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Vie des entreprises

Avec Bernard Miyet, les salariés de la Sacem passent au numérique

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.12.2005 | Sylvia Di Pasquale

L'âge d'or semble bien révolu. Entre piratage via Internet et concurrence européenne, la Sacem doit transformer en profondeur son organisation et ses méthodes de travail. Un chantier orchestré depuis 2001 par le diplomate Bernard Miyet, qui bouscule, tout en douceur, les métiers et la culture maison.

La ritournelle aurait-elle vécu ? Pour la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), le XXIe siècle sera numérique. La vénérable institution, qui fête ses 155 ans, entame la deuxième mutation de son histoire après celle des années 50, avec le développement du disque et des médias audiovisuels. Pour la mener à bien, le conseil d'administration – composé d'un collège de sociétaires désignés parmi les grands auteurs de la chanson française, à l'instar de Jean Fauque, parolier d'Alain Bashung, ou du compositeur Alain Chamfort – a fait appel, en 2001, à Bernard Miyet, un spécialiste des questions culturelles et audiovisuelles.

Président du directoire depuis trois ans, ce diplomate de 59 ans a commencé à rénover en profondeur la Sacem pour qu'elle puisse résister à l'effondrement des ventes de disques dû au téléchargement pirate. À lui aussi de contenir les frais de gestion de l'institution pour rester compétitif face aux sociétés d'auteurs européennes que Bruxelles incite à venir chasser sur ses terres. Pour relever ce défi, Bernard Miyet doit mener de front plusieurs chantiers, tant au niveau de l'organisation que des méthodes de travail qui n'ont pas bougé d'un iota depuis des décennies. Un tour de force dans cette ruche forte de 1 648 salariés qui collectent 726 millions d'euros de droits par an et en répartissent 80 % auprès des 108 000 sociétaires. Son credo ? Lobbying, dialogue social et modernisation à tous les étages.

1 RÉSISTER AUX MENACES EXTÉRIEURES

Jusqu'au début des années 2000, tout allait pour le mieux à la Sacem. Les sociétaires écrivaient des tubes tandis que les centaines de personnes disséminées sur l'ensemble du territoire se chargeaient de percevoir les droits sur les disques vendus, la musique diffusée à la radio, sur les chaînes de TV, dans les discothèques, les magasins et les bals du samedi soir. Un répertoire riche de plus de 8 millions d'œuvres, véritable poule aux œufs d'or qui, dans l'esprit de certains salariés de la Sacem, devait leur garantir l'emploi à vie. Mais un gros nuage est venu assombrir le tableau il y a un an lorsque Bruxelles a engagé une réflexion sur la réforme des sociétés nationales de droits d'auteur puis recommandé la fin de leur monopole en juillet dernier. Une manière de simplifier la vie du créateur français qui souhaiterait faire gérer ses droits par une société d'auteurs prélevant de moindres frais de gestion. Rien de catastrophique pour la Sacem si les grosses pointures lui restent fidèles. Mais si des poids lourds comme Jean-Jacques Goldman, Pascal Obispo ou Luc Plamondon, auteurs de tubes qui se vendent par millions, venaient à partir, la situation serait très préoccupante. « Il y a une forme de solidarité à la Sacem. Les « gros » font vivre la maison et permettent de percevoir des droits dans chaque lieu de diffusion et pour tous les sociétaires », rappelle Bernard Miyet.

Afin d'éviter des exodes massifs d'auteurs, les sociétés européennes, réunies au sein du Groupement européen des sociétés d'auteurs et compositeurs, s'étaient entendues entre elles pour ne pas se faire concurrence. Une victoire pour Bernard Miyet qui préside ce groupement. Mais Bruxelles compte bien casser cet accord qui contrevient au principe de libre concurrence en Europe. Aussi, le « président Miyet » fait souvent le voyage à Bruxelles afin de retarder l'application de la recommandation communautaire le plus longtemps possible. Le lobbying est l'une de ses spécialités : c'est lui qui a fait accepter, en 1993, l'« exception culturelle » française et européenne aux représentants du gouvernement américain.

