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Repères

L'inacceptable exclusion à l'embauche

Repères | publié le : 01.12.2005 | Denis Boissard

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L'inacceptable exclusion à l'embauche

Crédit photo Denis Boissard

Après trois semaines de violences urbaines, analogues aux émeutes raciales qui enflamment périodiquement certaines grandes villes américaines, le calme est revenu dans les banlieues de l'Hexagone. Dormez en paix, braves gens ! Le risque est grand, une fois l'orage passé, que la vie reprenne son cours comme si rien ne s'était passé… jusqu'à la prochaine explosion. Le retour à l'ordre public, nécessaire, mais qui ne justifiait en rien les propos stigmatisants de Nicolas Sarkozy (racaille : populace méprisable, dans le Petit Robert), ne doit pas masquer la réalité. Non, les jeunes qui brûlent des voitures ne sont pas réductibles au seul qualificatif de délinquants.

Non, cette crise des banlieues n'est pas le simple fait de quelques égarés, mais un symptôme de la faillite croissante de notre modèle d'intégration républicain, une révolte fondée sur un sentiment très fort d'injustice sociale, lequel n'a pas trouvé sa traduction sur le plan politique. Dans cette faillite, l'État a évidemment sa part de responsabilité – politique du logement, réforme du système éducatif –, mais les entreprises et leurs interlocuteurs syndicaux en ont une aussi, au moins aussi importante. Car, devant l'emploi, qui reste de loin le moteur le plus efficace d'intégration, certains enfants de la République sont dramatiquement moins égaux que d'autres.

Prohibées en droit, les discriminations à l'embauche fondées sur la race sont légion dans la pratique quotidienne des entreprises. Pas forcément à cause de préjugés raciaux, mais souvent par confort ou conformisme, la plupart des firmes tricolores se sont dotées d'une population salariale très homogène, beaucoup plus que celle de leurs homologues américaines ou britanniques, très peu métissée, sauf en bas de l'échelle.

À cet égard, les quelques statistiques ou enquêtes existantes sont édifiantes. Selon le rapport 2005 de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles, le chômage des hommes est, à diplôme similaire, deux à trois fois plus élevé dans les quartiers sensibles que dans les autres agglomérations : 15,3 % contre 5,7 % pour les diplômés du supérieur ; 8,9 % contre 4,8 % pour les bac + 2 ; 16,9 % contre 6 % pour les titulaires du bac ou du BEP. Plus accablants encore, les résultats de deux testings réalisés sous la direction de l'universitaire Jean-François Amadieu (Paris I) pour vérifier comment les entreprises sélectionnent les curriculum vitae qu'elles reçoivent. Plus de 1 800 CV fictifs (sur la base d'un CV de référence et de six autres se différenciant simplement par une variable comme le sexe, l'origine ethnique, l'âge, le handicap) ont été envoyés au printemps 2004, en réponse à 258 offres d'emplois de commerciaux. Il en ressort que le candidat maghrébin reçoit à peine 5 % de réponses favorables, soit pratiquement six fois moins que le candidat de référence qui en obtient 29 %. La même opération rééditée au printemps dernier – près de 2 000 CV en réponse à 325 offres d'emploi – révèle qu'une candidate d'origine maghrébine dotée d'un meilleur CV que les autres postulants (major de promotion, succès professionnels chiffrés, encadrement d'équipe) reste fortement discriminée, puisqu'elle obtient trois fois moins de réponses positives que le candidat franco-français.

Cette exclusion insidieuse est moralement inacceptable, mais c'est aussi une absurdité au regard de l'intérêt bien compris de l'entreprise. Outre que la diversité des profils de ses collaborateurs est un facteur évident d'innovation, l'entreprise ne peut se permettre d'ignorer l'environnement dans lequel elle travaille : or, en suscitant des frustrations légitimes, l'exclusion alimente – on l'a vu – une montée de la violence préjudiciable à la bonne marche de l'économie. Qu'attendent donc les DRH pour prendre leur bâton de pèlerin et pour convaincre leur « comex » ou leur « codir » de la nécessité d'ouvrir plus largement la porte de l'entreprise aux jeunes provenant de l'immigration africaine et maghrébine ? Qu'attendent aussi les syndicats pour sortir de leur silence assourdissant et se préoccuper sérieusement d'une question cruciale pour la cohésion de notre société ?

Depuis peu, les choses bougent. Quelque 250 entreprises ont ainsi signé la « Charte de la diversité » impulsée il y a un an par l'Institut Montaigne. Encore faut-il, pour beaucoup d'entre elles, passer des déclarations d'intention aux actes. Ceci en s'inspirant des outils et bonnes pratiques répertoriées dans les rapports Bébéar et Fauroux : mesure de la diversité ; audit, voire testing interne des processus de recrutement ; sensibilisation et formation du management ; anonymisation des CV ; lutte contre les embauches par réseau ou cooptation ; développement du recrutement par simulation…

Par ailleurs, le Medef a pris l'heureuse initiative d'une négociation interprofessionnelle sur la diversité. Souhaitons que les discussions entre Cathy Kopp, DRH du groupe Accor, qui conduira la délégation patronale, et ses interlocuteurs syndicaux soient fructueuses.

Auteur

  • Denis Boissard