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Vie des entreprises

Mon coach est un collègue

Vie des entreprises | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.12.2005 | Éric Béal

Le coaching est entré dans les mœurs. Mais les intervenants extérieurs sont aujourd'hui concurrencés par des coachs internes. La SNCF, le CIC, IBM disposent ainsi de salariés formés à l'écoute. Avantages : leur proximité, leur connaissance du terrain et… leur coût.Sans compter qu'ils peuvent être utiles pour mesurer le climat social.

C'est une sorte de paria. Ses « clients » évitent de le saluer trop ostensiblement dans les couloirs. Il a beau appartenir à la DRH, on fait semblant de ne pas le reconnaître en public. Loin d'en prendre ombrage, ce « coach interne » prend garde de ne pas parler, sans y être invité, avec ceux qu'il a épaulés au sein de cette entreprise spécialisée dans les matériaux de construction. « Je fais attention à ne jamais laisser transparaître que je connais certains de mes interlocuteurs. Il en va de mon image. Si la confidentialité de ce qui se passe entre nous n'est pas totale, ma crédibilité risque d'être mise à mal », indique-t-il. C'est également l'avis de Véronique Simon, coach salariée du Crédit foncier. « Un manager a toujours des doutes, des problèmes qu'il ne peut, ne sait ou ne doit pas aborder avec son équipe ou son supérieur hiérarchique. Avec un coach, il peut se confier et réfléchir à haute voix sans danger d'être jugé. Mais si le contenu des échanges n'est pas strictement confidentiel, le coach perd ses interlocuteurs très rapidement. »

Considéré comme une mode passagère à son apparition, le coaching s'est imposé petit à petit dans les entreprises françaises. Seuls 8 % des 265 DRH interrogés dans la dernière enquête du Syntec Conseil en évolution professionnelle indiquent ne pas mettre cet outil à la disposition de leurs managers. Pour Catherine Glée, maître de conférence à l'IAE de Lyon, la pratique du coaching est favorisée par la pression que les entreprises font peser sur les épaules de leurs managers. « Dans un contexte économique de plus en plus incertain, on ne demande plus seulement aux cadres de posséder des savoir-faire techniques. Leur avenir dépend aussi de leur comportement, de leur savoir-être et de leur pratique managériale. Or ces notions s'apprennent difficilement par une formation classique, alors que le coach, dont la fonction est d'aider à réfléchir, s'adapte à la personnalité et aux besoins du coaché. » Ni expert en management ou en organisation ni psychiatre chargé de redresser les personnalités déviantes, le coach est d'abord une oreille. « Il doit écouter le coaché présenter ses problèmes et lui poser des questions pour l'aider à trouver lui-même des solutions pragmatiques et rapidement réalisables », souligne Olivier Devillard, de l'Ifod, organisme de formation au coaching, et auteur de Coacher (Dunod, 2005).

L'autre tendance de fond est l'augmentation du nombre de coachs internes. Selon le Syntec, ces salariés de l'entreprise, qui travail-lent le plus souvent en complément de leurs collègues « libéraux », sont présents dans 43 % des entreprises déclarant utiliser le coaching. Selon la Société française de coaching, 15 % des quelque 2 000 coachs français recensés en 2003 étaient salariés en entreprise. Pour Sylvie de Frémicourt, responsable de la commission coaching du Syntec Conseil en évolution professionnelle, leur nombre devrait croître dans les années à venir. D'abord dans un souci de rigueur.

Des missions en catimini

« Dans les années 90, certains cadres dirigeants se faisaient coacher à l'extérieur de l'entreprise sans que nous puissions vérifier le professionnalisme des prestataires, note Armelle Le Hire Ringenbach, directrice de l'institut du management de la SNCF. Compte tenu des besoins d'accompagnement des cadres, certains d'entre nous, aux RH, ont voulu maîtriser cette démarche et ont suivi des formations auprès d'organismes reconnus. » Les années suivantes, ces coachs non reconnus officiellement ont accepté quelques missions en catimini. La direction, tenue au courant, a laissé faire. Puis les missions se sont multipliées, uniquement alimentées par le bouche-à-oreille. L'officialisation de cette prestation n'a été effective qu'en 2001. « Et encore, précise Jean Wieland, président du Syndicat national des cadres supérieurs SNCF. La communication est minime aujourd'hui, et les 12 coachs internes ne réalisent qu'un peu plus d'une centaine de missions par an. »

Même type de démarche au groupe CIC. Ancienne responsable de la formation de l'entreprise et présidente de La Compagnie des coachs internes, un comité d'experts lié au groupe RH & M, Danièle Pettersson a suivi une formation au coaching pendant deux ans, avec l'accord de son DRH. Devenue coach certifiée, elle a créé le poste de coach interne en 2001 et est directement rattachée au DRH groupe. « Nous recherchions un outil plus efficace que les sessions de formation pour améliorer le savoir-faire managérial de nos cadres. D'autre part, nous avions des demandes de la part de managers et nous savions que certains d'entre eux utilisaient les services d'un prestataire indépendant. »

Dans d'autres entreprises, l'impulsion peut venir de l'extérieur. « Un de nos managers rencontrait des difficultés relationnelles avec ses collègues et sa hiérarchie il y a quelques années. Un consultant a suggéré à la direction de proposer un coaching. Sachant que j'avais suivi une formation complète, le P-DG m'a demandé de voir ce que je pouvais faire. Ce fut ma première mission », explique Marie Delages, coach à temps partiel et directrice de la qualité des laboratoires Chemineau.