Ce répit permet à Bernard Miyet de se préoccuper d'un autre phénomène qui menace l'avenir de la Sacem, son activité, voire ses emplois : le piratage de musique sur Internet. « Le revenu global des auteurs-compositeurs provenant des ventes de disques a chuté de 24 % en 2004 », rappelait-il récemment sur le site de la société d'auteurs. « Certains organisateurs de concerts trouvent normal d'avoir à payer les musiciens mais jugent scandaleux d'avoir à acquitter des droits d'auteur. Il faut constamment leur rappeler qu'un auteur-compositeur n'est pas dans la situation d'un intermittent du spectacle. Il ne touchera jamais d'allocations chômage. Si ses chansons ne sont pas interprétées, il ne gagnera strictement rien. Sa seule rémunération, c'est la Sacem qui la lui verse », rappelle le président de la société d'auteurs.

Plus lyrique, Claude Lemesle, parolier attitré de feu Joe Dassin et président du conseil d'administration écrivait récemment aux sociétaires qu'il n'est « pas facile de faire comprendre aux utilisateurs de musique que les auteurs-compositeurs vivent le temps d'un air et non pas de l'air du temps ». Pas question pour autant de poursuivre en justice les internautes indélicats. Bernard Miyet parie davantage sur le développement des sites payants de téléchargement avec qui il a négocié des droits. Mais il sait aussi que l'avènement d'Internet signe la fin d'un certain âge d'or à la Sacem. Et que ses troupes doivent faire le deuil de cette longue période bénie.

2 IMPOSER LA TRANSPARENCE À L'ORGANISATION

Pendant le long règne du charismatique Jean-Louis Tournier, qui a dirigé l'institution durant près de quarante ans, la Sacem s'était forgé une réputation de maison opaque, qui donnait lieu à tous les fantasmes et même à des accusations de détournement de fonds… sans fondement. Pour marquer le changement d'époque, Bernard Miyet mise sur la communication externe et interne. Il participe régulièrement à des chats sur Internet pour expliquer inlassablement le rôle de la Sacem. Dès son arrivée, le nouveau président a aussi imposé la transparence sur les comptes et accueilli sans rechigner la nouvelle commission créée par une loi d'août 2000, chargée de contrôler la gestion des sociétés de perception et de répartition.

Non sans arrière-pensées, selon certains syndicats de la maison : « Avec ce rapport [de la commission] qui épingle le niveau de salaires pratiqués à la Sacem, il essaie de nous mettre la pression », commente un délégué syndical SPSA-CGT. Il faut dire que le document pointe des niveaux de rémunération élevés, « s'agissant d'une activité non marchande, qui ne génère pas de profits et n'encourt pas les risques auxquels sont généralement exposées les activités économiques ». Le rapport annuel de la Sacem fait état, pour 2004, d'une rémunération moyenne annuelle de l'ordre de 43 200 euros, hors cadres supérieurs. « Si cette commission peut m'aider sur des points qui sont mal compris à l'extérieur, le cas échéant bousculer des immobilismes internes, ce n'est pas pour me gêner. Très clairement, je souhaite que cette maison soit plus transparente », martèle Bernard Miyet.

En interne, il a mis en œuvre une politique de communication intense. « Nous avons instauré de nouveaux lieux de discussion », explique Jacky Bevilis, le DRH, un ancien directeur régional. Bernard Miyet réunit régulièrement trois instances nouvelles, le comité du directoire, le comité stratégique opérationnel et le comité managérial de coordination et d'information, composés respectivement de 5, 17 et 45 personnes, auxquels s'ajoutent deux réunions annuelles avec l'ensemble du personnel ainsi qu'une réunion d'une journée dans chacune des régions. Les membres du directoire ont attrapé, eux aussi, le virus de la communication : « J'ai, en région, des équipes de 3 à 10 personnes, très éloignées du siège social, indique Catherine Kerr-Vignale, responsable de la direction clientèle. À nous d'activer la pompe pour irriguer l'ensemble du réseau. »

3 RÉNOVER L'ORGANISATION, LES OUTILS ET LES MÉTHODES

Dès son arrivée en 2001, Bernard Miyet a imposé sa marque sur l'organisation, en commençant par s'attaquer à l'organigramme. Un lifting réalisé en concertation avec l'ensemble du directoire. « L'ancien organigramme résultait de strates successives, indique Claude Gaillard, directeur actuel des relations avec les sociétaires. Je faisais un peu de tout : de la répartition, de l'informatique, de la gestion… » Désormais, quatre grandes directions aux compétences clairement définies se partagent la tâche. L'une est dédiée aux sociétaires, une autre se charge des clients, une troisième se consacre à la gestion et une dernière aux affaires générales. L'organisation a été simplifiée pour mieux faire décoller le second étage de la fusée Miyet : la mise en place de nouveaux outils et la création de la direction de l'organisation et des systèmes d'information (Dosi), mêlant informatique et organisation.

Arrivé il y a trois ans, son directeur, Michel Allain, est directement rattaché au président, car l'enjeu est lourd de conséquences pour la société d'auteurs : il s'agit d'une refonte complète du système d'information, un chantier ouvert en 2003 et qui devrait se poursuivre jusqu'en 2008. « Nous effectuons une remise à plat des processus de travail », explique-t-il. Sa première réalisation, le portail Web de la Sacem, est un couteau suisse, à la fois Internet, extranet et intranet.

Mais l'informatique ne se limite pas au Web. Un schéma directeur baptisé Helios (pour « harmonisation et évolution des logiciels informatiques et de l'organisation de la Sacem ») comprend cinq projets phares qui seront mis en œuvre d'ici à six ans. Chacun d'entre eux répond à un nom de code (Oscar, Mips, Gecod, Select ou Ulysse) choisi dans le cadre d'un concours d'idées organisé auprès des salariés « pour commencer à les impliquer », souffle le DRH Jacky Bevilis.

Ces grands chantiers touchent directement la vie des salariés : depuis deux ans, près de 3 000 sociétaires utilisent ainsi Internet et non plus les sempiternelles fiches manuelles pour déclarer leurs nouvelles œuvres, ce qui a réduit le nombre d'opératrices de saisie, reconverties, en interne, à l'élaboration d'une cartographie des métiers de la Sacem. Autre innovation technologique : grâce à l'unification des bases de données, les différents types de perception de droits d'auteur ont été rattachés à la seule direction de la clientèle. « Auparavant, il y avait un service qui percevait dans les bars et hôtels, un autre pour les télés, les radios, etc. », explique sa directrice, Catherine Kerr-Vignale Et certains médias, à la fois diffuseurs, producteurs phonographiques, vidéo et producteurs de spectacles musicaux, étaient submergés de factures émanant de plusieurs services.

Cette réorganisation a été l'occasion de toucher à un métier sensible dans les directions régionales : celui des percepteurs. Auparavant, près de 80 % de leur temps était consacré à arpenter les trottoirs à la recherche de nouveaux bars ou de nouveaux magasins diffusant de la musique, ou bien à attendre le soir l'ouverture des discothèques ou le début des concerts pour contrôler si les programmes annoncés étaient effectivement joués ou pour recouvrer des créances. Quand ils rentraient au bureau, ils confiaient leurs rapports écrits à des secrétaires. à présent, des ordinateurs portables font leur apparition, et les percepteurs deviennent polyvalents. Ils saisissent eux-mêmes les fiches clients, tapent des contrats et assurent des permanences téléphoniques. Quant aux activités nocturnes, elles ont été réduites puisque la Sacem établit des droits forfaitaires pour les événements qui ne représentent que de petites recettes.

Cette rationalisation sera menée à bien sans perte d'emplois. Bernard Miyet s'y est engagé. Mais il reconnaît que « certains métiers vont forcément évoluer ou disparaître ». La réorganisation en cours s'appuie également sur la mobilité interne. Le rythme actuel d'une quarantaine de promotions par an va s'accélérer avec les départs à la retraite. Enfin, depuis 2000, 420 nouveaux collaborateurs ont rejoint la Sacem, dont plus de la moitié de bac + 2 et, pour un sur cinq, des niveaux bac + 3 et plus.

4 LEVER LES BLOCAGES INTERNES

Avant d'engager la modernisation de la Sacem, Bernard Miyet a souhaité très tôt identifier les freins à cette démarche de changement. « Le premier d'entre eux était le manque de culture technologique des partenaires sociaux », se souvient Jacky Bevilis. Les membres du CE se sont vu proposer la création d'une commission NTIC et l'aide d'un expert afin qu'ils puissent développer leur propre réflexion sur les changements technologiques nécessaires. Rapidement, il est apparu que la crainte des nouvelles technologies était d'abord le fait de salariés âgés. À la Sacem, la moyenne d'âge atteint 42 ans, mais près des deux tiers du personnel affiche plus de dix ans d'ancienneté. Il faut donc rassurer les collaborateurs, en commençant par les plus réticents : « Les outils informatiques ont été développés avec eux », souligne Claude Gaillard, responsable de la direction sociétaires.

Ce qui n'a pas dissipé toutes les inquiétudes ni balayé toutes les critiques. « Bernard Miyet répète depuis son arrivée qu'il garantit l'emploi mais pas les effectifs. Ça rassure les salariés, mais uniquement sur le court terme. Il y a 235 départs en retraite prévus dans les cinq ans. Combien devront êtres remplacés ? Si l'informatisation engendre des gains de productivité, comme le répète la direction, de quel effectif a-t-on vraiment besoin ? Pour l'heure, nous n'avons aucune réponse », souligne Christophe Lepri, élu du comité d'entreprise et délégué syndical CFDT (majoritaire à la Sacem).

Et pour cause, puisque la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences est en chantier. « La cartographie en cours de nos 135 métiers classés en 42 familles permettra de définir précisément les postes », promet le DRH de la Sacem. Ce qui facilitera les promotions en fonction de compétences réelles et non à la tête du client, comme le reproche en était adressé à l'ancienne direction.

Autre facteur de trouble, le redécoupage des services a suscité des remises en question, de vrais problèmes de territoire et des pertes de pouvoir chez certains cadres. Dépêché par Orga Consultants, Frédéric Grazzini a été chargé de corriger le tir. « Nous travaillons avec eux sur la notion de légitimité. C'est un travail de longue haleine pour les amener à comprendre que diriger 20 personnes de moins, c'est plus efficace. » Catherine Kerr-Vignale, de la direction clients, approuve : « Je dirige une direction très éclatée. On m'a rappelé l'impérieuse nécessité de communiquer avec tous. Car les réticences sont surtout dues à des messages qui sont mal passés. » Pour Frédéric Grazzini, le vrai défi qui reste à relever est de « développer le management autour de pratiques qui fédèrent et impliquent les équipes ». Pour y parvenir, il devra lever les inquiétudes liées au recours important à la sous-traitance et surtout les craintes sur l'avenir de ces chantiers une fois que les consultants seront partis. « Selon un rapport de l'expert-comptable du CE, les prestataires de services représentent la moitié des effectifs de la Dosi », souligne Christophe Lepri, de la CFDT.

5 S'APPUYER SUR LES CADRES INTERMÉDIAIRES

La rénovation de la Sacem ne se fera pas non plus sans l'adhésion des 200 managers de proximité. « Nous leur demandons de s'impliquer dans ces chantiers. Mais, pour l'instant, ils se sentent plus proches de leurs troupes que de la direction générale », reconnaît le DRH. À leur intention, Bernard Miyet a organisé des ateliers en 2004. « Et ça a marché, estime le patron de la Sacem. Ils ont pris conscience que ces changements sont motivants. »

Pour motiver ces maillons essentiels, la DRH ne lésine pas sur la formation et le coaching individuels. Sans oublier une gestion de carrière dynamique. « Si un manager se dit qu'il a une chance d'accéder à un poste supérieur, il va se mouiller », souligne Jacky Bevilis. Des propos qui font sourire un cadre de la direction de la gestion. « Les possibilités d'avancement sont complètement opaques pour nous. Avec les départs à la retraite, il y aura sans doute des places à prendre, mais on soupçonne déjà les jeux de pouvoir. »

Difficile de récompenser la performance individuelle avec le système d'avancement à l'ancienneté instauré depuis l'origine à la Sacem. L'accord salarial de 2002 prévoit ainsi une progression minimale du point par application d'un coefficient de 0,3 sur le pourcentage net d'évolution des perceptions, corrigé de l'inflation. Une savante alchimie favorable aux salariés : en dix ans, le « point Sacem » a évolué de près de 19 %, soit plus de 4 points au-dessus de l'indice Insee sur les revenus des ménages. Un régime difficile à transformer, car « c'est un sujet atomique sur le plan social », reconnaît Bernard Miyet.

« Nous n'avons pas de convention collective mais, pour compenser, nous avons un 14e mois, une prime d'ancienneté qui peut atteindre 25 % du salaire, un intéressement et même des primes de rendement dans certaines régions, rappelle Christophe Lepri. Mais, avec les nouvelles embauches, on compte de plus en plus de salariés en bas de grille. » Mis en évidence par la commission de contrôle des sociétés d'auteurs, le régime des primes est un maquis inextricable. Il y en a une trentaine, dont certaines, attribuées aux salariés des directions régionales, sont calculées sur le montant des perceptions. Il existe également des bonus individuels attribués par le conseil d'administration qui peuvent dépasser 5 000 euros. À coup sûr, pour réussir son opération transparence, Bernard Miyet devra aussi mettre de l'ordre dans la politique salariale de la Sacem.

Entretien avec Bernard Miyet
« Dans peu d'entreprises, les revendications des salariés remontent par le conseil d'administration »

Ce sont les auteurs de chansons à texte, compositeurs de mélodies et autres éditeurs de ritournelles, membres du conseil d'administration de la Sacem, qui sont venus débaucher Bernard Miyet à l'ONU. Les artistes ont ainsi confié les clés de cette maison, vieille de 150 ans, à un diplomate chevronné, négociateur de l'exception culturelle française lors des accords du Gatt en 1993. Cet énarque de 59 ans connaît de fond en comble cette économie particulière puisque, après avoir dirigé la Sofirad, il a été chargé de la communication au Quai d'Orsay auprès de Roland Dumas en 1989. Il incombe à cet ancien secrétaire général adjoint des Nations unies la mission de rénover en profondeur la vénérable société des auteurs. Car le vent du progrès risque d'emporter quelques tuiles : les recettes envolées avec le téléchargement gratuit ou le départ de sociétaires, alléchés par des sociétés d'auteurs étrangères moins gourmandes en frais de gestion.

La Sacem s'apparente-t-elle à une entreprise traditionnelle ?

Oui et non. Ici, le conseil d'administration, composé de nos sociétaires, est omniprésent, contrairement à celui d'une entreprise classique. Il se réunit trois fois par mois et, croyez-moi, ce ne sont pas des créateurs rêveurs et éthérés incapables de lire un compte d'exploitation ou un bilan. Il y a notamment, parmi eux, six éditeurs de musique qui connaissent la réalité des chiffres et les bilans de fin d'année.

En revanche, la gestion, notamment dans sa dimension sociale, est celle d'une entreprise comme une autre. Reste qu'à mon arrivée ici j'ai trouvé une maison un peu opaque, qui suscitait beaucoup de questions. Où va l'argent ? Est-il vrai qu'il n'y a que les grands artistes qui perçoivent des droits ? Or nous sommes aujourd'hui dans un monde de transparence et de lisibilité. Mais la commission de contrôle des sociétés de perception et de redistribution des droits n'a jamais rien écrit de croustillant dans ses rapports.

