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Le projet d'accord sur les seniors est-il satisfaisant ?

Débat | publié le : 01.12.2005 |

Après sept mois de négociations, les partenaires sociaux ont abouti le 13 octobre dernier à un projet d'accord sur l'emploi des seniors qui prévoit notamment la mise en œuvre d'un CDD spécifique de dix-huit mois renouvelable une fois pour des demandeurs d'emploi de plus de 57 ans. Cet texte permettra-t-il, conformément à son objectif, de faire progresser le taux d'activité des 55-64 ans ? Les réponses de trois experts.

« L'une des réserves porte sur le choix de négocier à part sur la pénibilité au travail. »

ANNIE JOLIVET

Chercheuse à l'Ires.

Que les négociations entre les partenaires sociaux aient abouti à un projet d'accord est sans conteste une bonne nouvelle. Pour autant, ce projet laisse une impression mitigée.

Certes, un certain nombre d'affirmations et de thèmes traduisent visiblement l'évolution de la réflexion des organisations patronales et syndicales. Ainsi, il est explicitement posé que le vieillissement de la population active n'a pas d'impact sur la productivité moyenne sur le plan macroéconomique. Les branches et les territoires sont appelés à se mobiliser pour contrecarrer les idées reçues sur le lien entre vieillissement et baisse de la productivité et convaincre les entreprises qu'il existe des marges de manœuvre et des solutions spécifiques. Le projet d'accord fait très largement le tour de différentes dimensions susceptibles de favoriser l'emploi des seniors, notamment via la formation et la gestion des secondes parties de carrière (entretien professionnel de seconde partie de carrière tous les cinq ans à partir de 45 ans, accès au DIF pour les 50 ans et plus, validation des acquis de l'expérience, lutte contre la discrimination en matière d'évolution de carrière), l'amélioration des conditions de travail, l'aménagement des conditions d'emploi, en particulier des horaires. Il met également l'accent sur le retour des seniors à l'emploi, notamment en créant le CDD renouvelable de dix-huit mois pour les plus de 57 ans, dont il a largement été question. En revanche, le projet d'accord suscite des réserves sur deux points. D'une part, le choix de négocier parallèlement mais distinctement sur l'emploi des seniors et sur la pénibilité au travail ne permet pas d'apprécier la cohérence de l'ensemble. Élément déterminant pour le maintien en emploi des seniors d'aujourd'hui et surtout des seniors de demain, l'amélioration générale des conditions de travail, en particulier pour prévenir l'usure professionnelle, relève de la négociation sur la pénibilité. En outre, de la négociation sur l'assurance chômage, qui s'ouvre à peine, dépendent à la fois la définition de dispositifs susceptibles d'aider les chômeurs âgés à retrouver un emploi et l'ajustement de leurs conditions d'indemnisation. Or le nombre de chômeurs âgés en dispense de recherche d'emploi a beaucoup augmenté au cours des dernières années, d'où une forte pression pour la suppression de ce dispositif. C'est d'ailleurs l'une des propositions du rapport récent au Conseil d'analyse économique et de l'OCDE.

D'autre part, l'annonce par le gouvernement d'un plan pour l'emploi des seniors crée une incertitude. Reprendra-t-il uniquement les dispositions du projet d'accord ? Deux questions, notamment, restent en suspens. La dynamisation de l'emploi des seniors passera-t-elle par une déréglementation spécifique, avec le spectre des « emplois vieux » si décriés ? Incitera-t-on au retour à l'emploi par une remise en cause brutale et générale en particulier de la dispense de recherche d'emploi ou par une adaptation progressive au vu de l'évolution des comportements ?

Le projet d'accord actuel est révélateur de la volonté des partenaires sociaux d'agir pour l'emploi des seniors.

Quelles que soient les réserves formulées sur ce texte, le nombre de signataires sera un signe fort de leur engagement sur cette question.

« Non, car il ne remet pas en cause la dispense de recherche d'emploi après 57 ans. »

JEAN-OLIVIER HAIRAULT

Professeur à l'université Paris I (Panthéon-Sorbonne).

Cet accord constitue un pas important pour atteindre l'objectif de Lisbonne d'un taux d'emploi de 50 % pour les 55-64 ans. Il reconnaît dès son préambule qu'il faut rompre avec le passé où « l'âge a été considéré comme un facteur d'ajustement du marché du travail ». Trop souvent, la réduction des effectifs passe par le départ des seniors, préservant ainsi du chômage les 30-54 ans, tranche d'âge qui bénéficie d'un taux d'emploi masculin parmi les plus élevés de l'OCDE. Des revenus d'inactivité généreux en fin de vie active permettent alors de gérer dans la paix sociale les réductions d'effectifs.

Ce pacte social implicite liant les partenaires sociaux a fini par créer une véritable culture de la préretraite qui, en retour, façonne une représentation collective négative des seniors.

Si l'accord du 13 octobre semble reconnaître ce système et ses stigmates, il ne remet pas en cause sa clef de voûte actuelle, la dispense de recherche et les filières longues d'indemnisation pour les chômeurs de plus de 57 ans. Ces dispositifs devraient être rendus conditionnels et réservés aux plus fragilisés. Toutes les expériences étrangères montrent que l'emploi des seniors passe d'abord par une rigueur accrue dans la gestion des cessations anticipées d'activité. Les mesures de sécurisation des parcours professionnels et de retour à l'emploi risquent, sinon, de rester lettre morte.

