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Idées

Faut-il généraliser le contrat nouvelles embauches ?

Idées | Débat | publié le : 01.03.2006 | Francis Kramarz Chercheur au Crest, professeur chargé de cours à l’École polytechnique.

Avec 304 000 intentions d'embauche fin janvier 2006, le contrat nouvelles embauches, CDI assorti d'une période d'essai de deux ans, connaît un réel succès dans les TPE de moins de 20 salariés pour lesquelles il a été conçu. Afin de doper cet effet emploi, le gouvernement doit-il, comme le réclame le Medef, étendre le CNE à l'ensemble des entreprises ? Les réponses, mitigées, de trois économistes.

Par la suspension d'une partie des articles du Code du travail réglementant le licenciement, le contrat nouvelles embauches (CNE) et le contrat première embauche (CPE) conduisent à de profonds changements du droit du travail. La motivation de cette réforme repose sur l'hypothèse que les coûts de licenciement pèsent sur l'emploi et contribuent à accroître la durée moyenne du chômage. Il est probable que le CNE conduise à embaucher davantage mais aussi détruise plus d'emplois, surtout s'il se substitue en partie à l'embauche en CDI. L'effet final est donc incertain. Surtout, il ne s'attaque pas aux problèmes centraux du tandem CDD-CDI : la discontinuité après dix-huit mois (durée maximale théorique) lors de la transformation du CDD en CDI ; le flou juridique qui entoure le licenciement en CDI après deux ans d'ancienneté. En CDI, s'il y a licenciement économique, l'entreprise et le salarié sont dans l'imprécision quant à la qualification du licenciement. À l'incertitude juridique s'ajoute le coût (au moins six mois de salaire, si la cause n'est pas jugée réelle et sérieuse). Toutefois, le CNE met en place une taxe sur le licenciement de 2 % des salaires versés en faveur de l'Unedic. Il est possible d'y voir les débuts d'un financement d'une sécurité sociale professionnelle.

Parce qu'en France il y a chaque jour 30 000 embauches, en grande partie en CDD, et aussi 30 000 départs de l'emploi dans des conditions souvent difficiles ; parce que le licenciement économique est accompagné de procédures de reclassement formellement exigeantes mais souvent contournées au détriment des salariés les plus fragiles et les moins informés, il faut réfléchir à ce que doit être le meilleur contrat. Il doit allier sécurité et mobilité, être unique et avoir trois composantes : comme le CNE, il serait à durée indéterminée, donnerait droit à une indemnité de précarité versée au salarié et lieu à une contribution de solidarité payée par l'entreprise qui licencie. Mais le CNE ne résout pas la question de la discontinuité entre l'avant et l'après deux ans et ne lève pas le flottement juridique. Il faut que ce contrat laisse l'employeur seul juge des raisons économiques du licenciement, donne au salarié des droits croissant régulièrement avec l'ancienneté, négociés avec les partenaires sociaux. Ainsi, les salariés pourraient bénéficier d'un véritable accompagnement, d'une sécurisation des trajectoires, seuls garants d'une mobilité acceptée et de compétences régulièrement renouvelées.

Deux raisons peuvent être invoquées pour justifier la généralisation des contrats de type CNE et CPE. La première est la lutte contre le chômage. Les contraintes qui pèsent sur les licenciements génèrent, en effet, des dépenses qui peuvent augmenter le coût du travail et nuire à l'emploi. Mais les CDD et l'intérim évitent l'essentiel de ce coût en permettant une grande flexibilité de l'emploi tout en réduisant les besoins de licenciement. La France connaît ainsi un taux de turnover de la main-d'œuvre élevé. Il n'y a donc ni insuffisance globale de flexibilité ni coût du travail excessif du fait du contrat de travail. En conséquence, il est peu vraisemblable que l'assouplissement du CDI engendre des créations d'emplois.

