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Idées

La prime pour l'emploi incite-t-elle à retravailler ?

Idées | Débat | publié le : 01.01.2006 |

À compter de ce mois de janvier, environ 4 millions de foyers percevront mensuellement la prime pour l'emploi, sensiblement revalorisée pour les salariés payés au smic – à temps plein ou à temps partiel. Ce crédit d'impôt à la française favorise-t-il la reprise d'emploi ? Les réponses, plutôt mitigées, de trois économistes.

Pierre Ralle, directeur du Centre d'études de l'emploi.

« À terme, les entreprises ne vont-elles pas avoir tendance à moins augmenter les bas salaires ?»

Depuis une dizaine d'années, une politique de mise en œuvre de mesures visant à augmenter la rémunération des personnes ayant ou trouvant un emploi peu rémunéré a été suivie. Cette politique concerne, par exemple, les bénéficiaires de minima sociaux (les mesures d'intéressement du RMI ont vu le jour dès le début des années 90), les salariés au smic dont le temps de travail est faible, etc. La prime pour l'emploi s'inscrit dans cette perspective. Cette politique semble assez consensuelle, sans doute parce qu'il paraît juste et efficace d'augmenter la rémunération des personnes les moins payées dans un contexte de montée du nombre de travailleurs pauvres et de permettre que la rémunération rapportée par le travail soit plus élevée que les revenus liés à l'assistance. Elle a cependant deux limites.

En termes d'efficacité économique, on peut s'interroger sur les effets d'une prise en charge par la collectivité de la rémunération directe des salariés. À terme, les entreprises ne vont-elles pas avoir tendance à moins augmenter les bas salaires, anticipant la prise en charge par l'État d'un complément de rémunération ?

En termes de justice sociale, ces mesures n'atteignent leur objectif que si l'équilibre du marché du travail s'établit au niveau de l'offre de travail des personnes potentiellement actives. Certes, le dynamisme individuel est une condition nécessaire à la croissance et à l'emploi et le taux de chômage résulte pour une part des efforts plus ou moins importants réalisés par chacun en matière microéconomique. Mais il résulte aussi de variables macroéconomiques telles que le niveau des taux d'intérêt fixé par les banques centrales, la plus ou moins grande coordination des politiques budgétaires entre les États européens, le prix du pétrole, les taux de change entre l'euro et les grandes monnaies mondiales, les délocalisations d'entreprises, etc. On convient aisément que les chômeurs ne sont pas responsables de l'évolution de ces facteurs, mais que le succès de leur recherche d'emploi en dépend.

Il est juste que le chômeur qui, grâce à ses efforts, trouve un emploi obtienne une rémunération satisfaisante. Mais, dans un monde où le taux de chômage ne résulte pas que des comportements des offreurs, les chômeurs qui, malgré leurs efforts, ne trouvent pas d'emploi n'ont, quant à eux, ni salaire ni prime !

Hélène Périvier, économiste à l'Office français de conjonctures économiques.

« La PPE est surtout un outil permettant d'augmenter le revenu des smicards. »

La prime pour l'emploi (PPE) s'est vu assigner, depuis sa création en 2001, de multiples objectifs, ce qui nuit à son efficacité. En premier lieu, elle est conçue pour favoriser l'accès à l'emploi en rendant le travail plus attractif, ce qui doit encourager les personnes au chômage ou inactives à reprendre un travail, la finalité étant d'augmenter l'emploi. Sur ce point, elle a peu de chances de réussir car le chômage de masse que connaît la France est principalement involontaire : les personnes privées d'emploi le sont soit parce que leur recherche est infructueuse, soit parce qu'elles sont exclues du marché du travail du fait de caractéristiques particulières très défavorables à leur insertion (âge, manque de qualifications…). En outre, depuis les réformes de la fin des années 90, reprendre un emploi est toujours rémunérateur. Certes, la reprise d'un temps partiel s'avère peu « rentable » à l'horizon d'un an, lorsque l'intéressement au RMI prend fin ; mais est-il souhaitable d'encourager des personnes à survivre via un emploi à temps partiel alors que celui-ci ne constitue pas un tremplin vers un emploi à temps plein stable ? Le recentrage de la PPE sur le temps partiel, amorcé en 2003 et renforcé pour 2006 et 2007, est donc discutable puisqu'il institutionnalise des situations anormales sur le marché du travail.

En second lieu, la prime pour l'emploi est un moyen d'étendre les bénéfices des réductions de l'impôt sur le revenu à des foyers non imposables. De ce point de vue, elle garantit une certaine équité fiscale. L'assiette de l'impôt sur le revenu étant étroite, toute réduction des taux marginaux est ressentie comme une injustice par ceux qui ne le paient pas et qui, de ce fait, ne bénéficient pas de ces réductions. Mais la PPE ne s'attaque pas à la source de cette iniquité fiscale, elle ne fait que la réduire ; il faudrait repenser l'intégralité de cet impôt. Enfin, elle constitue un moyen de redistribuer du pouvoir d'achat aux travailleurs à bas salaires sans peser sur le coût du travail.

Le montant maximal perçu par un smicard sera de 67 euros par mois en 2007, ce qui est loin d'être négligeable. Mais le pouvoir redistributif de la PPE reste faible puisqu'elle concerne des personnes actives occupées alors que les ménages les plus pauvres sont le plus souvent inactifs. Finalement, la prime pour l'emploi est plus un outil qui permet d'augmenter le revenu des smicards plutôt qu'un élément de la politique de l'emploi.

Pierre Concialdi, chercheur à l'Institut de recherches économiques et sociales.

« Le principal effet de l'impôt négatif est une redistribution en termes d'emploi et de revenus. »

A partir de 2006, la prime pour l'emploi sera plus visible puisqu'elle sera perçue mensuellement et se concentrera davantage sur les salaires inférieurs au smic : cela est censé favoriser les incitations à la reprise d'emploi. Rappelons cependant que tout dispositif d'impôt négatif accroît les incitations pour certains types d'emplois, mais les réduit nécessairement pour d'autres. Toutes les études montrent que, au bout du compte, l'impact sur l'emploi total reste tout à fait marginal. L'effet principal de l'impôt négatif est donc un effet de redistribution, à la fois en termes d'emploi et de revenu.

Pour la redistribution des emplois, il s'agit de favoriser davantage les petits boulots à temps partiel, qui constituent pourtant une des causes de la montée de la précarité dans notre pays. Dit autrement, la réforme favorise la réduction « individualisée » du temps de travail qui, on le sait, pénalise surtout les femmes. Quant à la redistribution des revenus, il s'agit certes d'augmenter le montant de la PPE mais aussi, du même coup, de déresponsabiliser encore plus les entreprises et de faire payer par les contribuables les plus bas salaires. Avec l'impôt négatif, le salaire n'a plus vocation à faire vivre les salariés : le travail est réduit à l'état de simple marchandise et l'anomie sociale s'étend.

Mieux vaut un petit boulot que le chômage, disent certains. Il s'agit là d'un faux postulat. La réalité est que de plus en plus de salariés cumulent précisément les deux, soit en alternant des périodes de chômage et d'emploi précaire, soit en cumulant un bout d'indemnisation avec un bout de salaire.

Aujourd'hui, près d'un tiers des demandeurs d'emploi recensés par l'ANPE travaillent chaque mois ; ce pourcentage n'atteignait pas 5 % il y a seulement une douzaine d'années. Si ces petits boulots étaient des marchepieds vers des emplois plus stables et mieux rémunérés, on pourrait considérer qu'il s'agit là d'une sorte de moindre mal, d'une difficulté passagère. Mais toutes les études montrent exactement l'inverse. Les trappes à bas salaire se multiplient, nourrissant un vaste halo de pauvreté et de précarité.

Dans ce contexte, le débat d'experts autour de la prime pour l'emploi (quelles incitations, quelle redistribution favoriser ?) a, sans doute, encore de beaux jours devant lui. Mais il focalise l'attention sur l'accessoire et détourne de l'essentiel, à savoir la pénurie massive d'emplois qui, avec son cortège de discriminations de toute nature, gangrène notre société.