Le critère qui milite en faveur du coaching interne, c'est la proximité. Si les coachs salariés n'exercent pas tous à temps plein, ils sont en revanche issus du sérail. Anciens managers, responsables RH ou directeurs de la formation, leurs profils varient considérablement. Chargé de l'animation de l'équipe de six coachs internes d'IBM, Charles de Testa était initialement ingénieur commercial. Il est devenu coach interne en 1993. « Je m'investissais beaucoup dans l'animation de mes équipes, en essayant de les faire progresser. Je me suis tourné tout naturellement vers un poste de coach lorsque cette pratique a été officialisée chez IBM. » Chez Thales Missions et Conseil, une filiale spécialisée dans le consulting, les 15 « tuteurs » permanents ont reçu une formation au coaching. La plupart sont ingénieurs. Pour sa part, Guillaume Prat, coach à la Société générale, est un ancien banquier spécialisé dans les marchés financiers.

Supervisés comme les autres

Ces coachs ont beau être dans l'entreprise, cela ne les empêche pas de se faire superviser, comme leurs confrères indépendants, par un professionnel extérieur plus expérimenté, de manière à conserver un œil critique sur leur pratique. « Interne ou externe, un coach doit être supervisé, assure Alain Gherson, vice-président du cabinet de conseil en management Dexteam. C'est le seul moyen de se remettre en question et de vérifier son degré de lucidité par rapport aux problèmes évoqués par les coachés. » Car, pour l'ensemble de la profession, le coach interne est un coach comme les autres.

Dans son Guide pratique du coaching interne (Gualino Éditeur, 2005), Danièle Pettersson explique qu'un coach salarié doit bénéficier d'une indépendance et d'une autonomie comparables à celles dont bénéficient les professions libérales. Demandes d'intervention adressées directement au coach, absence de reporting détaillé à la direction et secret professionnel sont les règles de fonctionnement qu'elle propose pour préserver un équilibre éthique entre le « client », l'entreprise et la branche professionnelle. Éléna Fourès, coach internationale, auteur du Petit Traité des abus ordinaires (Éditions d'Organisation, 2004), précise : « Le coach interne doit garder son indépendance d'esprit et avoir la possibilité de défendre l'intérêt du coaché en refusant de donner des précisions sur le résultat des entretiens à sa hiérarchie. » Autrement, le coaching se résume à une démarche d'évaluation déguisée en attendant la prochaine charrette (voir encadré ci-contre).

Outil du changement

Pour 81 % des DRH interrogés par le Syntec Conseil en évolution professionnelle, le coaching est d'abord un moyen d'améliorer le leadership et le style de management des encadrants. Cadre dirigeant à la SNCF, Charles a profité d'un coaching en 2004. « À la suite d'une promotion, je suis passé de 3 à 25 collaborateurs. J'avais besoin de partager mes angoisses avec quelqu'un. Le coach m'a aidé à réfléchir sur l'adaptation de mon mode de management à la nouvelle situation. »

À la SNCF, les coachs internes sont plus largement considérés comme un moyen de faire évoluer un mode de management traditionnellement autoritaire. « Grâce aux tests en assessment centers ou aux 360° feedback, nous savions que les cadres supérieurs avaient besoin d'accompagnement. Louis Gallois a alors fait le choix d'utiliser le coaching comme un outil du changement, au service de la stratégie de l'entreprise », rappelle Annick Richet, ancienne responsable du coaching chez le transporteur national. À ses yeux, les 22 000 cadres cheminots sont potentiellement utilisateurs à terme.

Cela étant, la direction laisse aux cadres le choix d'opter pour les dix professionnels externes recommandés par l'entreprise ou la douzaine de coachs internes, qui exercent à temps partiel. « Avoir des coachs internes permet de présenter un réseau plus étoffé, avec une plus grande diversité de profils », indique Catherine Favard, ancienne coach interne de la SNCF aujourd'hui consultante. À la Société générale, les managers ont aussi le choix entre coaching interne et coaching exercé par un indépendant. « J'ai des clients de tout niveau, indique Guillaume Prat, du jeune manager au dirigeant. » Seules conditions pour le démarrage d'une mission : obtenir le feu vert du supérieur hiérarchique et du responsable RH… et un budget.

Car les motifs budgétaires expliquent en partie également l'engouement récent pour le coaching interne. Le coach salarié est beaucoup moins coûteux, ce qui permet de le faire intervenir auprès de managers de niveaux hiérarchiques plus modestes. Le coach interne rassure également les futurs coachés. Il fait partie de la maison et connaît les positions respectives des supérieurs hiérarchiques. Le dialogue en est simplifié. « Il permet également de garder des secrets à l'intérieur de l'entreprise », ajoute Olivier Devillard, de l'Ifod. Cerise sur le gâteau, certains coachs salariés se rendent aussi utiles dans les relations sociales en mesurant le climat social sur les différents sites ou en notant les différences les plus flagrantes entre régions. Des informations utiles pour la DRH au moment de réfléchir à une politique d'égalité hommes-femmes, à des règles de mobilité ou à une charte déontologique.

Reste que, quelles que soient les règles de fonctionnement adoptées, la nature du coaching est étroitement dépendante de la culture interne. Après enquête auprès d'une trentaine d'entreprises publiques et privées utilisant le coaching interne, l'International Coach Federation en France explique que le coaching est « pratiquement toujours établi dans les entreprises où existe une préoccupation de l'humain et une culture managériale ». Mais il peut être orienté vers le développement personnel, l'obtention de résultats concrets ou encore l'amélioration des performances individuelles et collectives. Dans certains cas, il est seulement utilisé comme un moyen de fidélisation des managers ou comme un outil « sans lien avec les autres processus de développement et les stratégies de changement ».

Soupçon de manipulation

Annick Richet, qui a récemment publié le Coaching interne : à l'aube du développement managérial durable (Demos, 2005), parie elle aussi sur le décollage de cette pratique. « Nous n'en sommes qu'au tout début. À l'avenir, les coachs travailleront en collaboration avec le département formation et les consultants internes pour constituer un département “accompagnement du changement” au sein des entreprises. » Une prédiction qui pourrait titiller les syndicats. « Le coaching est difficile à appréhender car ça se passe sous le manteau. Mais les quelques remontées que nous avons ne sont pas négatives », indique Jean-Marc Coulamy, délégué CFDT au CIC. À la SNCF, Alain Fourage, de la CGT, s'étonne de la confidentialité qui entoure cet outil de management. « Quand on connaît les problèmes que nous rencontrons dans les établissements au niveau du dialogue social, une aide au personnel de direction en difficulté ne peut être que bienvenue. Mais, jusqu'à présent, on ne peut pas dire que les résultats soient probants. »

Et ce syndicaliste de se demander si le coaching n'est pas plutôt un outil pour aider les cadres à augmenter la productivité. Entre déontologie affichée, discrétion obligée et soupçons de manipulation, inutile de dire que le coach interne devra continuer à montrer patte blanche pour être accepté par ses collègues.

Plus indépendant dans l'entreprise qu'en dehors ?

La roue tourne. Il y a dix ans, les coachs libéraux regardaient avec curiosité les rares coachs internes officiant dans des entreprises d'origine américaine. « La majorité d'entre eux estimaient que l'on ne pouvait pas exercer librement cette fonction en ayant un contrat de travail et une relation de subordination à l'entreprise », souligne un observateur de la profession. Un coach sous l'autorité d'un DRH ne semblait pas pouvoir respecter la règle d'or de la profession : la confidentialité des échanges. Aujourd'hui, la tendance s'inverse. « Un coach indépendant doit assurer un certain chiffre d'affaires pour vivre, estime ainsi Danièle Pettersson, coach au CIC. Alors qu'un coach interne ayant fait comprendre à sa direction l'importance de règles éthiques strictes pour l'efficacité de son action a les mains libres. » Un avis partagé par Sophie Soria, coach indépendante, auteur d'« Un coach nommé Jésus » (Dunod, 2005), qui précise que nombre de DRH veulent savoir ce qui se passe durant les séances. « En six ans de pratique, toutes les entreprises dans lesquelles j'ai exercé, à de rares exceptions près, ont tenté de me tirer les vers du nez.

Parfois, mon refus a entraîné ma disparition de la liste des coachs agréés », explique-t-elle. Ces tentatives pour obtenir des informations sur le déroulement de carrière d'un collaborateur, quand ce n'est pas le moyen de trouver son point faible afin de se débarrasser de lui, ne sont pas les seuls abus possibles. Dans son « Petit Traité des abus ordinaires », Éléna Fourès pointe les divers manquements à l'éthique qui dévalorisent le coaching.

En commençant par les coachs insuffisamment formés, les anciens consultants ou les psychiatres à la recherche d'un marché qui « usurpent le titre » et « font plus de mal que de bien ».

Du côté de l'entreprise, tout n'est pas rose non plus. Il n'est pas rare que les dirigeants cherchent à utiliser le coach d'un pair ou d'un n + 1 talentueux pour le « détruire » psychologiquement et éviter la concurrence. Le coaching est un univers impitoyable.

Auteur

  • Éric Béal