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Priorité à l'égalité des chances

Dossier | publié le : 01.02.2006 | S. D.

Avec les émeutes urbaines de la fin 2005, un point de non-retour a été atteint. Si le modèle d'intégration à la française a montré de graves signes de défaillance, les employeurs y ont leur part. Désormais, la chasse aux discriminations à l'embauche et dans les parcours professionnels va s'ouvrir dans les entreprises.

Plus de 260 entreprises ont signé la charte de la diversité lancée fin 2004 par Claude Bébéar, président de l'Institut Montaigne, think tank créé par l'ancien P-DG d'Axa en 2000. Mais des déclarations d'intention aux actes, il y a un pas que les employeurs ont du mal à franchir. Comment s'en étonner puisqu'il a fallu une vingtaine d'années avant que l'avant-garde éclairée du patronat mesure l'enjeu de l'intégration des jeunes issus de l'immigration et des quartiers en difficulté ? C'est en effet en 1983, avec la Marche des beurs, que l'Hexagone a découvert le mal-être de la deuxième génération. « Vivre ensemble, avec nos différences, dans une société solidaire », tel était alors le slogan derrière lequel se sont rangés des milliers de jeunes. Depuis, les gouvernements, de gauche comme de droite, se sont succédé, les rapports se sont empilés. Mais rien ou presque n'a changé.

Noms à consonance étrangère, couleur de peau, « mauvaise » adresse, absence de réseau : souvent d'origine modeste, les enfants d'immigrés cumulent des handicaps que le modèle républicain n'a pas su pallier. Le taux de chômage est deux fois et demie plus élevé chez les Français d'origine maghrébine que chez les Français de souche. Confronté aux récentes émeutes urbaines, le gouvernement Villepin a proclamé 2006 année de l'égalité des chances. Un projet de loi va créer une agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances. La Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), née en décembre 2004, qui a enregistré plus de 1 130 plaintes dont près de la moitié concerne l'emploi et 37 % l'origine ethnique, héritera de pouvoirs de sanction renforcés. La méthode du testing, expérimentée depuis 1999 par Sos Racisme, sera légalisée…

De leur côté, les partenaires sociaux n'ont pas attendu la crise des banlieues pour se saisir du dossier de la diversité. Le Medef, qui, sous la présidence de Laurence Parisot, a fait sienne la lutte contre les discriminations, a confié la conduite de négociations ad hoc à Cathy Kopp, DRH d'Accor. « Encore faut-il s'entendre sur la diversité, estime Odile Bellouin, secrétaire nationale à la CFDT. L'objectif n'est pas de revenir sur les discussions qui ont déjà concerné la parité, les seniors, les handicapés, mais de se concentrer sur les discriminations raciales. » Responsable du pôle diversité à l'IMS-Entreprendre pour la cité, Alexandra Palt rappelle qu'« il y a trois ans encore les DRH étaient en plein déni. La lutte contre les discriminations raciales ne les intéressait pas. Aujourd'hui, ils ont pris conscience du problème. Mais cela implique un changement dans les pratiques de management des ressources humaines qui prendra du temps ». En interne, l'apparition de Monsieur Diversité chez L'Oréal, IBM, Arcelor, Gaz de France, etc., et d'un pôle de lutte contre les discriminations chez Adecco en 2000 contribue à rendre le sujet moins tabou. « Notre code de déontologie, réécrit en mars 2005, qui réaffirme le principe d'égalité des chances, nous permet de sensibiliser nos salariés et nos clients à la lutte contre les discriminations », estime Yves Desjacques, directeur général délégué chargé des RH à VediorBis. Pour éviter que l'implication des dirigeants se perde dans la chaîne de décision, Eau de Paris, qui s'est doté d'une commission éthique, forme ses cadres à la gestion de la diversité. « Leurs initiatives personnelles pour lutter contre les discriminations, promouvoir l'égalité des hommes et des femmes, etc., sont prises en compte dans leur évaluation annuelle et nous avons introduit un sujet de management éthique lors des épreuves professionnelles pour accéder à des postes d'encadrement », précise Pascal Bernard, le DRH. Vice-président de l'ANDCP, celui-ci a conduit les travaux portant sur la création d'un label spécifique dans le cadre d'une mission confiée par le ministre délégué à la Promotion de l'égalité des chances, Azouz Begag.

Nombre d'entreprises ont commencé par remettre en question leurs procédures d'embauche et à diversifier les canaux de recrutement. Ainsi, dans le cadre de l'opération « Emploi : ça va être possible » initiée par SOS Racisme, plusieurs groupes, comme Axa, Pierre & Vacances ou McDonald's, se sont engagés à faire accéder 1 000 jeunes diplômés, souvent titulaires d'un bac + 5, à un emploi, l'association se chargeant de recenser les CV et de les transmettre à ses partenaires. S'inspirant de cette expérience, l'ancien footballeur professionnel Karim Zeribi, passé par le cabinet de Jean-Pierre Chevènement au ministère de l'Intérieur, a créé en avril dernier APC Recrutement (pour Agir pour la citoyenneté, bientôt rebaptisé Agir pour la compétence), le premier cabinet de chasse de têtes dédié aux jeunes diplômés issus des banlieues. « Ces derniers sont les grands oubliés de la politique de la ville qui, depuis vingt-cinq ans, s'adresse aux plus démunis et exclue les parcours d'excellence, juge ce petit-fils d'Algérien. Nous privilégions une approche territoriale plutôt qu'ethnicisante. » Créé sous forme associative, le cabinet, fort de 15 bénévoles, va embaucher 4 consultants. Il a déjà recueilli plus de 1 100 CV et contacté 150 entreprises, pour la plupart des PME. « 300 candidats environ ont bénéficié d'un coaching, nous les avons entraînés aux entretiens d'embauche, les avons fait travailler sur leur tenue vestimentaire, etc. »

Pour rabibocher entreprises et jeunes du 93, le Medef Nord francilien mouille aussi sa chemise. Dans le cadre de l'opération « Nos quartiers ont des talents » organisée en novembre, en pleines émeutes urbaines, 200 jeunes titulaires d'un bac + 4 au minimum ont rencontré 80 chefs d'entreprise. « Si le recrutement se fait localement sur les postes d'ouvriers et d'employés, ce n'est pas le cas pour les cadres, explique Raynald Rimbault, délégué général du Medef. Or, dans le département, des jeunes hyperdiplômés se retrouvent à faire du gardiennage au Stade de France. » L'organisation patronale a fait le tri parmi 500 CV, après avoir recensé les besoins des entreprises. « Celles-ci se sont engagées à éplucher les CV et à répondre dans les deux mois, précise Raynald Rimbault. Elles ont aussi promis de proposer des postes en adéquation avec les qualifications des candidats. » En partenariat avec les Assedic et l'ANPE, Vedior-Bis s'apprête à accompagner vers l'emploi durable 30 demandeurs d'emploi, de niveau bac + 2, susceptibles d'être victimes de discrimination à l'embauche.

Autre technique permettant d'objectiver les recrutements, la méthode des habiletés, développée par l'ANPE, consiste à évaluer l'aptitude des candidats lors de mises en situations concrètes de travail. Une procédure qui séduit beaucoup de recruteurs, comme PSA. Casino ou Ikea l'utilisent pour embaucher lors de l'ouverture de magasins. Unilever parie sur l'assessment et fait intervenir des observateurs pour jauger le plus objectivement possible la compétence des jeunes diplômés. La plupart de ces entreprises agissent au nom de leur responsabilité sociale. D'autres pourraient être tentées de les imiter lorsque les premières pénuries de main-d'œuvre se feront sentir.

Mesurer les origines

Si la mesure des origines ethniques est autorisée aux États-Unis, en Grande-Bretagne et au Canada, en France, la loi informatique et libertés l'interdit expressément. Ce vide statistique, traduisant le souci d'égalité du modèle républicain, est de plus en plus critiqué par des chercheurs et des employeurs désireux de dresser un état des lieux précis. « L'utilisation de statistiques est un outil indispensable de lutte contre les discriminations », martèle Patrick Simon, chargé de recherche à l'Ined. C'est pour éclairer le débat juridique que la Cnil a publié de nouvelles recommandations en juillet 2005.

Après avoir rappelé les règles d'utilisation draconiennes des fichiers existants, elle souligne que « le principe de la création d'un référentiel ethnoracial doit être approuvé par le législateur ».

Elle recommande aussi qu'une « réflexion soit conduite dans l'entreprise ou l'administration, en concertation avec les instances représentatives du personnel, pour clarifier les objectifs de la politique de diversité ». À ces questions idéologiques s'ajoute la difficulté de définir des indicateurs pertinents. Depuis novembre dernier, l'Ined mène une expérimentation avec huit entreprises signataires de la charte de la diversité (Eau de Paris, Axa, SNCF, L'Oréal, Adecco, etc.) pour apprécier les indicateurs de mesure. « 600 questionnaires ont été diffusés auprès de salariés volontaires, explique Patrick Simon. L'objectif est aussi de neutraliser les possibilités d'utilisation des résultats à des fins discriminatoires. »

À l'instar de Casino qui a réalisé une enquête patronymique (voir page 63), France Télévisions attend le feu vert de la Cnil pour mener un tel audit dans le cadre du programme européen Equal « Pluriel-Media ».

Auteur

  • S. D.