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Vie des entreprises

Faute grave et mise à pied conservatoire ou disciplinaire ?

Vie des entreprises | ACTUALITÉ JURISPRUDENTIELLE | publié le : 01.12.1999 | Jean-Emmanuel Ray

La chambre sociale de la Cour de cassation a récemment apporté d'utiles précisions sur le délai dans lequel doit intervenir la mise en œuvre du licenciement en cas de faute grave, ainsi que sur le régime particulier de la mise à pied disciplinaire d'un représentant du personnel.

Définie par ses effets (interdisant l'accomplissement du préavis, elle entraîne privation des indemnités de rupture), la faute grave qui permet également la rupture avant terme d'un CDD après accomplissement de la procédure disciplinaire pose de délicates questions : nécessaire célérité pour la sanctionner et éventuelle mise à pied conservatoire pendant la procédure, y compris pour les représentants du personnel.

Une nécessaire célérité

• « La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis, la mise en œuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs et dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire » : l'arrêt du 6 juillet 1999 rappelle qu'ici le temps de la réflexion doit être bref, et malheur au DRH voulant régler la question après les congés. En l'espèce, la Cour a admis que la procédure déclenchée le 17 octobre pour des faits commis le 9 permettait à l'employeur d'invoquer la faute grave, écartant l'argumentation du salarié indiquant que « la faute grave implique un licenciement immédiat dès la constatation des faits ».

Solution retenue par nombre d'entreprises : la mise à pied conservatoire, qui s'était tellement banalisée depuis sa naissance le 4 août 1982 que son absence pouvait faire croire à l'absence de faute grave. « L'absence de mise à pied conservatoire n'exclut pas le droit pour l'employeur de se prévaloir de la faute grave » : l'arrêt du 23 juin 1999 rappelle clairement que la mise à pied n'est pas obligatoire.

Mais, là encore, sa durée est nécessairement limitée à l'indispensable : dix jours dans l'arrêt du 21 octobre 1999, la Cour ayant rappelé à l'ordre le 30 juin 1999 un employeur ayant maintenu un salarié à l'écart de l'entreprise pendant… plus de six mois (résolution judiciaire accueillie, effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse).

Les deux mises à pied des représentants du personnel

• La bonne vieille mise à pied disciplinaire constituerait-elle une modification du contrat de travail, susceptible d'être refusée au nom de l'intangibilité de celui-ci ? C'est le cas de la rétrogradation disciplinaire, que le salarié – et donc a fortiori le délégué – peut refuser depuis l'arrêt du 16 juin 1998, confirmé par celui du 27 octobre 1999.

L'arrêt du 23 juin 1999 pouvait le faire penser : « Le salarié, qui n'a pas refusé la mise à pied et s'est borné à demander au juge d'annuler cette sanction […]. » Mais c'est oublier que l'intéressé était délégué du personnel : au nom de la protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun qui est la sienne, il pouvait refuser aussi bien une modification de son contrat qu'un simple changement de ses conditions de travail, auquel une mise à pied disciplinaire peut être assimilée.

Mais il ne semble pas que cette jurisprudence spécifique doive être étendue aux simples salariés : la mise à pied étant par essence très provisoire, elle ne constitue pas une modification du contrat susceptible de refus.

• Créée en même temps que leur statut, la mise à pied spéciale propre aux représentants du personnel veut permettre à l'employeur d'accomplir la longue procédure de consultation du comité d'entreprise puis d'autorisation administrative, tout en interdisant l'entrée de l'entreprise au délégué, ici au minimum coupable d'une faute grave selon le Code du travail, d'une faute lourde s'il est gréviste.

Reste à savoir si, dans l'avenir, la chambre sociale va appliquer à cette mise à pied spéciale le revirement de jurisprudence accompli le 23 juin 1999 dans l'affaire Debout, et si la chambre criminelle la suivra sur ce terrain glissant : « La mise à pied disciplinaire n'a pas pour effet de suspendre le contrat de travail du représentant du personnel. » L'opposition entre suspension du contrat et maintien du mandat est bien connue : ainsi, en cas de grève, le délégué gréviste peut pénétrer dans l'entreprise. L'on comprend que la chambre sociale veuille éviter qu'un délégué se voit provisoirement interdire l'accès de l'entreprise sous prétexte d'une mise à pied disciplinaire, même si l'effet sanction de celle-ci (l'absence de salaire) peut ici se trouver curieusement compensé par la prise d'heures de délégation.

Summum jus, summa injuria : ce principe ne doit pas être poussé jusqu'au paroxysme. Le législateur lui-même a expressément prévu cette mise à pied exorbitante du droit commun et étroitement encadrée, nécessairement liée à une faute grave et à une saisine de l'Inspection du travail. Un employeur dont le seul but serait d'écarter momentanément un délégué gênant est sous le regard croisé de l'inspecteur du travail, qui doit ici se prononcer rapidement, mais aussi du juge répressif (délit d'entrave à fonctions) : suffisamment dissuasif !

FLASH

L'aveu est la reine des preuves

« En sollicitant l'accord des salariés à la remise en cause de l'avantage (résultant d'un usage), l'employeur en confirmait le caractère contractuel. » L'arrêt du 5 octobre 1999 rappelle celui du 12 juillet 1999. Voulant changer – mais pas modifier, au sens juridique – durée et lieu de travail d'un salarié, l'employeur avait cru bon de recourir à la procédure de l'article L. 321-1-2 : lettre de proposition, avec un mois pour prendre position. Fausse bonne idée : en utilisant la procédure prévue pour une véritable modification du contrat, l'entreprise ne pouvait prétendre qu'il s'agissait d'un simple changement des conditions de travail.

Objectifs et licenciement

La Cour de cassation a rappelé le 26 octobre 1999 que si le contrat prévoyait un accord sur la fixation des objectifs, le défaut d'accord ne permettait pas à l'employeur de les fixer unilatéralement : « Il incombait au juge de les déterminer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes. » Le même jour, la Cour acceptait le licenciement d'un commercial au motif qu'« il avait fait preuve de négligence dans la prospection, et c'est cette négligence qui avait entraîné l'insuffisance des résultats ».

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray