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Politique sociale

Mais qu'est-ce qui fait baisser les chiffres du chômage ?

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.12.2005 | Stéphane Béchaux

Demandeurs d'emploi en activité réduite, allocataires radiés des listes de l'ANPE, quinquas dispensés de recherche, mais aussi premiers effets du plan Borloo…L'amélioration des chiffres du chômage s'explique de plusieurs façons. Mais cette embellie tient peu à la création d'emplois.

Mais où sont passés les chômeurs ? Entre juin et septembre, le nombre de demandeurs d'emploi selon la définition du BIT a diminué de près de 100 000 dans l'Hexagone pour s'établir à 2,68 millions. Un repli d'autant plus surprenant qu'au troisième trimestre 2005 le secteur concurrentiel non agricole n'a créé que 8 500 emplois (+ 0,1 %). « On a une perception erronée du marché de l'emploi. Après le trou d'activité du printemps, il est incontestable que la conjoncture s'est raffermie », souligne-t-on pourtant au cabinet du ministre délégué à l'Emploi, Gérard Larcher. Une analyse qui laisse sceptiques certains économistes : « Les chiffres de l'emploi restent, pour 2005, très plats. Il n'y a aucun élément de preuve d'un début de cercle vertueux », estime Jacques-Freyssinet, président du conseil scientifique du Centre d'études de l'emploi.

De quoi nourrir des doutes sur les raisons de cette baisse du chômage, qui coïncide avec l'arrivée à Matignon de Dominique de Villepin. « On n'a pas pris le gouvernement la main dans le sac, mais on ne sait toujours pas pourquoi ça baisse », note Noël Daucé, secrétaire général du SNU - ANPE. Le syndicat, majoritaire dans la maison, réfléchit d'ailleurs à la création d'un observatoire des manipulations statistiques. À la direction de l'Agence, on s'interroge aussi, même si on ne se montre guère loquace. Alors, amélioration factice ou reprise de l'emploi ? Éléments de réponse.

1° Vive les chômeurs en activité réduite !

Lors de la publication mensuelle des chiffres du chômage, les projecteurs se braquent immanquablement sur les « DEFM1 », les demandeurs d'emploi à la recherche d'un CDI à temps plein, ayant travaillé de 0 à 78 heures dans le mois. Au point d'ignorer toutes les autres populations : les catégories 2 et 3 qui, ayant travaillé 78 heures au plus dans le mois, recherchent un CDI à temps partiel ou un contrat temporaire ; les 6, 7 et 8 qui, respectivement en quête d'un CDI à temps plein, à temps partiel ou d'un contrat temporaire, ont travaillé plus de 78 heures dans le mois ; les catégories 4 qui, en stage ou en arrêt maladie, ne sont pas immédiatement disponibles et les DEFM5 qui, le plus souvent en CES, recherchent un autre emploi.

Certes, les DEFM1 représentent les plus gros bataillons, avec 2,38 millions de personnes inscrites fin septembre. Mais se focaliser sur eux revient à embellir les chiffres. Car, si la catégorie 1 est en baisse depuis le mois d'avril, toutes les autres s'affichent en hausse, parfois de façon spectaculaire. « Beaucoup de demandeurs d'emploi affirment, lors de leur inscription, rechercher un CDI à temps plein. Mais quand l'ANPE leur en propose un, ils répondent ne pas être disponibles le mercredi ou préférer des contrats courts. On les sort alors de la catégorie 1 pour les replacer en 2 ou 3. Et ce nettoyage des fichiers, vous pouvez le faire de façon très laxiste, ou très sérieuse », témoigne un ancien cadre dirigeant de l'ANPE. Quelques mois avant son départ, au printemps, de la direction générale de l'Agence, Michel Bernard avait lancé une action en profondeur pour replacer les demandeurs d'emploi dans les bonnes cases. Un travail dont son successeur, Christian Charpy, pourrait avoir profité. De quoi expliquer une part de la baisse des DEFM1, mais pas du chômage. Car l'Insee s'appuie aussi, pour calculer le taux de chômage mensuel au sens du BIT, sur l'évolution des catégories 2 et 3.

Autre explication à l'embellie du chômage, la hausse du nombre de demandeurs d'emploi en activité réduite. Du pain béni pour les statistiques, puisque l'absence totale d'activité figure parmi les trois conditions à remplir pour prétendre au titre de chômeur au sens du BIT. Une heure hebdomadaire de ménage ou un inventaire dans un supermarché suffisent donc pour rejoindre les rangs des actifs en emploi. La précision n'a rien d'anecdotique. Dans les trois premières catégories de demandeurs d'emploi, ceux en activité réduite ont ainsi respectivement crû de 4,1 %, 6,2 % et 21 % entre septembre 2004 et septembre 2005. C'est autant de chômeurs de moins. Même tendance pour les chômeurs des catégories 6, 7 et 8, en hausse respective de 3,6 %, 4,1 % et 11 % sur un an.

2° L'envolée des sorties de fichiers

Traditionnellement, l'« absence au contrôle » constitue le premier motif des sorties de fichiers de l'ANPE, qui ne sont détaillées que pour les DEFM1. Sous cette dénomination se cachent les demandeurs d'emploi qui, n'ayant pas renvoyé leur déclaration mensuelle, se voient rayés des listes. En septembre 2005, l'ANPE en a comptabilisé 163 717 pour la catégorie 1, soit 8 % de plus qu'en septembre 2004. Une hausse significative, qui s'ajoute à celles, spectaculaires, de juin (+ 22 %) et juillet (+ 19 %). Les optimistes y verront les signes d'une reprise économique. La moitié environ des absences au contrôle est en effet imputable à des chômeurs qui, ayant retrouvé du travail, omettent de prévenir l'ANPE. Les pessimistes y liront plutôt la résignation d'un nombre croissant de demandeurs d'emploi. « On ne peut exclure que des chômeurs non indemnisés, découragés par l'absence de perspective de retour à l'emploi, cessent de se déclarer comme tels », explique Jacques Freyssinet. Anticipant un renforcement du contrôle de la recherche d'emploi, certains chômeurs pourraient avoir pris les devants en renonçant à renvoyer leur déclaration mensuelle.

Autre motif de sortie à suivre à la loupe : les radiations dites administratives. Elles concernent les demandeurs d'emploi qui, convoqués par un conseiller ANPE, sèchent le rendez-vous. En mai et juin, dans les semaines qui ont suivi la nomination de Christian Charpy, le compteur s'est affolé, avec des radiations en hausse respectivement de 15 % et 8 % par rapport au même mois de l'année 2004. Des augmentations qui ont fait craindre le début d'une chasse aux chômeurs. Sauf que, depuis, ces radiations sont à nouveau en baisse. En septembre dernier, 37 172 chômeurs de catégorie 1 sont ainsi passés à la trappe, soit 4 % de moins qu'en septembre 2004.

Reste qu'on peut s'attendre à de nouvelles envolées. À partir du 1er janvier 2006, l'ANPE va mettre en place des conseillers référents, chargés de faire des points mensuels avec les demandeurs d'emploi, alors que les rendez-vous sont actuellement semestriels. « On va passer de 17,8 millions à 28 millions d'entretiens par an, ce qui aura un effet mécanique très fort sur les radiations administratives, prévient Noël Daucé. Car, plus vous convoquez les gens, plus il y en a qui oublient de se rendre à ces entretiens, ou ne peuvent pas. »

Dernier motif de sortie à scruter de près, les radiations pour sanction. Il s'agit des chômeurs indemnisés qui, ayant refusé plusieurs offres d'emploi valables ou des formations qualifiantes, se voient priver de leurs indemnités. Des radiations pour l'instant assez rares. En 2002, on en comptait 1 380 par mois. À la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, on se refuse à communiquer les chiffres pour 2003 et 2004. Mais, d'après nos informations, le nombre de sanctions a très sensiblement augmenté, pour se rapprocher des 2 000 radiations par mois. Une tendance qui devrait se poursuivre après la parution, le 2 août dernier, d'un décret instaurant des sanctions financières graduées. « Jusqu'à maintenant, les agents n'osaient pas faire tomber le couperet, car c'était du tout ou rien. Dorénavant, il sera plus facile de radier temporairement un chômeur », estime Noël Daucé.

3° La montée en puissance du plan Borloo

Drastiquement réduit en 2002 avec l'arrivée à Matignon de Jean-Pierre Raffarin, le traitement social du chômage a signé son grand retour début 2005 avec le plan de cohésion sociale de Jean-Louis Borloo. Disparition des CES, des CEC, des stages d'insertion et de formation à l'emploi, des contrats de qualification, d'adaptation et d'orientation ; avènement des contrats d'accompagnement dans l'emploi, des contrats d'avenir, du nouveau contrat initiative emploi dans le secteur marchand… Résultat, une jolie pagaille dans les directions départementales de l'emploi, chargées de mettre en musique les nouveaux dispositifs. Au premier semestre, les bénéficiaires d'emplois aidés dans le secteur non marchand ont vu leur nombre diminuer de 39 000 – essentiellement des CES – tandis que le recul des emplois aidés dans le secteur marchand était plus modéré (− 6 000).

L'hémorragie est aujourd'hui stoppée. Dans le secteur non marchand, le contrat d'accompagnement dans l'emploi, lancé en mai, a atteint son rythme de croisière. En septembre, 20 692 conventions ont été signées. Si le contrat d'avenir se décide enfin à décoller – un vrai flop, pour l'instant, avec seulement 3 450 conventions signées en 2005 –, les entrées dans ces deux dispositifs pourraient dépasser les 300 000 personnes en 2006, dont 100 000 jeunes, comme le prévoit le projet de loi de finances 2006. Le plan Borloo commence aussi à produire ses effets dans le secteur marchand. Les contrats initiative emploi nouvelle formule font notamment le plein. En septembre, près de 12 000 ont été signés, portant leur nombre à près de 40 000, en quatre mois d'existence. Au total, les contrats aidés dans le secteur marchand ont concerné plus de 60 000 nouveaux bénéficiaires en septembre. Trois fois plus qu'en juillet dernier, mais moins qu'il y a un an.

Aux yeux des économistes, la baisse récente du chômage doit donc davantage au plan Borloo qu'à un effet Villepin. « Aucune mesure ne peut agir sur le chômage en moins de trois mois. Pour le contrat nouvelles embauches, il faudra plusieurs mois avant de mesurer l'effet de substitution avec les CDI ou les CDD. Si le chômage baisse, on le doit pour l'essentiel à la montée en puissance du plan Borloo, en particulier dans le secteur non marchand », analyse Jacques Freyssinet. Selon l'OFCE, l'effet des emplois aidés dans le secteur non marchand aura été, globalement, nul sur 2005. Et ils contribueront à diminuer de 38 000 le nombre de chômeurs au sens du BIT l'an prochain.

4° La démographie au secours de l'emploi

Le vieillissement de la population active joue à plein sur les chiffres du chômage. Certes, le robinet des préretraites est quasiment fermé : au mois d'août, un petit millier seulement de salariés âgés ont rejoint les rangs de plus en plus clairsemés des 100 000 bénéficiaires actuels de l'allocation spéciale du FNE, d'une préretraite progressive, d'une préretraite Cats ou de l'Arpe. Mais la source n'est pas tarie. Le départ en retraite avant 60 ans pour les carrières longues a connu un très grand succès. En moins de deux ans, plus de 200 000 salariés en ont profité. Un effet qui, d'après l'OFCE, a contribué à réduire le nombre de chômeurs de 90 000 en 2004 et de 47 000 en 2005.

Autre tuyau pour siphonner le réservoir du chômage, les personnes dispensées de recherche d'emploi (DRE) : bénéficiaires de l'allocation équivalent retraite, de l'allocation spécifique de solidarité de plus de 55 ans, de l'allocation de retour à l'emploi de plus de 57,5 ans… Des demandeurs d'emploi hors catégorie, qui échappent aux statistiques du chômage puisqu'ils ne sont pas tenus de rechercher activement un emploi. Fin août, la France n'en comptait pas moins de 403 921. Un niveau historique pour un mois d'août, quoique très proche du niveau de l'an dernier.

Enfin, le vieillissement de la population active se traduit par une augmentation du nombre de chômeurs qui, malades, cessent leur recherche. En catégorie 1, les sorties pour arrêt maladie ont concerné, en septembre, 16 325 personnes. Si la tendance se poursuit, 180 000 personnes sortiront des listes en 2005, un chiffre en hausse pour la cinquième année consécutive. De quoi expliquer l'augmentation des DEFM4 : les sorties pour stage étant en baisse, l'augmentation de cette catégorie ne peut s'expliquer que par celle des demandeurs d'emploi malades, donc sortis des statistiques du chômage.

N'est pas chômeur qui veut

Mesurer le chômage au sens du BIT ? Un vrai boulot ! Pour le Bureau international du travail, est considérée comme chômeur toute personne qui, sans travail, est disponible et en recherche effectivement un.

Une définition que les pays de l'UE ont précisé. En Europe, un chômeur est donc une personne qui, sur une semaine de référence, n'a pas travaillé ne serait-ce qu'une heure, était disponible dans un délai de deux semaines et a entrepris des « démarches spécifiques » pour trouver un emploi au cours des quatre semaines précédentes.

Une définition… elle-même interprétée par la France qui, contrairement à Eurostat, considère que renvoyer chaque mois à l'ANPE sa déclaration mensuelle constitue bien une « démarche spécifique ». Si l'Hexagone décidait, demain, d'exiger des demandeurs d'emploi des démarches plus actives, plus de 250 000 d'entre eux disparaîtraient immédiatement des statistiques…

Pour mesurer le chômage au sens du BIT, l'Insee s'appuie sur l'enquête Emploi, réalisée en continu. Chaque semaine, 4 000 ménages environ sont interrogés par l'Insee, qui repère les occupants en emploi, au chômage ou inactifs. Un échantillon renouvelé par sixièmes chaque trimestre, qui revient à interroger 200 000 ménages par an. Des réponses données, l'Insee déduit, chaque mois de mars, le taux de chômage pour l'Hexagone au cours de l'année écoulée.

Le taux de chômage publié chaque fin de mois n'est lui qu'une estimation. Car l'enquête Emploi comporte trop peu d'observations mensuelles pour construire des statistiques fiables. Pour ce faire, l'Insee s'appuie sur les évolutions mensuelles des DEFM1, DEFM2 et DEFM3, hors activité réduite, fournies par l'ANPE. Les trois catégories qui, conceptuellement, s'approchent le plus de la définition du chômage du BIT.

Finalement, l'écart entre les estimations mensuelles et les chiffres corrigés est faible. L'an dernier, il ne dépassait pas 0,1 point.

Auteur

  • Stéphane Béchaux