logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Pourquoi les dépenses des hôpitaux s'emballent

Politique sociale | publié le : 01.03.2006 | Valérie Devillechabrolle

Image

Évolution des dépenses des hôpitaux (en %)

Crédit photo Valérie Devillechabrolle

Sous l'effet de la tarification à l'activité, de la frénésie d'investissements et de restructurations en panne, les déficits se creusent et la fuite en avant continue…

Les hôpitaux dans le rouge ! L'année vient à peine de commencer que les représentants des principales fédérations hospitalières tirent déjà la sonnette d'alarme pour 2006. « Notre situation budgétaire n'est pas bonne, déplore Gérard Vincent, le délégué général de la Fédération hospitalière de France (FHF), représentant les hôpitaux publics. Compte tenu d'une augmentation de nos besoins estimée à 4,32 %, il nous manquera 830 millions d'euros à la fin de l'année. » Dès l'automne, Gérard Vincent dénonçait « la situation la plus catastrophique depuis 1945, avec deux tiers des établissements dans le rouge ». « Notre état est relativement alarmant », renchérit Yves-Jean Dupuis, directeur général de la Fehap, qui regroupe les structures à but non lucratif, en pointant la reconduction partielle en 2006 des aides reçues en 2005.

Ce n'est pourtant pas faute d'injecter des crédits. Avec près de 62 milliards d'euros de versements en 2005, l'assurance maladie affecte plus de 45 % de son budget aux hôpitaux publics et privés. Des subventions qui progressent de 4 % par an en moyenne depuis 2000 et dépassent chaque année l'objectif national de dépense, le fameux Ondam, fixé à 3,6 % en 2005 par le Parlement dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale. Au point que les 650 millions d'euros de dépassement attendus pour 2005 par la commission des comptes de la Sécurité sociale devraient être… dépassés. Un tel emballement de dépenses s'explique en partie par le vieillissement de la population et les progrès de la médecine. Mais cette dérive de la facture hospitalière possède une autre explication : la réforme de la T2A, autrement dit la tarification à l'activité. Adopté en 2003 par le gouvernement Raffarin et appliqué à l'ensemble des établissements du privé dès 2004 (mais à hauteur seulement de 25 % du budget de ceux du public en 2005, 35 % en 2006), ce nouveau mode de financement hospitalier a vocation à se substituer à la dotation globale en vigueur depuis une quinzaine d'années. Un vieux système qui, selon Rose-Marie Van Lerberghe, directrice générale de l'AP-HP, « engendrait des rentes de situation et ne permettait pas de financer des activités nouvelles ».

Malheureusement, à défaut de la régulation escomptée, le premier effet du nouveau dispositif a été… d'« engendrer une dérive non maîtrisée des dépenses », selon les conclusions du rapport des inspections générales des affaires sociales et des finances publié en décembre. « La T2A a fait sauter un verrou en permettant aux hôpitaux d'accroître leur activité au-delà de ce que leur permettait jusque-là la dotation globale », confirme Gérard Viens, professeur d'économie et de gestion de la santé à l'Essec. Avec la bénédiction des agences régionales de l'hospitalisation, souligne Gérard Vincent, de la FHF : « La plupart des contrats de retour à l'équilibre signés par les hôpitaux en difficulté sont, explique-t-il, fondés sur le pari d'une augmentation de leur activité. » Exemple aux Hospices civils de Lyon : « Pour ne pas perdre une dotation en excédent de 60 millions d'euros, il a fallu augmenter l'activité de 5 % en 2004 », observe Véronique Faujour, directrice des ressources financières des HCL.

Autre effet inflationniste de la T2A, le mode de calcul des tarifs. Basés sur une moyenne des prix pratiqués, « ils ne reflètent pas les coûts réels de production », regrette Jean-Marc Aubert, le directeur délégué à la gestion et à l'organisation des soins de la Cnam. Ces tarifs ne tiennent notamment pas compte des différences de coûts de personnel d'un secteur à l'autre. « Cela signifie que, pour rentabiliser un bloc opératoire, il faudra 1 500 à 2 000 patients dans une clinique privée, mais 400 de plus dans un hôpital public », souligne Jean-Pierre Claveranne, directeur de l'Institut de formation et de recherche sur les organisations sanitaires et sociales de l'université Lyon III. Cerise sur le gâteau, « ces tarifs ne sont assortis d'aucun contrôle de qualité des soins », note l'économiste de la santé Jean de Kervasdoué, professeur au Conservatoire des arts et métiers. Or, selon le rapport de la Cnam consacré à la politique hospitalière, publié en janvier, 30 % des journées d'hospitalisation et 25 % des prises en charge en réanimation ne sont toujours pas pertinentes.

