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Enquête

Le grand gâchis de l'orientation scolaire

Enquête | publié le : 01.03.2006 | Sandrine Foulon

Filières sans débouchés, inflation de diplômes, profs coupés du monde du travail… Le constat est sans appel : l'école ne sait pas orienter. Pis, elle perpétue les inégalités. Ce ne sont pourtant pas les pistes de réforme qui manquent. Une urgence devant les chiffres du chômage des jeunes.

On l'attendait, Dominique de Villepin l'a enfin annoncé : un grand service de l'orientation devrait voir le jour dès septembre (voir interview page 20). C'est que, avec 23 % de jeunes de moins de 25 ans en attente d'un emploi et 300 000 offres d'emploi non pourvues, le tableau a viré au cauchemar. Et la crise des banlieues de novembre l'a brutalement rappelé : l'école ne sait pas accompagner ses jeunes en échec ni les conduire vers l'emploi. En ce début d'année, le numéro un du gouvernement est venu vanter les mérites du contrat de professionnalisation à l'Institut national de formation et d'application de Nogent-sur-Marne. Une stagiaire se prépare aux métiers de l'aide à domicile. « Formidable ! Il y a vraiment un besoin extraordinaire dans ces métiers », se réjouit le Premier ministre, qui s'est lancé dans un train de mesures : CPE, apprentissage dès 14 ans… « Notre pays a un immense problème. Un jeune doit attendre huit à onze ans pour entrer durablement dans l'emploi. C'est inacceptable ! »

Et, s'il faut tirer sur une ambulance, l'orientation scolaire arrive en tête de cortège. « La politique française de l'orientation est la grande coupable du chômage des jeunes », accuse Dominique de Calan, délégué général adjoint de l'UIMM, qui pointe l'incurie des acteurs. À commencer par les parents. « Ils sont davantage guidés par “passe ton bac d'abord” que par une réflexion sur les choix, les goûts, les talents. Ils sont persuadés que plus on est diplômé, plus on est préservé du chômage. Or rien n'est plus faux », avance-t-il, rejoignant en cela Marie Duru-Bellat (l'Inflation scolaire, éd. Seuil, coll. « La République des idées », 2006). Les chiffres du Cereq ont beau montrer année après année que le diplôme reste une valeur sûre pour s'insérer, il faut aussi savoir le choisir et s'arrêter à temps. Mieux vaut décrocher un DUT qu'une licence en biologie pour espérer gagner sa vie. Selon le Cereq, le taux de chômage des bac + 1 ou bac + 2 non diplômés sortis en 2001 (18 %) s'est détérioré et vient même de dépasser celui des titulaires d'un CAP ou d'un BEP (11 %).

Surtout, et tous les rapports sur l'orientation convergent en ce sens – en passant par celui de la députée UMP Irène Tharin ou celui de Maryse Hénoque et d'André Legrand, du Haut Comité pour l'éducation et l'emploi (HCEE, aujourd'hui dissous) –, le bonnet d'âne revient à l'école. « L'orientation est responsable de 50 % des inégalités sociales », résume Jacques Sénécat, inspecteur général honoraire. Et Christian Forestier, ancien recteur, président du Cereq, de renchérir : « Tout le monde est convaincu que les performances scolaires conditionnent l'orientation. C'est partiellement vrai. » À diplôme égal, l'âge, le sexe et l'origine sociale jouent un rôle clé dans l'insertion professionnelle. En clair, une fille redoublante issue d'un milieu modeste cumule tous les handicaps. Et, contrairement aux idées reçues, les meilleurs n'échappent plus à cette règle. La méritocratie s'est arrêtée en chemin, et avec elle l'ascenseur social.

“On reste dans les savoirs académiques. On cessera d'orienter négativement lorsqu'on saura évaluer les élèves”, indique Hervé Hamon, l'auteur de Tant qu'il y aura des élèves

Kathleen, 21 ans, n'a pas choisi, comme nombre de ses camarades, la voie royale de la prépa. Et pourtant, elle aurait pu : bonne élève de terminale S, bac du premier coup, parcours sans faute. Mais, sans moyens financiers, elle commence à travailler chez Metro comme manutentionnaire et caissière. Ni ses profs ni le conseiller d'orientation ne s'émeuvent de son choix. Consciente qu'il lui fallait reprendre ses études, elle s'inscrit en Deug de communication, se rend compte que « c'est trop théorique » – et décroche. Elle surfe sur Internet et découvre le BTS en communication des entreprises, qu'elle prépare désormais en apprentissage. Son parcours n'est pas isolé depuis que l'école s'est « massifiée ». Le pourcentage de cadres supérieurs issus de familles d'ouvriers n'a pas décollé du seuil des 15 % depuis 1981. « Les familles modestes ont moins d'ambition pour leurs enfants et se plient plus volontiers aux décisions de l'institution. Ce n'est pas le cas des familles aisées, qui connaissent toutes les astuces pour que leurs enfants intègrent les meilleures filières », poursuit Jacques Sénécat.

Et il est difficile de compter sur les enseignants pour changer la donne. « Il n'y a pas d'orientation car les profs n'ont pas la culture de l'évaluation. Eux-mêmes sont passés par la moulinette à points, sont nommés à l'aveugle et refusent ensuite d'être évalués sur leur pédagogie », relève Hervé Hamon, auteur de Tant qu'il y aura des élèves (éd. Seuil) et ancien membre du HCEE. Pas question non plus de prendre en compte les qualités comportementales utiles pour s'insérer dans le monde du travail. « On reste dans les savoirs académiques. Un bon élève est celui qui fait plaisir au prof et les seules évaluations sont les bulletins de fin de trimestre, indéchiffrables pour les familles. Or on cessera d'orienter négativement lorsqu'on saura évaluer les élèves », poursuit Hervé Hamon.

Autre chantier titanesque avancé par les experts de la formation à longueur de rapports pour mettre fin à l'orientation par défaut : la remise à plat, du collège à la fac, des filières elles-mêmes, la création de diplômes modulaires pour favoriser des passerelles, la mise en place de socles ou de troncs communs avant de bifurquer vers une spécialisation. « Mais les enseignants y sont hostiles. Jusqu'à présent, les tentatives ont échoué », constate Jacques Sénécat.

La méconnaissance du monde du travail ne contribue pas non plus à une orientation positive. « La défiance à l'égard de l'entreprise est toujours là », souligne Daniel Croquette, délégué général de l'ANDCP, dont les propositions pour l'emploi passent notamment via une meilleure orientation. Pour nombre d'enseignants, il n'appartient pas à l'école de trouver une place à ses élèves. Prof en Segpa (les anciennes sections d'enseignement spécialisé qui accueillent 110 000 élèves en difficulté dès la sixième), Philippe vit quotidiennement la rupture entre les profs des filières générales et les profs d'ateliers qui se croisent à la salle des profs. « Ils ne viennent jamais nous voir. Il n'y a aucun échange. Et surtout pas sur le monde de l'entreprise. » Symptomatique du peu de crédit que le système accorde aux filières professionnelles, l'option découverte des métiers instaurée en troisième échoit aux moins bons élèves. Les meilleurs ont droit aux options européennes.

Enfin, dernier point noir de l'orientation, l'entrée à l'université. Dès les années 60, pour former en masse des étudiants, condition de son développement, la France s'est interdit de pratiquer une sélection à l'entrée. « Du coup, rappelle Élie Cohen, économiste, nous avons très vite connu une inadéquation grandissante entre les diplômés produits par le supérieur et les besoins du système professionnel. Cela s'est traduit, dans les périodes basses du cycle économique, par un chômage des diplômés peu et sous-qualifiés et, dans les phases hautes, par une pénurie de gens compétents. » Résultat, « on laisse s'engouffrer sans moufter des centaines de milliers de jeunes dans des filières dont on sait qu'elles sont bouchées. L'exemple caractéristique, ce sont les sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps). Nous tournons aujourd'hui autour de 15 000 pour 400 postes ouverts au concours ». Certes, il existe des solutions pour éviter que trop de jeunes ne s'entassent en psycho ou en histoire: moduler les bourses en fonction des disciplines choisies. Ou encore taper au portefeuille. « Sachant que les IUT ont un financement par tête d'étudiant, ils pourraient être subventionnés différemment selon le type de bacheliers accueillis, propose Christian Forestier. Mais c'est de la nitroglycérine. » Cela mettrait fin au scandale des IUT du tertiaire « qui n'accueillent que 10 % de bacheliers de sciences et technologies du tertiaire (aujourd'hui STG) et 90 % de bacheliers de filière S ».

Parallèlement, l'université a favorisé la cohabitation de filières sélectives – avec les DUT, les Miage, les DESS… qui assurent des débouchés – et non sélectives qui fabriquent des chômeurs. « Ce qui est inhérent à notre pays, c'est ce consensus implicite pour maintenir ce système très sélectif mais perçu comme égalitaire car les étudiants peuvent y accéder librement. Il est profondément inégalitaire mais il est plébiscité par les familles. Alors, on maintient tout en apparence, on affirme des pratiques hypocrites pour mieux les contourner. Ce pays réforme en contournant », analyse Élie Cohen. Et pourtant, les pistes ne manquent pas. Entre les rapports et comparaisons internationaux et le consensus assez large des experts et des pédagogues sur les solutions efficaces, il y a de quoi réformer. « Intellectuellement, c'est désespérant, se désole Hervé Hamon. On reste effaré devant le manque de courage politique, la vraie lâcheté à affronter les corporatismes. » Quant à la solution d'orienter des jeunes en apprentissage dès 14 ans, « c'est instrumentaliser l'injustice, poursuit-il. On va les évacuer vers des entreprises qui d'ailleurs n'ont guère envie d'accueillir des jeunes en grande difficulté. Et contrairement aux pays nordiques où les retours à l'école et les passerelles existent, en France, c'est du pipeau. On sait que ça ne marche pas ». Dans une logique de protection de l'espèce, l'école et son orientation perpétuent les inégalités. Pour les acteurs de l'orientation, l'évaluation est sans appel : peuvent mieux faire.

« Chaque année, entre les sorties sans diplôme et les sorties sans qualification, 120 000 jeunes auront le plus grand mal à s'insérer dans la vie active »

RAPPORT THARIN SUR L'ORIENTATION.

Si le diplôme préserve du chômage, les études longues ne sont pas forcément un rempart : 9 % des titulaires d'un diplôme de 3e cycle ou de grande école sont au chômage CONTRE 8 % pour les bac + 2.

CEREQ, GÉNÉRATION 2001.

L'informatique ; le commerce ; la santé ; l'action sociale et les services aux particuliers devraient fournir l'essentiel des créations d'emplois d'ici à 2015. Et, pour cette dernière famille de métiers, on attend 125 000 créations d'emplois.

Mais seulement 54 000 diplômés de ce domaine sortiront du système éducatif.

DEP.

Orienter vers les métiers de demain

Pour faire converger les formations et les besoins du marché, les outils sont légion. Tablant sur 600 000 départs de l'emploi entre 2005 et 2015, la mission Prospective des métiers et qualifications du Plan a dessiné par familles les métiers en essor et en déclin. De son côté, la mission Éducation, économie, emploi (M3E) de l'Éducation nationale menée par Claude Sauvageot évalue à 750 000 les sorties du système dans les dix ans à venir. « Afin de mesurer les besoins de formation, la M3E a utilisé pour la première fois la nomenclature de domaines professionnels et non pas de secteurs d'activité. Car le danger serait d'adopter une politique purement adéquationniste. Or on sait que beaucoup de formations, à l'instar du BTP, difractent vers d'autres secteurs. Les jeunes se débrouillent pour bifurquer vers d'autres métiers, note Claude Seibel, président de la mission Prospective des métiers et qualifications au Centre d'analyse stratégique (ex-Plan). La formation initiale n'est pas non plus la clé unique et la promotion interne via la formation continue est essentielle. Mais l'enjeu est de savoir si nous allons réussir à remplacer ces départs en retraite. Nous avons bien les jeunes, mais avec un déficit de formation. »

Les récents observatoires des métiers des branches, qui certes ne recoupent pas leurs besoins d'emploi avec le territoire, compilent aussi des indicateurs intéressants pour les jeunes, voire les adultes, en quête d'orientation. « Il ne s'agit pas d'être déterministe, note Jean-Claude Quentin, secrétaire confédéral FO chargé de la formation professionnelle. Mais ces observatoires vont permettre de faire redescendre dans chaque entreprise les évolutions des métiers et les priorités de formation. Jusqu'à présent, les branches étaient incapables de faire ce travail. » Pour autant, tous ces travaux, à mettre dans toutes les mains, ne sont pas assez popularisés.

D'ici à 2015, la tertiarisation de l'économie devrait se poursuivre avec toujours plus de cadres : 21 % contre 19 % en 2000, mais aussi des emplois peu qualifiés.

Les non-qualifiés représenteront 14 % des actifs contre 13 % en 2000.

DARES, PLAN.

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  • Sandrine Foulon