L'accord est également insatisfaisant parce qu'il ne met pas assez l'accent sur la réforme des retraites. Si le taux d'emploi des 55-59 ans est inférieur de 1,5 point à la moyenne européenne, celui des 60-64 ans accuse un déficit de plus de 10 points en raison d'un âge de la retraite particulièrement bas. Dans un rapport récent pour le CAE, nous avons montré, avec Antoine d'Autume et Jean-Paul Betbèze, que la retraite à 60 ans est un facteur déstabilisant pour le marché du travail des quinquas. La génération proche de la retraite souffre d'un handicap structurel lié à son départ prochain qui décourage tout investissement des et dans les seniors. L'âge de la retraite a ainsi une influence centrale sur l'emploi avant et après cet âge.

Il est donc primordial d'appeler l'État à approfondir la réforme des retraites de 2003, parce que cette dernière, en raison de l'existence de nombreux surcotisants avant la réforme, ne permettra pas d'augmenter significativement l'âge de la retraite avant 2012. 60 ans demeure une référence, comme en atteste la durée maximale du CDD (trois ans) à 57 ans prévue dans l'accord. Des incitations individuelles puissantes à décaler son départ en retraite, bien au-delà des 3 % de retraite supplémentaire par année de report, doivent être mises en place. Le cumul emploi-retraite doit être libéralisé et devenir emblématique de la rupture avec le malthusianisme qui a plombé l'emploi des seniors sans faciliter l'entrée des jeunes dans la vie active. En résumé, l'accord sur les seniors propose des mesures allant dans le bon sens mais qui n'auront d'efficacité que dans un nouvel environnement institutionnel. C'est maintenant à l'État de prendre ses responsabilités.

« Cet accord est volontariste et ouvre des voies pour promouvoir l'emploi des seniors. »

ANNE SONNET

Économiste du travail à l'OCDE*.

Arriver à un accord interprofessionnel pour l'emploi des seniors est essentiel et urgent. Maintenir les seniors au travail et embaucher des demandeurs d'emploi de plus de 50 ans restent des pratiques trop peu répandues dans les entreprises alors que la réforme des retraites de 2003 a prolongé la durée d'activité pour l'obtention d'une retraite à taux plein. L'accord des partenaires sociaux ouvert à signature est-il un bon accord ? La réponse est oui globalement, car cet accord est volontariste et pragmatique et parce qu'il ouvre des voies pour promouvoir l'emploi des seniors.

C'est un pas dans la bonne direction, surtout pour le maintien dans l'emploi des seniors, mais nettement insuffisant pour promouvoir leur embauche. Cet accord est volontariste car il reconnaît qu'il ne faut pas attendre que le choc démographique et que les pénuries de main-d'œuvre annoncées servent de détonateur pour agir. Le message est clair : il faut relever le taux d'emploi des seniors. Seule exception pourtant pour les salariés ayant occupé des emplois pénibles, l'accord propose que les négociations sur la pénibilité traitent des opportunités de rétablissement de la préretraite progressive.

Cet accord est pragmatique car il veut procéder par étapes avec une première évaluation des résultats en termes de taux d'emploi des seniors fin 2007. Mais, pour relever le taux d'emploi des 55-64 ans de 37 % en 2003 à 50 % en 2010 et changer les représentations socioculturelles sur les seniors, les partenaires sociaux reconnaissent qu'ils ne peuvent agir seuls. L'État doit s'impliquer, notamment en lançant une campagne de sensibilisation et en mobilisant plus généralement pour l'emploi.

Cet accord ouvre des voies sur le maintien de l'employabilité des seniors. Retenons particulièrement les entretiens professionnels de seconde partie de carrière à partir de 45 ans, et ensuite tous les cinq ans, qui permettront de voir concrètement les aménagements à apporter pour maintenir au travail chaque senior dans les meilleures conditions. Sécuriser les fins de carrière des seniors est une voie prometteuse. De nombreux pays de l'OCDE préconisent pour cela d'aménager les horaires de travail avec un effet limité sur les droits à retraite à taux plein.

Cet accord apporte en revanche peu d'avancées pour aider au retour à l'emploi des seniors. Un CDD, même aménagé à cet effet, reste peu incitatif pour de nombreux demandeurs d'emploi de plus de 57 ans qui bénéficient toujours de la dispense de recherche d'emploi. C'est particulièrement le cas des plus favorisés d'entre eux qui, avec vingt-cinq années d'activité professionnelle et sans devoir rechercher un emploi, peuvent percevoir une allocation de chômage représentant entre 57 et 75 % de leur dernier salaire avec le plafond le plus élevé des pays de l'OCDE (5 127 euros par mois) pendant trois ans et demi – voire jusqu'à l'obtention d'une retraite à taux plein. Il est urgent que les agences pour l'emploi proposent des mesures innovantes pour aider tout senior dans sa recherche d'emploi.

* Cette opinion exprime les vues de l'auteur et n'engage ni l'OCDE ni les pays membres.

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