Socialement, la Sacem a la réputation d'être un employeur généreux…

Les salariés gagnent bien leur vie à la Sacem. Et, parallèlement, les auteurs français dont nous gérons les droits sont parmi les mieux rémunérés au monde. Mais il faut dire que la Sacem a connu la croissance durant plusieurs décennies, ce qui explique le niveau des salaires pratiqués et la forme de paternalisme social qui y a régné. Les rémunérations progressent toujours à l'ancienneté et pas au mérite. Tout cela a un coût.

Comment réagir au piratage sur Internet et à l'ouverture à la concurrence ?

Il faut être performant. On n'a pas le choix. L'Union européenne permet aux sociétaires d'aller là où ils estiment que leurs droits sont le mieux gérés. Le parti pris de la Sacem a toujours été la précision et la rigueur sur la collecte et la répartition des droits versés aux auteurs. Dans d'autres pays européens, ils n'ont pas notre minutie. Nos méthodes sont plus équitables pour les auteurs mais tout cela a un prix. Or, curieusement, c'est moi qui freine les dépenses plutôt que les administrateurs.

Comment résister aux « Sacem » étrangères ?

Si on ne reste pas à un niveau de légitimité forte, il est clair qu'il y aura des transferts d'auteurs. Alors il faut s'adapter et utiliser des outils plus performants. Si demain d'autres sociétés sont capables de tout faire en ligne et que nous en restons au guichet et au papier, nous risquons de ne plus durer très longtemps. Nous étions donc obligés d'en passer par une phase d'informatisation dans laquelle nous sommes engagés. Mais, dans une maison comme celle-ci, un changement d'outil est perturbant, car il intervient après quarante ans de fonctionnement dans une culture interne très stable. Heureusement, il existe un patriotisme d'entreprise assez fort. C'est plus valorisant d'expliquer que l'on travaille dans la musique plutôt que dans les boulons. Mais cet attachement crée un climat passionnel. Dans peu d'entreprises les revendications des salariés remontent par le conseil d'administration. Chez nous, c'est le cas. Du coup, tout le monde doit adhérer au projet de changement pour qu'il réussisse.

À quels changements d'organisation avez-vous procédé ?

J'ai voulu que le directoire soit le lieu d'information et de discussion des choix stratégiques. Pour cela, il a fallu mettre en place des secteurs d'activité plus cohérents et un nouvel organigramme. Ensuite, nous avons introduit un deuxième échelon qui est le comité stratégique opérationnel, réunissant les 17 principaux cadres de la maison. Puis on a mis en place des ateliers de réflexion entre les cadres du siège et ceux du réseau. Parallèlement, un certain nombre d'outils ont été développés, comme l'intranet et le portail. Il a fallu faire comprendre ces nouveaux enjeux aux cadres intermédiaires pour qu'ils puissent mobiliser leurs équipes.

Tous ces changements vont-ils avoir un impact sur les effectifs ?

Je ne prendrai jamais le moindre engagement sur les effectifs. Je le répète à chaque réunion du comité d'entreprise. Mais les choses vont évoluer parce qu'il y aura des départs à la retraite. Évidemment, avec la mise en place de ces outils, nombre de salariés dans les directions régionales se posent la question d'une nouvelle réduction des effectifs. Mais elle n'est pas à l'ordre du jour. Mon prédécesseur avait engagé ces suppressions de postes et je les ai menées à terme. Mais il n'y a pas d'autre plan en vue, d'autant que cette entreprise se porte bien et n'a pas besoin d'intervention chirurgicale. On ne peut pas conduire trop de choses à la fois sur le plan social. Il faut planifier dans la durée un certain nombre d'évolutions pour qu'elles puissent être comprises progressivement.

Propos recueillis par Jean-Paul Coulange et Sylvia Di Pasquale

Auteur

  • Sylvia Di Pasquale