Pour rester dans le cadre de l'enveloppe de l'Ondam, le gouvernement n'hésite bien sûr pas à manier l'arme suprême : la baisse des tarifs. Ainsi, les pouvoirs publics envisagent de réduire de 1 % en 2006 le tarif des actes facturés à la Sécurité sociale. Mais au risque d'accroître les difficultés de trésorerie de certains établissements, notamment du privé. Comme l'hôpital Saint-Joseph de Marseille, établissement à but non lucratif, pourtant bon élève en matière de maîtrise des coûts : « Entre la montée en charge trop lente de la T2A, la baisse des tarifs et la hausse de nos coûts variables due à l'accroissement de notre activité, la perspective 2006 est inquiétante », reconnaît Bernard Monnier, directeur général de cet établissement. Pour s'en sortir, il mise notamment sur le rachat des activités médicales et chirurgicales marseillaises de la Croix-Rouge, afin d'optimiser ses installations et… d'accroître son activité de 10 %. « C'est la course à l'échalote ! » commente Véronique Faujour, des HCL. Ou la fuite en avant.

Cette course à l'activité constitue la seule échappatoire possible pour éviter une réduction de voilure trop drastique. « Cela nous dispense d'ouvrir le débat sur les effectifs », décrypte Gérard Vincent, de la FHF. Alors que les dépenses de personnel représentent déjà près des trois quarts des coûts dans le public et plus de la moitié dans le privé, l'emploi aurait pu constituer une variable d'ajustement pour compenser l'impact des revalorisations salariales et les multiples protocoles catégoriels décidés par les pouvoirs publics mais pas toujours financés. En 2005, les établissements du secteur privé non lucratif ont dû absorber, outre la fin des aides Aubry, le surcoût lié à la nouvelle convention collective des personnels, rappelle Yves-Jean Dupuis, directeur général de la Fehap. Dans les hôpitaux publics, la revalorisation des salaires des fonctionnaires s'est traduite par un surcoût estimé à 110 millions d'euros. Quant aux médecins, ils ne sont pas en reste : le poids de leurs rémunérations a gonflé de 36 % entre 1999 et 2003, selon la FHF.

Il reste que, pour cause de réduction du temps de travail, mais aussi de pressions syndicales relayées par les élus locaux, les effectifs ne cessent de croître : plus de 66 000 emplois (soit plus de 7,3 % des effectifs) ont été créés entre 1999 et 2003 dans les hôpitaux, toutes catégories confondues. Et ce n'est pas fini. À peine une stabilisation observée en 2004, sous l'effet de l'externalisation d'activités peu qualifiées (nettoyage, hôtellerie, blanchisserie), le gouvernement invitait cet été les établissements à recruter… quelque 30 000 nouveaux contrats aidés. « C'est de la pure hypocrisie ! » fulmine Gérard Vincent. Surtout, les hôpitaux se préparent à embaucher pour bénéficier des activités porteuses : hospitalisation à domicile, longs séjours, soins de suite. À l'AP-HP, après avoir supprimé 1 820 emplois administratifs pour revenir à l'équilibre, le plan stratégique 2005-2009, dévoilé en juillet dernier, prévoit de créer 1 100 postes d'infirmiers et 580 d'aides-soignants pour accompagner la création de 600 lits de soins de suite et de réadaptation. « Cela va nous permettre d'optimiser nos moyens en réduisant une durée de séjour supérieure à la moyenne nationale », plaide Rose-Marie Van Lerberghe.

