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Enquête

LE GUICHETIER PASSE AU COMMERCIAL

Enquête | publié le : 01.12.2005 |

Exit les métiers de « back-office » et de guichet. Les troupes sont « réorientées client », au prix de lourdes mutations.

Vers la banque sans guichets

Tous commerciaux ! Dans les banques, la tendance est générale : la recherche de rentabilité passe par une consolidation des équipes commerciales au détriment des autres métiers. L'automatisation de certaines tâches rend les postes de back-office obsolètes tandis que les agences réclament de plus en plus de personnel au contact avec les clients. Exemple au Crédit du Nord, où le fonctionnement des agences a été optimisé. « Des études ont été menées sur le taux de fréquentation des services de caisse, explique Alain Bonnet, délégué syndical CFDT de l'entreprise. Lors-que le nombre d'opérations effectuées quotidiennement était inférieur à 50, l'ouverture des caisses a été réduite de moitié. » Les postes libérés ont été ensuite redéployés vers l'activité commerciale. « Dans le même temps, grâce aux nouvelles technologies, nous avons modernisé les postes de travail, souligne Christiane Valteau, directrice de l'ingénierie, du développement et des ressources humaines. Désormais, toutes les opérations (élaboration d'un crédit immobilier, souscription d'un contrat) sont saisies en temps réel par les conseillers. Cela allège le travail administratif qui était effectué en aval. Cette réorganisation de l'activité, poursuit cette responsable, fait évoluer le métier de guichetier vers un nouveau poste de conseiller commercial. »

Les Caisses d'épargne et la BNP vont encore plus loin en automatisant une partie des opérations. « Nous aurons de moins en moins de collaborateurs pour effectuer des versements et des retraits d'argent, précise Raymonde Hebras, du Groupe Caisse d'épargne. Au total, 3 500 personnes vont progressivement glisser sur trois ans vers des fonctions de conseil à la clientèle. » BNP Paribas s'est engagé dans une transformation radicale de ses agences où il n'y a plus aucun traitement manuel d'argent et où les opérations de base sont désormais assurées par des machines. Dépôt d'espèces et de chèques, commande de chéquiers, impression de RIB… La palette des services automatisés a été considérablement élargie. « Cette refonte du réseau nous permet d'accroître la qualité de service, souligne Jean-Paul Perrin, directeur du programme accueil et services. Ce nouvel espace entièrement rénové est désormais accessible de 6 heures à 22 heures et 7 jours sur 7. » Mais seulement pour accéder aux automates en libre-service, car l'objectif de cette modernisation est de réduire la présence des guichetiers. « Cette transformation se réalise à effectif constant, poursuit Jean-Paul Perrin. Selon la taille de l'agence, il reste une ou deux personnes dédiées à l'accueil et à l'utilisation des appareils, tout le reste du personnel des agences est désormais entièrement consacré au commercial. »

Les banques s'arrachent les bac + 2 pour occuper ces postes, mais elles reconvertissent aussi à tour de bras les administratifs. Les Caisses d'épargne ont élaboré un dispositif de tutorat où des commerciaux expérimentés secondent leurs collègues novices dans des entretiens avec les clients. Au Crédit du Nord, les salariés de back-office ont eu le choix entre ce nouveau métier d'assistant commercial et la possibilité de rester au guichet ou bien d'être reclassés dans les services support. « Nous avons été surpris par l'adaptabilité des personnes concernées, peu de salariés ont refusé cette évolution professionnelle », souligne Christiane Valteau, de la DRH. « L'entreprise a bénéficié d'un calendrier favorable, précise Alain Bonnet, délégué CFDT, le contexte démographique avec un nombre croissant de départs à la retraite a diminué le nombre de personnes à reconvertir. Beaucoup de salariés craignaient ce changement professionnel et ne veulent surtout pas être soumis au stress des commerciaux. Si l'entreprise est allée en douceur durant les premiers mois sur les objectifs, aujourd'hui, la pression commerciale s'est accrue. »

Au mois de mars, les salariés d'une agence parisienne ont débrayé contre des objectifs commerciaux qualifiés d'excessifs et une dégradation des conditions de travail. La grogne s'est étendue dans le Nord contre le suivi des objectifs commerciaux. « Ce suivi n'a pas d'autre but que de contrôler le nombre de rendez-vous, la production, les réalisations financières de chacun. On supprime du personnel de back-office et on demande de faire de plus en plus de commercial, encore du commercial, toujours du commercial », détaille avec lassitude un tract syndical. Cette pression sur les commerciaux n'est pas spécifique au Crédit du Nord. « C'est le sujet qui fâche en ce moment, lâche Yves-Marie Joubert, secrétaire du comité central d'entreprise de BNP Paribas. Cette incitation permanente à faire du chiffre est d'autant plus forte que le soutien traditionnellement apporté par le travail des salariés du back-office n'existe plus. »

Cette diminution des métiers administratifs est inévitable. « Dans les pays comme la Finlande, la Suède ou le Danemark, la banque sans agences et par Internet est déjà une réalité », notait la consultante Danielle Kaisergruber dans un dossier sur les chambardements dans les services financiers. Le potentiel de gains de productivité est important. Plus d'un tiers des salariés des banques sont aujourd'hui âgés de plus de 50 ans. Et les activités les plus touchées par les départs à la retraite sont les services administratifs et les fonctions support, où plus de quatre salariés sur dix sont susceptibles de partir d'ici à dix ans.

L'assurance mise sur les centres d'appels

Courteline ne trouverait sans doute plus guère de sujet d'inspiration dans l'assurance. L'employé de bureau, caricaturé en rond-de-cuir, est devenu une espèce en voie de disparition. « Nous sommes confrontés à un double défi, explique Gérard Lobjeois, secrétaire général de l'Observatoire de l'évolution des métiers de l'assurance. Il est d'abord démographique puisqu'un quart des 140 000 salariés du secteur vont atteindre l'âge de la retraite d'ici à 2012. Il est ensuite qualitatif avec un bouleversement du cœur de métier. La notion commerciale est désormais la priorité au détriment de la procédure juridique. »

Signe le plus visible de ces changements d'organisation : les plates-formes de services qui se généralisent à l'ensemble de la profession. Axa France en compte six où les salariés regroupés par petits îlots répondent aux appels de la clientèle et traitent simultanément les demandes sur ordinateur. « Aujourd'hui, plus que la maîtrise de la technique, c'est la dimension relationnelle qui prime. La présence du client se résumait à un nom sur un dossier ; maintenant, grâce aux technologies de l'information et de la communication, la relation est directe. » Et néfaste pour l'emploi administratif. Ce processus d'informatisation industrialise en effet des tâches à caractère répétitif et entraîne la disparition des activités à faible valeur ajoutée. « Si, à terme, l'assurance va connaître un accroissement de postes de cadres et d'experts, ces emplois de non-cadres vont connaître une baisse tendancielle », ajoute Gérard Lobjeois.

Pour l'instant, les entreprises sont confrontées à la nécessité d'adapter les profils existants et organisent une migration massive des salariés de back-office vers des services entièrement tournés vers le client. Chez Axa France, ce programme de reconversion a été contractualisé en 2002 avec une partie des organisations syndicales. « Comment amener des salariés à se reconvertir aux métiers de la relation client ? Cette question de l'accompagnement est au cœur du dispositif Cap métiers, explique Sabine de Chabannes, responsable du recrutement et du développement. Parmi les personnes dont le travail est voué à disparaître, certaines ont parfois plus de vingt ans d'ancienneté et n'ont aucune expérience de la mobilité. Il est primordial de les aider à faire le deuil de leur ancien métier. » L'entreprise a conçu un programme fondé sur le volontariat. Après une campagne d'explication sur les mutations de l'assurance, tous les salariés qui ont décidé de changer de fonction bénéficient d'un accompagnement individualisé. Pour les personnes de plus de 45 ans avec une forte ancienneté, Axa a mis en place un module de dix semaines décomposées en plusieurs étapes : bilan individuel, remise à niveau par la formation, nouvelle orientation professionnelle. « Au moment de s'orienter vers leur nouveau métier, nous avons donné la possibilité à certains salariés d'effectuer des missions ponctuelles afin de tester différentes évolutions, précise Sabine de Chabannes. À l'issue d'une période pouvant aller jusqu'à trois ans, ils font leur choix. »

Depuis le lancement de Cap métiers, 3 000 salariés sur les 12 000 d'Axa France ont bénéficié d'une nouvelle orientation professionnelle. « Ces personnes sont globalement satisfaites de leur nouvelle situation, souligne Maurice Zylberberg, responsable CFDT d'Axa France. Les seuls points négatifs qui nous sont rapportés sont liés à une perte d'autonomie. » Auparavant, les rédacteurs chargés du traitement des dossiers avaient leur propre portefeuille. Aujourd'hui, sur les plates-formes, les dossiers sont dépersonnalisés. « Les prestations sont standardisées, poursuit le syndicaliste. La disparition d'une dimension individuelle et personnalisée de la prestation provoque une perte d'autonomie. L'intérêt du travail semble s'émousser. D'autre part, ces personnels craignent une augmentation des cadences par le nombre de dossiers à traiter. Pour l'instant, nous sommes encore préservés des objectifs en cours dans les centres d'appels. Mais pour combien de temps ? »