logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Éditorial

La politique de l'autruche des syndicats médicaux

Éditorial | publié le : 01.03.2006 | Denis Boissard Directeur de la rédaction

Les cheminots de la SNCF ne sont pas les seuls à prendre les usagers « en otage » pour obtenir la satisfaction de leurs revendications. Après l'échec, le 11 février, des négociations avec l'assurance maladie, les médecins libéraux – profession fort honorable – sont invités par leur principale organisation syndicale, la CSMF, à refuser les gardes auxquelles ils sont astreints le samedi, ou la nuit dans les services d'urgence des cliniques, à compter d'avril. De son côté, le SML les incite à pratiquer des dépassements d'honoraires illégaux. Des méthodes devenues coutumières chez les syndicats de médecins, qui ont pris la fâcheuse habitude d'engager sur le dos des assurés des bras de fer avec les pouvoirs publics et la Cnam pour arrondir les fins de mois.

Non sans succès. Selon le ministère de la Santé, le pouvoir d'achat du revenu libéral des médecins (net de charges) a progressé de 1,6 % en moyenne par an entre 1993 et 2003, et jusqu'à 3 % sur la période 2000-2004. Qui dit mieux ? Certainement pas les salariés et les fonctionnaires, soumis – eux – à un régime minceur sévère. Pour rappel, selon l'Insee, le pouvoir d'achat du salaire net a reculé de 0,2 % dans le secteur privé entre 2000 et 2004, tandis qu'il augmentait d'un modeste 1,1 % dans la fonction publique d'État. En outre, ce qu'ils n'obtiennent pas grâce à des augmentations du tarif de leurs consultations, les médecins se l'octroient en multipliant les actes ou, lorsqu'ils sont en secteur 2, en pratiquant des dépassements d'honoraires autorisés, mais de plus en plus substantiels.

La politique conventionnelle avec les médecins est en principe « donnant-donnant » : en contrepartie d'augmentations tarifaires, la profession s'engage à maîtriser l'évolution des dépenses qui lui sont imputables. « Mais, note un rapport sans ambiguïté de la Cour des comptes de septembre 2005, ces outils ont été détournés de leur objectif initial d'incitation à l'efficience de l'offre » et « utilisés pour augmenter les honoraires des professionnels de santé libéraux. […] Il en a résulté le plus souvent la non-application pure et simple des engagements. » Édifiant.

Pour endiguer la dérive sans fin des frais médicaux, il n'y a guère que deux solutions. D'abord le dispositif des enveloppes globales fermées – le respect ou non de l'objectif annuel de dépenses est sanctionné par un système collectif de bonus-malus – expérimenté en Allemagne et en France sous Rocard puis Juppé. Mais, sur recours du lobby médical, les mécanismes de reversement d'honoraires prévus en cas de dérapage ont été invalidés par le Conseil d'État. L'autre alternative est un changement du mode de rémunération des médecins, ce que suggère Philippe Séguin dans l'entretien qu'il nous a accordé (v. page 6) : à l'inflationniste paiement à l'acte serait substitué un paiement à la capitation, c'est-à-dire un forfait annuel par patient. Une réforme radicale qui pend au nez des médecins s'ils persistent à pratiquer la politique de l'autruche.

Auteur

  • Denis Boissard Directeur de la rédaction