Parallèlement, le chantier explosif de la rationalisation de l'offre hospitalière est en rade. « Fermer un lit constitue toujours une erreur de gestion, argumente Véronique Faujour, directrice des HCL, ancienne consultante d'Ernst & Young. Car cela revient à s'interdire de réaliser 170 000 euros de chiffre d'affaires et de pérenniser quatre emplois. » Conséquence : pour l'heure, la restructuration hospitalière a accouché d'une souris. « Si, depuis quinze ans, le nombre de lits ne cesse de diminuer, nous sommes arrivés à un étiage, reconnaît Jacques Métais, président de la conférence des directeurs des ARH. Car s'il semble possible de diminuer encore un peu le nombre de lits de chirurgie, celui des lits de la médecine de long séjour va aller en augmentant du fait du vieillissement de la population. »

En contrepartie de la suppression de 78 000 lits, 48 000 places d'hospitalisation partielle et 4 200 en hospitalisation à domicile ont ainsi vu le jour entre 1992 et 2003, selon le rapport de la Cnam. Des efforts inéquitablement répartis : si le nombre des établissements privés, à but lucratif ou non, s'est réduit de 30 % sur cette période, celui des hôpitaux publics n'a décru que de 11 %. Et la tendance se confirme : d'un côté, les restructurations dans le secteur privé se poursuivent, comme en témoignent le récent rachat par la Générale de santé de la dizaine d'établissements franciliens du numéro deux du secteur Hexagone Hospitalisation ou encore la mise en vente par la Croix-Rouge de ses activités sanitaires non rentables. À l'opposé, dans le secteur public, le rapprochement de deux hôpitaux, comme ceux d'Aix-en-Provence et de Pertuis, distants d'une vingtaine de kilomètres, est toujours encalminé dans la guerre picrocholine que se livrent les deux établissements. « On ne s'en sortira pourtant pas sans fermer quelques structures », plaide un observateur…

Quant à la nouvelle gouvernance visant à associer davantage les médecins aux réorganisations internes, via notamment la création de pôles regroupant plusieurs services, ses effets ne se font pas encore sentir. « Tout dépendra de l'attitude des chefs de service et de l'impulsion donnée par la direction », relève Yolande Briand, secrétaire générale de la Fédération CFDT santé-sociaux. « Fermer un lit restera toujours vécu comme une amputation par le corps médical dans la mesure où les ouvertures ne se font pas dans les mêmes spécialités », reconnaît Gilles Bommelaer, président de la commission médicale d'établissement du CHU de Clermont-Ferrand. En identifiant clairement les moyens alloués et l'activité générée dans chaque hôpital, la T2A permettra-t-elle de ralentir la course folle des établissements ? En reconnaissant que, « depuis les années 70, l'hôpital a une capacité certaine à enkyster toutes les réformes », Jean-Pierre Claveranne veut le croire : « Qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, l'hôpital est, grâce à la T2A, entré en gestion. » Reste à savoir si les finances de la Sécu seront les bénéficiaires de cette mise en concurrence par les volumes et les prix…

Hôpital 2007 = déficit 2012 ?

Vu par la lorgnette du gouvernement, le succès du plan Hôpital 2007 est si indéniable qu'il s'est, en janvier, empressé de lui donner une suite : Hôpital 2012. Annoncée en 2003 par l'ancien ministre de la Santé Jean-François Mattei, cette manne de 6 milliards d'euros sur cinq ans a, en effet, permis de relancer la capacité d'investissement des hôpitaux : en 2004, 4 milliards d'euros avaient ainsi été investis dans de multiples projets immobiliers et d'équipements, soit 30 % de plus qu'en 2003. « Nous avons choisi de financer en priorité les opérations de regroupements et de restructurations », souligne Jacques Métais, président de la conférence des directeurs d'ARH, chargés de la répartir.

La médaille a toutefois son revers. D'abord, comme le souligne Jean-Pierre Claveranne, de l'université de Lyon III, « les hôpitaux sont en train de se reconstruire à un coût exorbitant », en avançant le chiffre de 40 millions d'euros pour la restauration d'un bloc opératoire, réanimation et radiologie comprises, là où l'édification d'un hôpital de long séjour de 300 lits ne s'élève qu'à 50 millions d'euros. Pour réaliser ces projets, les hôpitaux ont beaucoup recouru à l'emprunt. Si bien que la dette des hôpitaux devrait s'alourdir de 9,1 milliards d'euros en 2003 à plus de 15 milliards d'euros en 2007 (estimation de Dexia Crédit local). Enfin, ces nouveaux investissements risquent de se traduire par une flambée des coûts de fonctionnement.

Exemple à l'AP-HP où les investissements liés à Hôpital 2007 se traduisent par un surcoût de fonctionnement de 114 millions d'euros chaque année. L'ouverture d'un centre parents-enfants de 137 lits à l'hôpital Saint-Joseph de Marseille va contraindre sa direction à dégager 3 millions d'euros supplémentaires pour entretenir les 2 blocs et les 11 salles d'accouchement neufs.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle