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Vie des entreprises

Pas besoin d'attendre 57 ans pour la préretraite maison

Vie des entreprises | ANALYSE | publié le : 01.12.1999 | Frédéric Rey

Malgré la diminution des crédits affectés aux préretraites publiques, les entreprises n'ont pas pour autant renoncé aux mesures d'âge. Surtout les plus riches, qui financent elles-mêmes les départs des quinquas. Un système onéreux, mais qui leur permet d'éviter les plans sociaux.

Tant pis pour la manne du FNE ! Après avoir usé et abusé des crédits du Fonds national pour l'emploi afin de faire partir leurs salariés en préretraite, les grandes entreprises préfèrent souvent, désormais, créer des systèmes à la carte. Des dispositifs qui prennent le relais des préretraites publiques, auxquelles l'État a fortement réduit l'accès (voir graphique). Même si cela leur coûte beaucoup plus cher, des majors comme Axa, Elf, Total, Xerox, Alcatel CIT, IBM, Suez-Lyonnaise, Kodak ou encore Perrier ont décidé de prendre entièrement à leur charge les cessations anticipées d'activité. C'est Roussel Uclaf qui a lancé le mouvement en 1990. Le groupe pharmaceutique, devenu aujourd'hui Hoechst Marion Roussel, a ouvert à ses salariés les plus anciens la possibilité de partir avant l'âge légal par le biais d'une démission. Les volontaires percevaient un revenu de remplacement équivalent à 85 % de leur ancien salaire net. Seules conditions à remplir : avoir au moins dix ans de présence dans l'entreprise et ne pas se trouver à plus de trois années et demie de la retraite à taux plein. Cet accord, toujours en vigueur, a permis à plus de 130 personnes, au cours des neuf dernières années, de mettre prématurément un terme à leur carrière professionnelle. « Nous avons souhaité ce système pour les personnes travaillant sur des postes à forte pénibilité avant de l'étendre à l'ensemble du personnel. Aujourd'hui, cette mesure est devenue un élément du statut social », précise Jean-Claude Rivard, directeur des relations sociales. Même si, ajoute-t-il, les préretraites de Hoechst sont parfois utilisées comme une « alternative aux licenciements sur des sites bien précis ». Avec, dans ce cas de figure, « des conditions d'obtention assouplies ».

Depuis, les préretraites maison sont passées dans les mœurs des DRH. Elles cumulent plusieurs avantages : gérer en douceur les sur effectifs, remodeler la pyramide des âges et obtenir des gains de productivité. Phénomène révélateur, les accords conclus concernent des populations de plus en plus larges : 130 salariés à la Cristallerie d'Arques, 300 à Suez-Lyonnaise, 500 au PMU, 600 chez Alcatel CIT et même 3 100 sur un total de 16 500 actifs pour IBM… Il faut dire que le groupe informatique a proposé dès 1995 aux salariés âgés de 52 ans et pouvant prendre leur retraite à 60 ans de partir immédiatement avec une indemnité équivalente à dix mois de salaire, assortie d'un versement mensuel pendant huit ans se montant à 50 % du dernier salaire net. La somme des deux aboutissant à une rente de l'ordre de 70 % du salaire.

Au moins 60 % du dernier salaire

En l'absence de cadre juridique, les entreprises ne sont pas soumises, contrairement aux préretraites « publiques », à des critères précis. Ainsi, l'âge de départ varie d'un accord à l'autre. Chez le spécialiste bureautique Lexmark, le dispositif est ouvert aux collaborateurs âgés d'au moins 58 ans. Xerox a fixé le seuil à 55 ans pour les commerciaux et à 52 ans pour son personnel administratif. Autre écart : le montant du revenu de remplacement. « Pour être suffisamment attractives, ces rentes doivent être supérieures aux 54 % du salaire net versé dans le cadre de l'allocation chômage », indique Jean-Claude Rivard, de Hoechst Marion Roussel. Selon les cas, l'allocation varie entre 60 et 80 % du dernier salaire net. Dans son accord de 1998, Axa propose une rente équivalente à 75 %. L'assiette de calcul prend en compte la rémunération annuelle nette des douze derniers mois. Les ciments Calcia accordent un revenu de remplacement correspondant à 80 % d'un salaire de référence constitué du salaire mensuel et d'un douzième de divers éléments de rémunération (13e mois, prime de vacances, allocation de fin d'année). À l'instar d'IBM, d'autres entreprises préfèrent compenser une rente plus faible par une indemnité de départ. Dans l'accord signé en 1999, Alcatel CIT abonde l'allocation s'élevant à 50 % du salaire net par une « prime » de deux mois de salaire par année de préretraite. Autrement dit, un employé de 55 ans devant partir en retraite à 60 ans bénéficiera d'une somme équivalente à dix mois de salaire. En jouant sur le caractère indemnitaire, l'entreprise fait d'une pierre deux coups : ce petit pactole, qui permet souvent de convaincre les indécis, est exonéré de cotisations sociales.

Parmi les différentes formules de préretraite, celle des congés de fin de carrière avec simple suspension du contrat de travail tend à supplanter la rupture à l'amiable entre l'employeur et le salarié. C'est le dispositif qu'a notamment mis en place IBM. « Notre précédent plan social, ouvert en 1994, n'était pas encore achevé que la direction américaine nous demandait de poursuivre la réduction de nos effectifs », indique Michel Antoine, directeur des relations sociales du constructeur informatique. « Il fallait une solution socialement acceptable et qui puisse s'ajuster à notre besoin. » IBM a donc eu recours aux congés de fin de carrière. Les personnes intéressées peuvent prétendre à une dispense d'activité professionnelle jusqu'à leur départ définitif à la retraite tout en restant à l'effectif. Âgé de 57 ans, Jean-Marie Vergnette est l'un de ces salariés inactifs. Depuis quatre ans, ce cadre d'IBM est rémunéré à hauteur de 70 % de son dernier salaire net, sans avoir à fournir le moindre travail. Il continuera à faire partie de l'entreprise jusqu'à son départ en retraite, en 2003. L'afflux de volontaires a été tel qu'IBM a pu éviter une procédure de plan social.

Cette transition en douceur entre activité et retraite a séduit d'autres entreprises. Alcatel CIT a conclu en septembre 1999 son premier accord de congés de fin de carrière ouvert aux personnes de 55 ans et plus. « Par rapport au plan social, l'entreprise s'épargne le principe d'une justification économique, explique Foucauld Lestienne, directeur des ressources humaines. Elle s'exonère aussi de toute une série de procédures à respecter vis-à-vis d'un ministère du Travail de plus en plus regardant, d'une Inspection du travail traquant les constats de carence, ou encore de représentants du personnel à l'affût de tous les délits d'entrave. De plus, c'est une mesure complètement indolore pour le personnel et la collectivité. » Les préretraites recueillent très souvent l'assentiment des organisations syndicales et permettent d'échapper aux guerres procédurières qui peuvent alourdir le montant de l'addition. Autre avantage, le coût des préretraites est plus maîtrisable que celui d'un plan social. « Entre les premières études et les mesures finales, les coûts d'un plan de licenciement collectif et de toutes les mesures induites peuvent sensiblement évoluer », rappelle Foucauld Lestienne.

Mais les préretraites « privées » restent cependant plus onéreuses qu'un plan social. Surtout les congés de fin de carrière. Le surcoût se situe au niveau de la prise en charge de la protection sociale. Dans le régime avec simple suspension du contrat de travail, le salaire reste soumis à des charges sociales incompressibles ; alors que la rupture du contrat entraîne la disparition de la part patronale des cotisations de Sécurité sociale, d'assurance chômage, d'accident du travail ou encore de la participation au transport. « En cas de rupture du contrat de travail, les charges sociales ne représentent plus que 35 % au lieu de 48 % », précise Jean-Claude Rivard, directeur des relations sociales de Hoechst Marion Roussel.

Des anciens pas assez productifs

Quel que soit le régime, le départ de salariés en préretraite représente autant de mètres carrés de bureaux, de fournitures, de dépenses de formation… en moins. Les entreprises avouent leur difficulté à évaluer le montant des économies ainsi réalisées. Leur intérêt immédiat est de pouvoir embaucher des salariés plus jeunes et de réaliser des gains de productivité. « Le salarié de plus de 50 ans est à son coût maximal, mais l'est-il en ce qui concerne la performance ? s'interroge un dirigeant. Le ratio qualité-prix d'un quinquagénaire est loin d'être aussi bon que celui d'une personne avec une faible ancienneté. » D'autant que les nouveaux arrivants ont généralement un salaire plus modeste, voire des avantages réduits.

La direction et deux syndicats de Suez-Lyonnaise des eaux ont conclu au mois de septembre 1999 un accord global mélangeant les 35 heures, la création d'un compte épargne temps et la mise en place de cessations anticipées d'activité. 300 recrutements ont été prévus mais avec un statut « corrigé ». Le groupe a en effet engagé une révision de son accord d'entreprise portant sur le temps de travail et la rémunération. L'ancienneté, qui pouvait peser jusqu'à 30 % du salaire de base, va voir ses règles d'attribution changées. L'effet de levier sur la masse salariale jouera à plein lorsque les préretraités auront atteint l'âge de la retraite.

Les entreprises ont donc beaucoup d'arguments pour se défaire des salariés les plus anciens. « Nos métiers évoluent », souligne Jean-Pierre Pinasseau, responsable des relations sociales de l'eau pour la France à la Lyonnaise. « Les salariés ayant une grande ancienneté sont plus lents à s'adapter alors que notre besoin en compétences est immédiat. » « Leur acceptation de mobilité et de changement est diminuée », renchérit Michel Antoine, directeur des relations sociales d'IBM. Mais si les bénéficiaires sont généralement satisfaits et les organisations syndicales plutôt bienveillantes à l'égard des préretraites, ce genre de mesures n'est pas toujours neutre pour les actifs. À IBM, « les préretraites ont des répercussions sur les salariés en place, souligne Jacques Martinet, délégué CFDT chez le constructeur informatique. Leur provisionnement affecte la participation. Plus aucune prime n'est versée ».

Mais, surtout, le développement de ces systèmes de préretraite maison est en totale contradiction avec l'impératif d'allongement de la durée de vie professionnelle. « Ces mesures vont encore vivre deux à trois ans mais pas au-delà », pronostique Alain Aubert, directeur prévoyance et retraite du courtier d'assurances Gras Savoye. « Elles sont actuellement favorisées par la conjonction de l'arrivée dans la tranche d'âge 50-60 ans de la génération la moins flexible et d'un contexte de croissance favorable. »

Dans la stratégie d'entreprise, ce mode de gestion ne peut être durable car il génère certains effets pervers. « Lorsqu'ils atteignent la cinquantaine, les salariés se placent psychologiquement dans une situation de préretraite », constate Hubert Strauss, directeur de la gestion des ressources humaines d'Axa. Cet assureur, qui a fusionné avec l'UAP, a décidé de reconduire temporairement son accord de préretraite jusqu'à la fin de l'année. « Nous avons prévenu l'ensemble du personnel que nous ne pourrions pas poursuivre durablement, ajoute Hubert Strauss. Et nous avons entamé une réflexion sur la manière de concilier l'allongement de la durée d'activité avec le vieillissement au travail. »

Après avoir nettement durci les conditions d'accès aux préretraites, IBM est contraint aujourd'hui de faire machine arrière et de rouvrir les vannes. Car l'incessante course à la productivité dans ce secteur amène le constructeur informatique à supprimer 1 075 emplois sur les 2 700 que compte l'usine de Corbeil-Essonnes. « Tous les ans, le périmètre de l'emploi n'a cessé de diminuer », souligne Jacques Martinet, de la CFDT. Comme les précédentes vagues de départs anticipés ont asséché le réservoir des plus de 55 ans, IBM a ouvert cette année au personnel du site de Corbeil la possibilité de partir à 50 ans pour les cadres et à 49 ans pour les autres salariés. « Même si les pouvoirs publics décidaient d'allonger la durée de la vie active, nous pourrions difficilement nous en passer », avoue Michel Antoine, le directeur des relations sociales. Sauf à recourir, cette fois, à un plan social en bonne et due forme.

La jurisprudence IBM

Une entreprise peut-elle réduire ses effectifs en mettant en œuvre des dispositifs de congés anticipés de fin de carrière sans passer par la figure imposée du plan social ? Depuis l'affaire IBM, c'est devenu possible. Par son arrêt du 12 janvier 1999, la Cour de cassation a tranché en faveur du constructeur informatique dans ce conflit qui l'oppose à la CFDT. En 1995, IBM décide de gérer ses problèmes de sur effectifs en mettant en place des préretraites maison qui ne rentrent pas, selon la direction, dans le cadre d'un plan social. La CFDT ne l'a pas entendu de cette oreille, estimant, au contraire, que l'entreprise se livre à un contournement de la législation sur les licenciements collectifs. Saisie par le syndicat, la cour d'appel de Versailles n'a pas estimé obligatoire la procédure du plan social.

La chambre sociale de la Cour de cassation a confirmé cette décision en la justifiant par le caractère non obligatoire mais volontaire de ces préretraites et, d'autre part, par le fait qu'elles n'entraînent pas de rupture du contrat de travail.

Pour les magistrats, il ne s'agit, de la part d'IBM, que de gestion prévisionnelle des emplois.

Auteur

  • Frédéric Rey