La seconde raison qui pourrait justifier l'adoption d'un nouveau type de CDI est la juxtaposition sur le marché du travail de contrats précaires, intérim ou CDD, et de contrats protégés à durée indéterminée. Outre qu'elle est peu satisfaisante du point de vue de l'équité, cette situation est aussi une source d'inefficacité en ce qu'elle reporte sur les entrants le poids des ajustements conjoncturels et allonge les durées d'insertion dans des emplois stables. La réunification du contrat de travail implique que le recours aux CDD ou aux missions d'intérim redevienne exceptionnel et ne constitue plus un moyen normal d'embauche. Cette évolution suppose l'assouplissement du CDI. Les contrats nouvelles embauches et première embauche peuvent contribuer à réduire la précarité s'ils se substituent aux CDD et à l'intérim, mais leur généralisation implique une révision de leur modalité, car la période de deux années permettant le licenciement sans motif explicite crée une discontinuité sans justification. On ne gagnerait rien à faire alterner les salariés sur des emplois de deux ans.

L'assouplissement du CDI implique une réflexion et un choix à propos des fondements du droit du travail : soit on maintient le principe de motivation du licenciement et il faut, alors, étudier les dispositions susceptibles de sécuriser les entreprises qui appliquent les règles en évitant les recours systématiques ; soit on adopte la méthode américaine de rupture possible sans justification du contrat de travail (employment at will) et on facilite a priori les licenciements pour les entreprises, mais il devient difficile d'éviter le risque juridique puisque l'on accroît le rôle du juge dans le contrôle ex post de l'équité des décisions de l'entreprise.

C'est surtout la logique qui a présidé au CNE qu'il faut parachever. En premier lieu, aucune raison ne justifie que ce type de contrat ne concerne que les PME et exclue les entreprises de plus de 20 salariés. Il n'est jamais bon, comme on l'a fait avec les 35 heures, d'entretenir des différences de statut entre grandes et petites entreprises. Les seuils relatifs à la taille des entreprises sont source d'inefficacité et d'inégalités.

Notre économie a besoin de s'adapter en permanence. Cela passe par une certaine flexibilité du marché du travail qui se manifeste aujourd'hui par une dualité entre contrats temporaires (CDD, intérim…) et CDI privés ou publics. Cette dualité renforce les inégalités de revenus. Les jeunes, les femmes en pâtissent le plus. Nous en sommes arrivés là pour une raison simple. Certaines entreprises refusent d'embaucher en CDI et préfèrent recourir au travail temporaire de peur de ne pas pouvoir se défaire dans le futur de ces nouveaux salariés en CDI. Actuellement, c'est au juge d'apprécier si la situation économique de l'entreprise justifie ou non le licenciement économique et si ce qui est en jeu est la « préservation » plutôt que l'« amélioration » de la compétitivité de l'entreprise. Mais que signifie préserver la compétitivité quand l'entreprise doit faire évoluer ses métiers et ses productions ? Dans la pratique, pour éviter ces procédures juridiques, chefs d'entreprise et salariés négocient quasi systématiquement des indemnités de départ. Le coût moyen d'un licenciement (indemnité de départ, temps passé, frais d'avocat…) est élevé (environ une année de traitement) et l'incertitude sur son montant est grande.

Avec le CNE, le risque de contentieux juridique pour l'employeur semble a priori écarté pendant la période d'essai de deux ans. Pendant ce laps de temps, le coût de la séparation est parfaitement défini. En cela, le CNE répond aux craintes des chefs d'entreprise. Des créations d'emplois seront donc au rendez-vous. Mais le CNE ne fait que repousser le problème : au-delà des deux ans, l'employeur devra trancher entre se séparer de son salarié ou transformer le contrat en CDI durable. Il est fort probable qu'une part significative des CNE soit détruite au bout de deux ans. Seul un contrat unique, valable pour tous et dans toutes les entreprises, où le coût de la séparation est parfaitement défini et où les risques juridiques sont limités, pourra limiter et les craintes à l'embauche et la dualité de notre marché du travail.

Auteur

  • Francis Kramarz Chercheur au Crest, professeur chargé de cours à l’École polytechnique.