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Politique sociale

Sur les pas de Françoise Lesauvage, inspectrice du travail

Politique sociale | publié le : 01.02.2006 | Éric Béal

Nous avons suivi Françoise Lesauvage, une fonctionnaire de l'Inspection du travail de Seine-et-Marne, chargée de faire respecter la loi avec pour seul outil le Code du travail. Et pour souci de rétablir l'équilibre entre le salarié et l'employeur.

J'ai 80 salariés sur les bras. Certains bâclent des chantiers et me font perdre des clients. Comme beaucoup d'employeurs, je comprends mal comment fonctionne le droit du travail. Alors, forcément, je commets des erreurs. » Rouge d'émotion, la gérante de cette société de nettoyage fond soudain en larmes. Françoise Lesauvage, l'inspectrice du travail qui l'a convoquée à la 4e section de Seine-et-Marne, est embarrassée.

Cette juriste de 36 ans qui a travaillé dans une ONG puis au commercial dans une PME avant de passer le concours de l'Inspection, refuse l'étiquette de flingueurs de patrons que certains chefs d'entreprise collent trop souvent aux fonctionnaires chargés de faire respecter le droit du travail. « Nous sommes là pour rétablir l'équilibre entre le salarié et l'employeur », répète-t-elle. À cette dirigeante de société venue justifier une demande de licenciement, pour cause de « comportements inadmissibles et provocateurs », d'un salarié protégé, elle demande des éclaircissements sur des primes accordées à certains autres membres du personnel et reproche un manque de rigueur dans l'organisation des élections professionnelles. « D'autre part, vous utilisez un décompte aléatoire des heures travaillées. Comment pouvez-vous calculer les heures supplémentaires ? » Autant de dysfonctionnements qui fragilisent, à ses yeux, la demande de licenciement. L'entrepreneuse plaide sa cause. Françoise Lesauvage conclut que, faute de motivations claires, elle sera obligée de « prendre une décision en droit ». « Le salarié incriminé n'est pas sans reproche, reconnaît-elle, mais je ne peux pas accepter ce licenciement. Cette entreprise se développe. Il est temps que sa direction respecte la loi. » Il est 19 heures. Mais Françoise Lesauvage a encore des dossiers à boucler en urgence. « Ce métier est un véritable sacerdoce. La paie est maigre et la reconnaissance inexistante, mais on y croit. »

Comme souvent en début de semaine, les rendez-vous se sont succédé toute la journée dans son bureau. « Avec mes deux collègues contrôleurs, nous supervisons 3 500 PME de moins de 50 salariés et une bonne centaine d'entreprises plus importantes. » Pas plus que l'ensemble des 1 300 inspecteurs et contrôleurs du travail qui veillent sur les 15 millions de salariés du secteur privé. Sauf que la zone géographique, qui s'étend entre Chelles, Mitry-Mory et Précy-sur-Marne, est vaste. La 4e et la 5e section de l'Inspection du travail de Seine-et-Marne ont la chance de disposer d'une contrôleuse chargée de répondre aux appels téléphoniques – plus de 1 000 par mois – et de recevoir les salariés à la recherche d'un conseil, à raison d'une vingtaine chaque semaine. « Ils s'adressent souvent à nous en cas de difficulté avec l'employeur. Lorsque rien ne justifie mon intervention, je renvoie le plaignant vers les prud'hommes. »

Avant de recevoir la responsable de la société de nettoyage, Françoise Lesauvage avait convoqué le contremaître de cette PME, à qui l'élu du personnel, d'origine algérienne, reprochait des propos racistes et une attitude irrespectueuse. Plus tôt dans la journée, le patron d'une entreprise de BTP était venu défendre une demande de licenciement d'un salarié protégé, reconnu inapte par la médecine du travail. Puis c'était au tour du salarié concerné, accompagné d'un délégué syndical. L'inspectrice soupçonnait une tentative de se débarrasser d'un élu gênant. Finalement, l'affaire est plutôt du ressort des prud'hommes.

« Notre seul outil est le Code du travail, explique Françoise Lesauvage. Aussi, il nous faut souvent faire preuve de psychologie pour démêler le vrai du faux. Voire de pédagogie pour expliquer nos décisions à nos interlocuteurs. » Seul problème, cette démarche chronophage ne rentre pas toujours dans les cases du reporting mensuel exigé par la direction départementale du travail. « En quoi le nombre d'appels reçus, de demandes d'examen de document unique ou de refus de licenciement d'un élu sont-ils significatifs de notre activité ? » se demande Françoise Lesauvage, qui déplore le temps consacré aux réunions de service ou à la rédaction de comptes rendus souvent classés sans suite.

Car, dans ce département de Seine-et-Marne, qui a connu un développement rapide, il y a de quoi faire. Il n'y a guère de gros sites industriels mais beaucoup d'artisans, de sociétés de services et d'activité de construction. On dénombre plus de 70 chantiers en moyenne chaque année dans ce secteur.

Ce matin, Françoise Lesauvage a programmé plusieurs visites. « En passant par hasard il y a quelques jours sur un chantier, j'ai constaté qu'aucune barrière de sécurité n'était installée au dernier étage de l'immeuble en construction. J'ai dû faire un rappel de la loi. » Le cas n'est pas isolé. La veille, elle a stoppé un chantier où les ouvriers montaient des murs de 3 mètres en parpaing, juchés sur des palettes en guise d'échafaudage. Pas de local pour manger, un cabanon fait de bric et de broc en guise de sanitaires. « Dans ces cas-là, il ne s'agit même pas de réglementation, mais tout simplement de dignité humaine. »

Casque sur la tête et mains gantées pour se protéger du froid, Françoise Lesauvage part à la recherche du chef de chantier. Ses recommandations ont été suivies d'effet. L'éclairage a été installé dans les cages d'escaliers. En revanche, ses remarques sur l'interdiction de fumer dans un environnement poussiéreux tombent à plat. Les ouvriers écrasent leur cigarette avec un sourire en coin. Une demi-heure plus tard, elle est à Villeparisis sur un autre chantier, où s'est produit peu de temps avant un accident. La visite s'achève par l'examen des documents obligatoires, dans le baraquement faisant office de bureau. L'inspectrice ne trouve pas le carnet de maintenance de la grue, désormais obligatoire. Son conducteur n'a pas le visa nécessaire sur son permis de conduire. À la prochaine visite, des sanctions seront prises si les responsables n'obtempèrent pas. « Le Code du travail sans moyen de répression ne sert à rien. Et j'ai trop peu de temps pour multiplier les visites au même endroit. »

Comme bon nombre de ses collègues, Françoise Lesauvage refuse de se transformer en VRP de la politique de l'emploi du gouvernement en place. « En ce moment, la priorité est la lutte contre le travail illégal. Mais je ne suis pas là pour jouer les supplétifs de la police dans la chasse aux sans-papiers. » Une position qu'elle a défendue sans faiblir lors de son entretien annuel d'évaluation.

L'Arlésienne de la réforme

Les inspecteurs du travail ont le blues. Depuis des lustres ils dénoncent le manque d'effectifs, la division de l'institution en trois corps relevant de l'Agriculture, des Transports et du Travail et le faible soutien des gouvernements.

L'assassinat, en septembre 2004, de deux de leurs collègues, tués par un agriculteur, n'a fait qu'aggraver les choses, suscitant un profond malaise au sein de l'institution. Mais la réforme de l'Inspection est devenue une véritable Arlésienne. Deux rapports récents, de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de Jean Bessière, directeur de l'Institut national du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, où sont formés les futurs inspecteurs, figurent en bonne place sur le bureau de Jacques Rapoport, le secrétaire général des ministères « sociaux », chargé par Gérard Larcher, le ministre délégué à l'Emploi, de proposer un projet de réforme. Ce dernier souhaite garder l'organisation administrative en sections territoriales avec, à leur tête, un inspecteur, voire un directeur adjoint du travail, tout en apportant un peu de souplesse à l'organisation.

« J'ai abandonné l'idée de l'Igas de regrouper les agents en brigades régionales d'intervention spécialisées. Mais les règles de constitution de la section devraient être assouplies pour répondre aux spécificités du tissu local. »

Autre idée, « les inspecteurs devraient posséder un ordinateur portable permettant d'avoir à disposition une documentation sur l'entreprise visitée ». Sur l'augmentation des effectifs ou la fusion des corps, Jacques Rapoport se montre prudent : « Les moyens sont limités et les rigidités importantes…»

Auteur

  • Éric Béal