs prévoyants : « Le tribunal peut prononcer la nullité du licenciement et ordonner, à la demande du salarié, la poursuite de son contrat de travail, sauf si la réintégration est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l'établissement ou du site, ou de l'absence d'emploi disponible de nature à permettre la réintégration du salarié. »

Reste évidemment à définir le périmètre de cette réintégration : si, dans son arrêt Wolber du 15 juin 2005, la chambre sociale avait constaté que la réintégration « était devenue matériellement impossible, la société ayant cessé définitivement son activité et ses actifs industriels [étant] vendus », c'était pour ajouter aussitôt « qu'elle avait été demandée dans les seuls emplois que les salariés occupaient dans cette entreprise ». Peut-on en déduire que les Wolber auraient pu exiger d'être repris dans les autres sociétés du groupe Michelin ? Il serait en effet logique que le périmètre de la réintégration soit identique à celui du reclassement. Mais, en retenant justement la notion physique de fermeture de l'établissement ou du site, la loi de janvier 2005 ne condamne-t-elle pas – délibérément – cette interprétation ? C'est ce que semble indiquer l'arrêt du 15 février 2006 : « Après annulation d'un licenciement pour nullité du PSE, l'obligation de réintégration ne s'étend pas au groupe auquel appartient l'employeur. » Seul bémol : les faits de l'espèce dataient d'avant la loi de janvier 2005.

L'arrêt du 2 février 2006 tranche enfin la question d'un PSE déclaré nul par le juge… alors qu'il s'agit d'une entreprise en liquidation, pour laquelle une bien peu réaliste réintégration a été écartée par le législateur : « Lorsque la nullité du licenciement n'est pas légalement encourue, l'insuffisance du plan social au regard des exigences de l'article L. 321-4-1 prive de cause réelle et sérieuse les licenciements économiques ensuite prononcés. »

Mais avec la loi de modernisation sociale de 2002, sur ce point non démentie par celle du 18 janvier 2005, en cas de PSE insuffisant, l'indemnisation de douze mois minimum de salaire brut due au salarié préférant renoncer à sa réintégration (en plus des indemnités légales ou conventionnelles de rupture) avait montré le chemin le plus réaliste ; solution d'ailleurs massivement choisie par des salariés souvent endettés, préférant toucher de l'argent tout de suite plutôt que de devoir démissionner demain.

2° INDEMNISATIONS DES LICENCIEMENTS NULS

Même si elles n'atteignent pas les sommes allouées à un représentant du personnel illégalement licencié (parfois près de sept années, voir flash ci-contre), les sommes dues en cas de « réintégration impossible » depuis janvier 2005, ou tout simplement lorsque le salarié ne la demande pas, sont importantes et donc, a priori, dissuasives pour l'entreprise. Mais elles deviennent alors si attractives pour le salarié qu'elles le désincitent à demander sa réintégration. Le changement de nature de la sanction, salué comme le grand bond en avant de 1982-1985 (la violation d'une liberté fondamentale impose la remise en l'état), devient alors dans la pratique un simple changement de niveau. Une telle issue indemnitaire coûte aujourd'hui beaucoup plus cher, mais entre dans la gestion économique des risques juridiques pour une entreprise qui peut payer. Bref, la violation d'une liberté fondamentale a un coût, mais aussi un prix prévisible… si l'on oublie les lourdes sanctions pénales (ainsi en cas de discrimination) et l'alternative offerte au salarié.

• Réintégration non demandée : « Outre les indemnités de rupture, le salarié dont le licenciement est nul et qui ne demande pas sa réintégration a droit en toute hypothèse à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire », rappelait la chambre sociale le 21 septembre 2005. Peu importe ici le seuil habituel de plus de deux ans d'ancienneté et de 10 salariés pour l'indemnisation minimale de six mois incompressible.

• Réintégration demandée : « La réintégration est de droit et le salarié est regardé comme n'ayant jamais cessé d'occuper son emploi. » (C. trav., art. L. 122-45-2.) Il doit donc toucher tous les salaires et primes dont il a été privé, auxquels s'ajoute le cas échéant l'astreinte journalière à laquelle l'entreprise a été condamnée par le juge des référés tant qu'il n'a pas retrouvé son poste. Faut-il en déduire les revenus que le salarié a pu obtenir entre son éviction et sa réintégration effective ? L'arrêt du 3 juillet 2003 avait admis la déduction des divers revenus, professionnels ou de remplacement, perçus par lui : tout le préjudice, mais rien que le préjudice.

Mais s'agissant de grévistes illégalement licenciés, soucieuse de dissuasion en amont dans cette situation particulièrement conflictuelle, la Cour de cassation a évolué le 2 février 2006. Après avoir repris le préambule constitutionnel de 1946 et 1958, rappelé que « le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle », puis repris intégralement les trois alinéas de l'article L. 521-1 du Code du travail, elle énonce que « les salariés, dont les licenciements étaient nuls – en clair annulés par le juge – et dont les contrats n'avaient pas été rompus, avaient droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'ils auraient dû percevoir entre leur éviction de l'entreprise et leur réintégration, peu important qu'ils aient ou non reçu des salaires ou un revenu de remplacement pendant cette période ».

À l'instar de la somme forfaitaire que touche automatiquement un représentant du personnel illégalement licencié au titre de son statut, il s'agit donc d'une peine privée qui sanctionne un comportement particulièrement grave : on peut imaginer qu'il en sera de même s'agissant d'autres droits de même valeur (ex. : activités syndicales), quelle que soit la nature du contrat, actuel ou futur.

FLASH

Quid des RP que l'employeur refuse de réintégrer ?

« Lorsque le salarié protégé a obtenu judiciairement sa réintégration – en l'espèce, plusieurs décisions de référés, confirmées par la cour d'appel de Caen – et que l'employeur y a fait obstacle, ce dernier est tenu au paiement d'une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait perçue jusqu'à ce que, renonçant à la réintégration, il prenne acte de la rupture du contrat de travail. »

Après dix ans de contentieux et deux arrêts de cassation, la chambre sociale a tranché le 25 janvier 2006.

En l'espèce, le salarié qui avait demandé l'organisation d'élections et qui, n'ayant pas été réintégré, avait fini par prendre acte, a eu droit « aux indemnités de rupture ainsi qu'à une indemnité pour licenciement illicite au moins égale à celle prévue par l'article L. 122-14-4 du Code du travail », soit 75 mois de salaires

+ indemnité de préavis

+ indemnité de licenciement

+ six mois minimum au titre du défaut automatique de cause réelle et sérieuse.

Au total, donc, l'équivalent de 85 mois de salaire !

Hypothèse rarissime, mais qui se banalisera même lorsque le délégué du personnel ou le membre du comité d'entreprise licencié sans autorisation de l'Inspection du travail ne demandera pas sa réintégration, avec le prolongement des mandats de deux à quatre ans intervenu en août 2005.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray