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“Le paiement à l'acte des médecins ne doit plus être l'alpha et l'omega”

Actu | Entretien | publié le : 01.03.2006 | Propos recueillis par Denis Boissard et Jean-Paul Coulange

Pour redresser la Sécu, il faut revoir en profondeur l'organisation du système de santé, sans renoncer à la solidarité, plaide le président de la Cour des comptes.

Toutes les branches de la Sécurité sociale sont dans le rouge. Est-ce une mauvaise passe conjoncturelle ou une crise profonde et structurelle ?

Une mauvaise passe qui dure n'est pas conjoncturelle, d'autant qu'elle a pour conséquence une augmentation de la dette sociale. Nous sommes devant une tendance lourde qui résulte du progrès médical et du vieillissement de la population. Aucune solution ne peut être attendue durablement d'une augmentation des ressources liée à une reprise de la croissance ou à un changement d'assiette des cotisations. L'expérience de la dernière décennie nous montre que la solution ne réside pas non plus dans la seule maîtrise des dépenses de notre système de santé, bien que celle-ci soit indispensable. Il faut maintenant réexaminer l'organisation même de notre système de santé et ses principes de base : liberté totale laissée aux prescripteurs et aux usagers, ce qui est maintenant une particularité en Europe, liberté d'installation et périmètres de compétences des professions de santé… Des systèmes de santé aussi performants mais moins coûteux existent autour de nous. Cela mérite d'être regardé avec attention.

Faut-il mieux distinguer logique d'assurance et logique de solidarité, quitte à laisser à la charge des plus aisés une part de leur couverture sociale ?

La distinction assurance/solidarité est une idée qui, pour être ancienne, n'en est pas moins ambiguë. Revendiquée par certains partenaires sociaux pour sortir de la Sécurité sociale les dépenses non couvertes par des cotisations et les renvoyer à l'État et à l'impôt, cette distinction est promue par les libéraux qui, au contraire, souhaitent limiter la Sécurité sociale à un filet de sécurité minimal, laissant à l'assurance privée la mission de couvrir les personnes solvables. Réduire la Sécurité sociale à un système d'assistance n'est évidemment pas concevable. Ce serait une effroyable régression, au détriment non pas d'une minorité, mais d'une majorité de Français. La vraie question est celle de la place de la solidarité dans notre système de protection sociale. De ce point de vue, une redistribution de leurs rôles respectifs est en train de s'opérer pour mieux prendre en compte les évolutions de la société. En matière de retraites, les réformes des dernières années ont réduit les avantages qui n'étaient pas liés à un effort contributif suffisant. Cela signifie un report vers des solutions individuelles d'assurance ou vers des solutions de solidarité comme le minimum vieillesse. Sur la maladie, à système de production inchangé, le report sur l'assuré ou son assureur privé, solution déjà pratiquée, s'accroîtra inévitablement dans des limites, toutefois, tenant à la préservation de l'accès aux soins pour tous. Mais le débat reste ouvert si on ne parvient pas à maîtriser la croissance des coûts et des volumes de soins consommés.

Le système d'assurance maladie n'est-il pas trop généreux ? Comment concilier maîtrise des dépenses et maintien de la solidarité ?

La maîtrise des dépenses doit concerner tous les secteurs. On pense toujours aux cures thermales et aux médicaments à l'utilité discutable, mais leur poids économique est faible comparé à la prescription des médicaments en général ou aux affections de longue durée (ALD) qui concernent plus de 7 millions de personnes. Le fait que ces patients soient pris en charge à 100 % ne doit pas conduire à « sanctuariser » d'office ce poste de dépense. Il faut trouver les moyens de modifier les comportements collectifs dans ces domaines.

Les plans successifs de redressement des comptes de la santé pèsent essentiellement sur les assurés. Les professionnels de santé sont-ils suffisamment mis à contribution ?

Dans son dernier rapport, la Cour des comptes a montré que les avantages financiers importants retirés par les professionnels de santé des accords avec l'assurance maladie ces dernières années ne se sont traduits par aucune maîtrise significative des dépenses, notamment des dépenses d'honoraires, en dépit des engagements pris. Le paiement à l'acte ne peut plus demeurer l'alpha et l'omega. Inflationniste, ce mode de rémunération de la médecine libérale à la française est incompatible avec le contexte économique, le mode de financement collectif de notre système de santé et les capacités contributives des assurés. Il n'est plus adapté à une médecine qui fait de plus en plus appel à une pluralité de professionnels et qui doit soigner des pathologies récurrentes (les ALD, par exemple). Certes, des éléments de rémunération forfaitaire ont été introduits, mais ils s'ajoutent aux paiements à l'acte, ce qui conduit à payer deux fois le même service et, donc, à augmenter de manière importante les revenus médicaux.

La seule tentative de réforme structurelle de notre système de santé ne remonte-t-elle pas au plan Juppé de 1995 ?

Le plan Juppé a traduit un changement d'époque. Il a rompu avec la seule logique de l'approche comptable, en tentant d'aller chercher des réponses d'ordre structurel. Mais ce plan, comme tous ceux qui se sont succédé depuis, montre que pour réussir, il est nécessaire d'obtenir l'adhésion des acteurs. C'est toute la difficulté de l'opération.

S'agissant des retraites, la réforme de 2003 ne couvre qu'une partie des besoins futurs des régimes par répartition. Faut-il aller plus loin et repousser l'âge légal de la retraite, comme l'ont fait certains de nos voisins ?

La situation est effectivement inquiétante. La loi de 2003 n'a pas résolu tous les problèmes de financement, loin de là. Les projections faites par le Conseil d'orientation des retraites confirment l'ampleur du financement restant à assurer. Quant au Fonds de réserve pour les retraites, qui devait compléter à partir de 2020 le financement des retraites, on sait maintenant que les 150 milliards d'euros attendus pour 2020 ne seront pas réunis. Le rendez-vous de 2008 sera donc important pour le réexamen du financement, mais il sera suivi d'autres : la réforme ne peut être qu'un processus continu. Pour autant, faut-il cumuler augmentation de la durée d'activité et recul de l'âge légal ouvrant la possibilité de partir en retraite ? Je ne le pense pas et je continue de privilégier ce qui est dans la loi, à savoir l'augmentation de la durée d'assurance pour obtenir une retraite à taux plein. Cela laisse la liberté de choisir à partir de 60 ans. C'est aussi la règle qui tient le mieux compte des longues carrières.

Le choix de la France de refuser la capitalisation n'est-il pas, avec le recul, une erreur ?

Soyez plus attentifs aux difficultés des systèmes de pension anglais ou américains. Le déséquilibre démographique n'épargne aucun régime. Le système français (régime de base et régimes complémentaires obligatoires) est, depuis ses origines, fondé sur la répartition et donc sur la solidarité intergénérationnelle. Il fait l'objet d'un consensus dans le pays : on l'a bien constaté lors de la réforme de 2003 où, à aucun moment, il n'a été question de le remettre en cause. De plus, il existe déjà un troisième étage de retraite fondé sur la capitalisation. Ces dispositifs préexistaient à la loi de 2003 et celle-ci a favorisé leur développement. Mais ils peuvent être très inégalitaires du fait de l'inégale capacité contributive des salariés et des entreprises. La question pertinente (et politique) à se poser est donc celle du degré d'inégalité que la société française est prête à accepter dans ce domaine.

Les régimes spéciaux de retraite ont été épargnés en 1993 et 2003. Peut-on laisser perdurer une situation où les perdants seraient les salariés du privé et les fonctionnaires, et les grands gagnants les agents des entreprises publiques ?

Les salariés du privé et les fonctionnaires doivent aujourd'hui cotiser pendant le même nombre d'années pour bénéficier d'une retraite à taux plein (quarante ans en 2008 et quarante et un ans en 2012). De ce fait, le maintien en l'état des régimes spéciaux avec une durée d'assurance qui reste fixée à trente-sept annuités et demie pose un problème d'équité évident. Mais cette situation ne concerne que 500 000 cotisants actifs sur 24 millions. Des réformes ont été amorcées, mais il est vrai qu'elles ne touchent pas aux avantages particuliers. L'opération d'adossement du régime de retraite d'EDF-GDF au régime général aurait pu en fournir l'occasion. Il faut laisser le temps faire œuvre pédagogique en la matière.

Les entreprises n'ont-elles pas leur part de responsabilité dans le refus des Français de travailler au-delà de 60 ans ?

Bien évidemment. Le refus de travailler au-delà de 60 ans est le fruit d'une politique délibérée qui a encouragé les départs précoces. Cela vaut pour le secteur privé comme pour le secteur public. La Cour a rappelé en 2003 que l'âge moyen de cessation d'activité dans le secteur privé était de 57 ans et demi en raison des préretraites et du chômage indemnisé, soit un âge voisin de celui constaté dans la fonction publique. Les sondages d'opinion montrent que, tous secteurs confondus, les Français sont attachés à cesser leur activité entre 55 et 60 ans. Nous avons ainsi un des plus bas taux d'activité des seniors en Europe (37 % pour les 55-64 ans) alors que l'Union européenne a prescrit aux États membres en 2010 un taux d'activité de 50 %. La pente sera difficile à remonter mais les réalités du financement nous contraindront à le faire.

PHILIPPE SÉGUIN

Premier président de la Cour des comptes depuis juillet 2004.

NAISSANCE

Le 21 avril 1943.

PARCOURS

Ce diplômé de l'ENA a débuté dans l'administration avant d'entamer une carrière politique en 1978. Ministre des Affaires sociales de 1986 à 1988, président de l'Assemblée nationale entre 1993 et 1997, puis du RPR de 1997 à 1999, il a quitté la scène politique en 2002. Nommé délégué français au BIT, il a brièvement présidé son conseil d'administration.

Auteur

  • Propos recueillis par Denis Boissard et Jean-Paul Coulange