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Vie des entreprises

Anne-Marie Idrac met les agents de la RATP à l'heure du client

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.02.2006 | Valérie Devillechabrolle

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L'entreprise de transports publics augmente son trafic mais à effectifs constants.

Crédit photo Valérie Devillechabrolle

Il est bien loin le temps de la Régie. Amélioration de l'offre de transports, réforme du régime de retraite, recherche de productivité… Anne-Marie Idrac profite du changement de tutelle pour adapter la RATP à son environnement. Un vrai choc culturel.

Très bon cru 2005 pour Anne-Marie Idrac, la présidente de la RATP. Tout d'abord, la publication de cinq décrets au Journal officiel du 27 décembre lui a permis de finir l'année en beauté en bouclant définitivement la délicate réforme du financement du régime spécial de retraite des agents. Un succès, acquis de surcroît avec la bénédiction de six organisations syndicales sur huit, ce qui constitue pour elle une belle revanche. Car, à l'époque où elle était secrétaire d'État aux Transports, dans le gouvernement d'Alain Juppé, elle avait dû, en 1995, gérer les trois semaines de grève totale de la RATP et de la SNCF, lancée contre les projets de réforme de l'ex-Premier ministre.

Mais l'ancienne députée UDF des Yvelines a également vu se réaliser en 2005 la réforme, officielle depuis le 1er juillet, du Syndicat des transports d'Ile-de-France (Stif). Fervente partisane de la décentralisation, la présidente de la RATP entend bien utiliser le transfert de responsabilité du Stif de l'État à la région Ile-de-France pour accélérer l'adaptation de l'entreprise à son environnement.

« En tant qu'ancienne élue, Anne-Marie Idrac perçoit bien le décalage entre une entreprise longtemps habituée à mettre en œuvre sa propre conception du service public et les interpellations extérieures de ses clients », décrypte Josette Théophile, la DRH de l'entreprise, en rappelant que la présidente n'hésite pas à descendre sur le réseau, voire à jouer les voyageurs mystères.

Or ces « interpellations extérieures » ne cessent de prendre de l'ampleur depuis que la RATP est rémunérée, non plus par une subvention d'État, mais sur la base d'un contrat pluriannuel conclu avec le Stif et assorti de pénalités financières en cas de non-respect. Décliné pour chaque ligne de métro, de RER ou de « centre bus », celevier de performance « engendre des évolutions à tous les niveaux », se félicite encore la DRH de la RATP. Que ce soit en termes d'accroissement ou d'aménagement de l'offre de transport, de lutte contre la grève, mais aussi d'amélioration de la compétitivité. « Cela impacte le management des équipes sur le terrain », confirme Philippe Richy, directeur du centre bus de Créteil, qui regroupe une vingtaine de lignes et 950 agents. Car, « en échange, le management de proximité a hérité de véritables marges d'autonomie en matière de recrutement, de rémunération et d'avancement », se satisfait-il.

Les syndicats ne sont d'ailleurs pas dupes de l'ampleur des évolutions en cours. « Aujourd'hui, tout est piloté par le contrat et tout le monde se cache derrière son compte de résultat, ce qui tend à assécher les relations dans les équipes », déplore ainsi Jacques Eliez, secrétaire du syndicat CGT de la RATP. Revue de détail de ce « choc culturel ».

1- Répondre aux exigences des clients

Le conseil régional d'Ile-de-France n'est pas encore installé aux manettes du Stif qu'il affiche déjà la couleur : « Les métros et les RER vont être prolongés jusqu'à 2 h 15 le vendredi et le samedi soir », promet-il pour 2006, moyennant une rallonge budgétaire de 41 millions d'euros. Depuis qu'ils ont voix au chapitre, les élus régionaux se sentent pousser des ailes. Si bien qu'entre le développement des bus de nuit (Noctilien), la réduction du temps d'attente entre deux trains, la réouverture de stations et les prolongements de lignes attendus, les demandes d'aménagement de l'offre de services ne cessent de se multiplier, contraignant la Régie à revoir les règles d'utilisation du personnel. Deux accords-cadres ont été négociés en ce sens, en 2004 pour les conducteurs de métro et fin 2005 pour les conducteurs de bus.

À l'origine du plus grand nombre d'alarmes sociales déposées, l'exercice reste toutefois difficile. « Si nous ne pouvons pas nous opposer au développement du service public, nous sommes en désaccord total avec une croissance qui se ferait au prix d'une dégradation de nos conditions de travail », souligne Jean-Pierre Patin, du syndicat SUD RATP, en dénonçant l'augmentation des services en deux fois, en soirée et le week-end, ou ceux qui empiètent sur les « pauses-repas ». « Les agents sont très attachés à leur rythme de vie et au décompte de leur temps de travail à la minute près, reconnaît Serge Lagrange, directeur du métro. Il faut donc trouver des organisations qui conviennent à la fois aux voyageurs et aux agents, car ces derniers doivent rester vigilants pour des questions de sécurité. Cela peut prendre plusieurs mois d'échanges. » Pour faire passer la pilule, la direction a déployé une batterie de primes destinées à « favoriser la réalisation de la production », à l'instar de « la prime au tour » récemment instaurée sur la ligne 4 du métro.

2- Éviter la grève par tous les moyens

Avec 0,1 jour d'absence pour fait de grève par agent et par an, la RATP fait aujourd'hui figure de bon élève dans les transports collectifs. Mais ce bilan reste toutefois fragile. « Face à une catégorie de personnel pleinement consciente de son pouvoir de blocage, nous sommes dans une situation de fragilité permanente, même si cela évolue plutôt dans le bon sens », confirme Serge Lagrange, en observant que, sur l'ensemble des 350 alarmes sociales déposées en 2004 et 2005, les motifs d'ordre social sont dix fois moins nombreux que les deux années précédentes. Pour en arriver à ce résultat, la RATP utilise bien sûr son fameux dispositif d'alarme sociale, mis en place en 1996 et qui, de l'avis de Philippe Richy, « permet localement de trouver des pistes de solution avant d'en arriver à la grève ».

Mais ce bon résultat est aussi, au dire des syndicats, à mettre à l'actif d'un « durcissement de ton de la direction », selon l'expression de Jacques Eliez, de la CGT. La direction contesterait systématiquement la légalité d'un préavis de grève déposé sur un enjeu extérieur à l'entreprise. Surtout, les agents grévistes sont désormais pénalisés dans leur déroulement de carrière, par exemple pour un arrêt de travail spontané après une agression. Et, si cela ne suffit pas, la direction de la RATP n'hésite plus à utiliser son meilleur joker : la prime. À l'instar de celle accordée en juin dernier, à l'occasion du lundi de Pentecôte travaillé, contre lequel pas moins de sept organisations syndicales avaient appelé à la grève.

« Moyennant une prime compensatrice de 95 euros par agent, accordée au titre d'un “renfort de service”, nous avons rempli toutes nos exigences en termes de solidarité et de trafic et nous avons enregistré très peu de grévistes », se réjouit Josette Théophile. « Nous n'avons rien pu faire car, outre le fait que les grévistes perdaient l'équivalent de deux jours de rémunération, les autres étaient plutôt satisfaits de leur sort », déplore pour sa part Stéphane Ferry, le secrétaire général du syndicat SUD RATP.

Soucieuse d'aller encore plus loin dans l'amélioration de la régulation sociale, la direction de la RATP vient, dans le cadre du renouvellement de son accord de droit syndical arrivé à échéance fin 2005, d'innover en proposant la création d'un dispositif de prévention des conflits individuels : la « demande d'attention ». « Ce dispositif ouvre aux salariés qui s'estiment discriminés ou en conflit avec leur supérieur la possibilité de le faire savoir en saisissant un représentant de leur ligne hiérarchique ou de la DRH », explique Josette Théophile. Tout en précisant que les syndicats n'étaient pas demandeurs, la DRH souhaite cependant, par ce dispositif, « lutter contre les discriminations à l'avancement » : « Ce n'est pas le tout de mettre en place une politique de diversité, ajoute-t-elle. Encore faut-il la faire vivre au quotidien… »

3- Automatiser les organisations

Avec l'annonce, en 2004, de l'automatisation de la ligne 1 du métro parisien à l'horizon 2010 et la suppression des guichets traditionnels compensée par l'installation de 800 automates d'ici à 2008, Anne-Marie Idrac a donné le coup d'envoi à un vaste chantier de transformation des métiers. D'autant que ces projets, qui concernent les 300 conducteurs de la ligne 1 et surtout les 9 000 agents de station, « devraient se dérouler à effectifs constants », comme le rappelle Patrice Morice, secrétaire général de l'Unsa RATP. « Il ne fallait pas que les agents aient peur de la modernisation », souligne Serge Lagrange, directeur du métro. Conséquence, un tiers des conducteurs touchés devraient évoluer vers des métiers différents d'assistants de ligne itinérants, dotés notamment de nouvelles compétences de maintenance, ou encore de superviseurs d'exploitation. De la même façon, l'automatisation des guichets devrait non seulement permettre de supprimer les vitres de protection, mais aussi d'offrir aux agents la possibilité d'aller davantage à la rencontre des voyageurs. « Ce qui suppose une implication plus exigeante mais aussi plus motivante des agents », estime Anne-Marie Idrac.

Si ces projets de modernisation ont fait l'objet d'accords paraphés par la majorité des organisations syndicales, la médaille n'en a pas moins son revers. Le maintien apparent des effectifs masque ainsi des suppressions d'emplois dans d'autres secteurs, à l'instar de la maintenance ou encore aux postes d'agents de manœuvre, dont les deux tiers sont appelés à disparaître, précise-t-on chez SUD. « Ce maintien ne sera pas pérenne », redoute Jacques Eliez, de la CGT, en rappelant que le contrat conclu avec le Stif entérine l'engagement de la RATP de réaliser 0,5 % de gains de productivité par an, autrement dit la suppression de 800 emplois en quatre ans.

Enfin, les syndicats craignent que ces projets de modernisation ne se traduisent par un « alourdissement de la charge physique et mentale », notamment parmi les agents de station qui, outre leur mission de conseil aux voyageurs, devraient hériter de responsabilités accrues de surveillance des stations.

4- Préparer la RATP à la concurrence

Alors que le projet de règlement européen en matière d'ouverture à la concurrence des transports publics était enlisé depuis cinq ans, la menace a resurgi en juillet 2005 avec l'adoption par la Commission européenne d'une proposition visant à libéraliser les deux tiers des transports publics d'ici à une dizaine d'années. Si, selon Anne-Marie Idrac, « ce scénario est encore lointain », il lui incombe néanmoins d'y préparer l'entreprise de transports.

À cet égard, les réformes de financement des régimes de santé en 2003 et de retraite en 2005 qui ont sorti ces engagements des comptes de l'entreprise ont constitué des préalables indispensables. « Noyer le coût de nos retraites dans les comptes du Stif constituait une distorsion de concurrence à l'égard des autres transporteurs », reconnaît Josette Théophile. Une logique « proconcurrentielle » qui, du coup, ravive les craintes d'organisations comme SUD ou la CGT qui redoutent une évolution du statut de l'entreprise. De fait, le statut actuel d'établissement public à caractère industriel et commercial est susceptible de constituer une distorsion de concurrence car la RATP ne peut pas être mise en faillite.

Soucieuse de déminer ce dossier socialement délicat, la direction préfère communiquer sur la nécessité de demeurer une « entreprise intégrée », tout en rappelant que « la décision appartiendra in fine au Stif ». À charge pour elle d'en convaincre tant ses autorités de tutelle que ses propres agents…

Dates et faits…

Avec 2,8 milliards de voyages en 2005, la RATP enregistre un nouveau record de trafic sur ses quatre réseaux (bus, métro, RER et tramway). Elle emploie 45 000 agents dont 44 000 sous statut.

1949

Création de la Régie autonome des transports parisiens, transformée par la suite en établissement public à caractère industriel et commercial (Epic).

1996

Adoption du dispositif d'alarme sociale qui favorise le dialogue social avant le dépôt d'un préavis de grève.

2000

La loi (SRU) autorise la RATP à exploiter des réseaux de transports publics en dehors de l'Ile-de-France. Signature du premier contrat avec le Stif.

2004

Signature du deuxième contrat avec le Stif pour la période 2004-2007.

L'entreprise de transports publics augmente son trafic mais à effectifs constants.
ENTRETIEN AVEC ANNE-MARIE IDRAC, PRÉSIDENTE DE LA RATP
“La RATP peut assurer un trafic au moins aussi fiable que dans les pays où il y a un service minimum”

Le prix à payer pour le maintien du régime de retraite de la RATP n'est-il pas trop élevé pour la collectivité nationale ?

Je récuse cette formulation. Il est normal que l'État actionnaire garantisse notre régime de retraite. À la différence des industries électriques et gazières, la RATP ne peut pas en répercuter le coût sur ses prix de vente car, dans le modèle économique du transport, 60 % du chiffre d'affaires émane de financements publics locaux.

La transformation du monopole en un univers concurrentiel est-elle l'évolution la plus importante qui guette la RATP ?

Oui, même si un tel scénario global est encore lointain. Il ne faut en revanche pas sous-estimer à court terme l'importance de la décentralisation du Stif, notre principal client. La RATP va devoir s'habituer à ce que la définition du service public appartienne à des élus légitimes pour offrir aux usagers le meilleur service au meilleur coût.

Ce qui se traduit par des gains de productivité et des aménagements d'horaires…

Le contrat 2004-2007 passé avec le Stif prévoit en effet de réaliser 0,5 % de gains de productivité, même si ceux-ci sont compensés par une offre accrue. Nous devons aussi adapter nos horaires pour être plus réactifs aux demandes des voyageurs qui, par exemple, circulent désormais autant le week-end qu'en semaine. Ces adaptations tendent à assouplir les organisations, mais entraînent aussi des recrutements dès lors qu'il y a davantage d'activité.

Les gains de productivité vont-ils s'accélérer ?

Accélérer nos progrès de performance est indispensable pour que le Stif en ait encore plus pour son argent et ne soit pas tenté, à terme, de recourir à d'autres transporteurs éventuellement plus performants.

Quelles sont les conséquences de vos projets d'automatisation ?

Le projet d'automatisation de la ligne 1 d'ici à 2010 nécessite de renforcer les équipes d'ingénierie. Sur les 300 conducteurs concernés, un tiers va évoluer vers des tâches de maintenance, de sécurité ou encore d'accompagnement des voyageurs, tandis que les deux autres tiers seront redéployés sur le réseau. Avec la diminution de la vente aux guichets, les agents vont pouvoir aller davantage à la rencontre des voyageurs. Notre challenge vise à combiner une offre de transport sûre et massive à 10 millions de voyageurs par jour avec une personnalisation du service et, donc, davantage de présence humaine.

Instaurer un service minimum, comme le souhaite la majorité parlementaire, est-il nécessaire ?

La RATP est capable d'assurer un trafic au moins aussi fiable que dans les pays où la loi a prévu un service minimum. La continuité du service constituant une exigence de base des voyageurs, nous avons déjà pris un engagement de fiabilité à l'égard de 17 associations de consommateurs. Nous avons mis au point un référentiel de garantie d'information et de service en cas de grève, dans un processus comparable aux certifications qualité qui concernent les deux tiers de nos activités. J'ai souhaité crédibiliser cette démarche en concluant un contrat avec le Stif, assorti de pénalités financières en cas de non-respect. Il est fondé sur ma confiance dans le sens des responsabilités exprimé par les organisations syndicales dans le protocole renouvelé en 2002, qui reconnaît que la grève ne doit être que l'« ultime recours ».

Après l'explosion des banlieues, comptez-vous aller plus loin en matière de lutte contre les discriminations ?

Nous avons le sentiment d'être en avance sur tous ces sujets. Nos politiques de recrutement territorial sont telles que deux nouveaux opérateurs sur trois sont issus des quartiers concernés par la politique de la ville : nous souhaitons que nos salariés ressemblent à nos voyageurs. Qu'il s'agisse de l'intégration de personnes en difficulté, de l'emploi de personnels handicapés ou de l'égalité hommes-femmes, nous travaillons de façon pragmatique et suivie dans le cadre de protocoles signés avec les organisations syndicales. En revanche, nous refusons les quotas. J'ajoute que la laïcité est inscrite dans le contrat de travail.

Propos recueillis par Jean-Paul Coulange et Valérie Devillechabrolle

ANNE-MARIE IDRAC

NAISSANCE

Le 27 juillet 1951.

PARCOURS

1974 : à sa sortie de l'ENA, elle rejoint le ministère de l'Équipement dont elle prend en 1993 la direction des transports terrestres.

1995 : secrétaire d'État aux Transports, elle affronte la grève des cheminots et des agents de la RATP contre le projet de réforme des retraites d'Alain Juppé.

2002 : élue députée des Yvelines, elle est ensuite nommée P-DG de la RATP.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle