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Le journal des ressources humaines

« Le gouvernement externalise l'échec scolaire vers les entreprises. »

Le journal des ressources humaines | Formation | publié le : 01.01.2006 | Anne-Cécile Geoffroy

Grand spécialiste de l'éducation, directeur de l'IUFM de Lyon, Philippe Mérieu dénonce le projet d'apprentissage à 14 ans.

Pour répondre aux émeutes urbaines, Dominique de Villepin propose l'apprentissage dès 14 ans. Qu'en pensez-vous ?

La réponse du gouvernement me choque, car elle nous renvoie en arrière. Pour la première fois dans l'histoire de France, on répond à la violence des jeunes non pas par un surcroît de culture, mais par moins de culture. La réponse traditionnelle de la pédagogie face à des enfants qui ne trouvent pas de repères n'est pas de les sortir de l'école pour les envoyer au travail, mais, au contraire, de leur proposer davantage d'éducation.

Ce type de mesure est le symptôme d'une période de régression idéologique. C'est le retour à une forme de pensée de la prédestination qui enferme ces jeunes et les catégorise quand précisément il faudrait leur donner de l'espoir.

Pour le gouvernement, il s'agit pourtant de renforcer l'égalité des chances…

Le danger, c'est justement que ces mesures ne donnent pas à l'apprentissage le statut d'ascenseur social. Il s'agit ni plus ni moins pour le gouvernement d'externaliser l'échec scolaire vers les entreprises.

Je crois à l'apprentissage après 16 ans comme une filière de plein droit, venant compléter les filières traditionnelles, car elle peut produire de la mobilité sociale pour des jeunes réfractaires aux études longues, abstraites et déconnectées du métier. Mais, pour développer l'apprentissage, il ne faut pas l'associer à une formation au rabais; il faut lui donner, au contraire, un statut et organiser une vraie alternance entre l'entreprise et l'école, pas une juxtaposition des deux.

L'apprentissage à 14 ans ne peut-il pas faciliter l'insertion professionnelle de jeunes exposés au chômage ?

Lorsqu'on oriente prématurément les élèves vers des filières très professionnalisées, on diminue de facto le chômage des jeunes. Certains pays, comme l'Allemagne, ont fait ce choix. On facilite en effet l'embauche dans le prolongement de la formation initiale. Mais, dans le même temps, on crée un effet retard. Une formation initiale courte diminue l'adaptabilité de ces jeunes dans leur vie professionnelle. Ils ne parviennent pas à passer le palier de fin de premier emploi et restent cantonnés à des jobs de basse qualification. Ni le jeune ni l'entreprise n'en sortent gagnants.

Quelles seront les conséquences de cette mesure ?

La plus triviale serait que des jeunes en échec scolaire abandonnent l'école pour gagner une poignée d'euros tout en se débarrassant des profs et des devoirs. On ne peut pas non plus exclure que certaines familles, pour des raisons économiques, poussent leurs enfants à l'abandon scolaire. L'Éducation nationale a la capacité d'anticiper très en amont l'orientation des jeunes. L'apprentissage junior risque de renforcer cette tendance et on pourrait aboutir à la création d'une sorte de sas entre la fin du primaire et l'âge de 14 ans. On verrait alors se créer des classes parkings dans lesquelles on placerait les élèves sortant de CM2 avec un ou deux ans de retard et pour lesquels on aurait anticipé leur orientation vers l'apprentissage dès la fin de l'école primaire.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy