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Vie des entreprises

Les moines-soldats du reclassement

Vie des entreprises | ZOOM | publié le : 01.11.2005 | Anne Fairise

Chaque fois qu'un plan de sauvegarde de l'emploi est mis en œuvre, les feux sont braqués sur la direction de l'entreprise, les salariés, les organisations syndicales… Mais on n'entend jamais parler des consultants qui s'efforcent de reclasser les salariés licenciés. Un métier méconnu et difficile. « Liaisons sociales » a donc suivi trois de ces pompiers du social sur le terrain.

Hewlett-Packard, STMicroelectronics, SNCM… Le flux des restructurations ne s'est pas ralenti depuis la rentrée. À chaque fois qu'un tel sinistre se déclenche, les médias donnent la parole aux futurs licenciés, font réagir directions et syndicats. Mais jamais on n'entend la voix des cabinets privés chargés de reclasser le personnel licencié. Ces « pompiers du social » intervenant à la demande des entreprises, alors que souvent la crise n'est même pas éteinte, pour mettre en œuvre le plan de sauvegarde de l'emploi et travailler à la reconversion des salariés. Un métier en plein essor depuis quinze ans mais souvent critiqué par les syndicats pour cause de résultats jugés insuffisants. À l'heure où la question de la labellisation des cabinets est soulevée (voir encadré page 57), Liaisons sociales magazine a suivi trois responsables de cellule de reclassement en région parisienne et en province. Portraits.

Marie-Hélène Vanderschaeghe

« Ne plus être un oiseau de mauvais augure »

D'abord, il y a l'appel d'un responsable qualité inquiet de ne pas avoir reçu sa lettre de licenciement. Puis de l'épouse d'un salarié dont le poste n'est pas supprimé mais qui veut bénéficier du plan social… Le téléphone portable de Marie-Hélène Vanderschaeghe sonne en permanence. La chef de projet de BPI Rhône-Alpes distribue, il faut dire, son numéro à tous les salariés qu'elle accompagne. « Cela les rassure. Mais ils n'en abusent pas. Je ne suis pas assaillie le soir ou le week-end. » Et c'est indispensable quand on suit plusieurs plans sociaux sur deux départements, la Haute-Savoie et l'Ain. Le compteur de sa voiture accuse d'ailleurs 30 000 kilomètres de plus par an.

Ce matin, comme elle le fait deux jours par semaine depuis six mois, elle est à Cluses. Cette fois pour fermer la cellule de reclassement d'une société de composants électroniques et ouvrir l'antenne d'une PME industrielle. « Fiabilité, respect des normes de sécurité, polyvalence » : les murs de son bureau portent encore la trace d'un atelier réalisé avec les ouvrières. « Deux journées ont été nécessaires. Elles n'avaient pas conscience d'avoir des compétences. » Autre contexte, l'après-midi à Annecy, où elle fait le bilan du « point information conseil » ouvert chez un équipementier de ski qui gère ses sureffectifs par des départs volontaires. Inédit, la moitié des candidats veulent créer leur entreprise et suivront une formation spécifique.

« Chaque PSE requiert des solutions adaptées. C'est la richesse du métier », note la quinqua atypique qui garantit 100 % de reclassements ! Du moins que le projet validé avec chaque salarié se concrétise. « Le moins que je puisse faire », plaide-t-elle, dans cette vallée de l'Arve qui se gargarise d'un taux de chômage de 6,5 % et où les activités saisonnières réclament sans cesse des bras. Après sept années de présence dans le bassin d'emploi, cette ex-commerciale qui a navigué dans la grande distribution et le transport avant de bifurquer vers le conseil s'est constitué un solide carnet d'adresses auprès des institutionnels comme du milieu socioéconomique. Voilà justement la responsable formation de la région qui rappelle pour démêler le cas d'une ex-salariée ne trouvant pas de place en CAP spécialisé dans les métiers de la petite enfance.

« Il faut trouver les solutions qui répondent à la fois aux stratégies individuelles, aux possibilités ouvertes dans le PSE tout en respectant les contraintes légales », explique cette femme de réseau. En résumé, mailler les interventions des nombreux acteurs du monde de l'emploi, tuiler les dispositifs, en ayant assimilé la culture de l'entreprise, l'état du dialogue social, le jeu des acteurs… « Nous sommes au service des salariés licenciés mais devons aussi donner satisfaction à la DRH, aux syndicats. » Un rôle d'équilibriste. Il faut savoir refuser au DRH la création d'une commission exceptionnelle pour étudier le cas de… deux candidats au départ s'étant déclarés trop tard. « Il voulait faire pression sur les syndicats. » Ou pouvoir repousser la date d'un licenciement afin qu'elle coïncide avec le début de la formation choisie par la personne licenciée.

Pour Marie-Hélène Vanderschaeghe, le lancement d'une cellule de reclassement s'apparente à une création d'entreprise. « Il faut composer l'équipe de consultants, choisir les locaux, créer une relation de confiance et une dynamique avec les salariés. Après, on fait fonctionner le réseau. » Pour cela, mieux vaut aimer la gestion d'équipe en situation de crise. « Le stress me rend efficace », sourit la chef de projet, qui veut « se défaire de l'image d'oiseau de mauvais augure » collant aux professionnels du reclassement. « Il n'est jamais agréable, lorsqu'on arrive dans une entreprise, de voir les salariés baisser les yeux. » Sa solution ? « Proposer d'autres services : réorganisation, GPEC… » Les syndicats connaissent sa démarche et lui adressent même « des salariés pour un simple dossier de formation continue ». À Cluses, le comité d'entreprise a choisi son cabinet parmi trois, en s'appuyant sur le succès du précédent PSE conduit en 2002. Seules deux personnes, « connues de la commission de suivi », étaient restées sans solution. Mais inutile de parler à Marie-Hélène Vanderschaeghe de reconnaissance. « Est-ce qu'on revoit le chirurgien qui vous a opéré ? Les spécialistes du reclassement représentent une étape difficile de la vie des salariés. Ils ont besoin, ensuite, de nous oublier. » Après quinze ans de métier, elle reçoit pourtant des lettres de cinq ex-licenciés. « Ils me parlent de leur évolution professionnelle et me demandent des conseils »…

Christian Bourgouin

« S'appuyer sur la logique d'équipe »

« Faites gaffe de ne pas rencontrer les douaniers en sortant ! » D'une phrase, Christian Bourgoin, du cabinet Algoé, parvient à arracher un sourire aux anciens ouvriers imprimeurs, assis face à lui, qui cherchent justement à intégrer les douanes. Les sensibilités sont à fleur de peau durant cette matinée consacrée à la préparation de l'entretien d'embauche. Les recommandations déclinées sur écran (éviter une tenue négligée, ne pas prendre de remontant) provoquent de vives réactions. À chaque fois, le responsable de l'antenne de reclassement calme les esprits, et les impatiences. En trois mois, 35 propositions d'emploi ont été recueillies pour 73 candidats à une reconversion dans la fonction publique. Sept seulement ont retrouvé un poste…

À chaque antenne ses particularités. « Ici, c'est la longueur des étapes », note Christian Bourgouin. Le PSE a été négocié pendant plus d'un an. Un établissement privé avec l'État pour seul actionnaire ; un personnel composé de salariés de droit privé et d'ouvriers sous décret susceptibles d'intégrer la fonction publique ; un plan social où le CDI est l'unique condition de sortie : l'antenne, ouverte pour douze mois dans une zone industrielle de Douai, est un cas d'école. À Christian Bourgouin de mettre de l'huile dans les rouages. Les contacts avec les multiples interlocuteurs – l'entreprise, les services centraux et déconcentrés du ministère de tutelle, les administrations proposant des postes – occupent l'essentiel de ses journées de dix heures. Un vrai marathon. « Il ne faut pas se laisser grignoter par la gestion opérationnelle », explique le quinqua, qui se démène pour trouver des postes dans la fonction publique.

Tel est le souhait de la majorité des salariés licenciés. Mais cette reconversion n'est pas aisée : les ex-imprimeurs, bobineurs et pilotes de machines doivent faire le deuil de leur métier, de leurs salaires généreux et de leur statut, « beaucoup se considérant comme des fonctionnaires ». Dans un tel contexte, Christian Bourgouin entend « créer une dynamique forte autour des salariés » afin d'éviter le « syndrome LU », comme dit la profession, en référence au PSE de Danone de 2001. Un plan social en or qui, à force de garanties, avait eu certains effets dés incitatifs à la recherche d'emploi. Pour cette raison, et afin de « rester en phase avec le terrain », il tient à suivre huit salariés. Surtout, il s'appuie sur cinq consultants, présents trois jours par semaine et chargés chacun d'une vingtaine de personnes.

Pour qu'ils forment une équipe, et non pas une « juxtaposition de compétences », Christian Bourgouin leur demande de passer au moins une nuit par semaine à l'hôtel à Douai, où ce Lyonnais réside lui-même durant la semaine, même si ces derniers ne sont qu'à une heure de train de leur domicile parisien. Cela lui permet d'organiser, chaque mardi soir, une réunion pour « échanger, s'épauler, se former ». « La logique d'équipe permet d'affronter tous types de situations », résume-t-il. Y compris le pire, comme les suicides qui se sont produits sur d'autres missions. Surtout, la collégialité permet aux consultants de « garder la bonne distance dans la relation avec les salariés pour les aider à se reconstruire ».

Christian Bourgouin l'avoue : responsable d'antenne de reclassement est « le poste le plus difficile » qu'il ait occupé. À 57 ans, après plus de trente années passées chez Algoé, cet ingénieur de formation a pourtant multiplié les expériences, depuis la maîtrise d'œuvre industrielle jusqu'aux organisations qualifiantes. Mais ce militant associatif de la première heure, cofondateur de l'Apart, un réseau européen de cabinets de consultants chantres du dialogue social, pointe « une méconnaissance complète de la complexité du métier ». Même au sein des professionnels du conseil…

Sylvie Mathieu

« Les DRH sont de plus en plus exigeants »

Inutile de demander à Sylvie Mathieu de décliner sa journée type. « Il n'y a pas de place pour la routine », martèle la consultante du cabinet Altedia, qui vient de boucler dans le délai record de sept semaines, au prix de journées de plus de quinze heures, le plan de départs volontaires de la filiale française d'un géant américain de l'informatique. Pour éviter les licenciements, le groupe n'a pas lésiné sur les moyens. À l'image de l'antenne de reclassement située juste en face du Conseil économique et social, dans le 16e arrondissement de Paris. Une localisation insolite pour cette quinqua « habituée aux zones industrielles ».

L'originalité de la situation n'est pas pour lui déplaire : « Une des qualités essentielles dans ce métier, c'est l'adaptabilité », dit-elle. Elle a eu tout le loisir de mettre ce credo en pratique dans cette antenne, où ont cohabité les services RH de l'entreprise, qui se sont occupés des mesures d'âge, et les consultants extérieurs chargés de valider les projets de départs volontaires. Non sans acrobaties. Arrivée en mai, l'équipe Altedia a dû gérer les impatiences : les conditions exactes de départ n'ont été connues qu'en juin, à la clôture des négociations. Et le nombre de départs en retraite et préretraite a déterminé celui des départs volontaires. Seuls 200 ont été autorisés, alors que plus de 300 projets, validés à 95 %, avaient été examinés. Et il a fallu gérer le nombre fluctuant de candidats, puis adapter en conséquence celui des consultants.

En véritable « chef d'orchestre », Sylvie Mathieu a géré les huit consultants parisiens, ceux s'occupant en province des onze établissements de la société cliente et, enfin, l'équipe chargée du PSE européen. Même foisonnement d'interlocuteurs côté entreprise. L'antenne était à peine ouverte depuis une heure que la DRH s'enquérait déjà du nombre de candidats reçus. « Depuis la loi de modernisation sociale de janvier 2002, les DRH demandent de plus en plus d'éléments chiffrés et la traçabilité des actions dans le suivi des salariés », précise Sylvie Mathieu, qui a tenu deux réunions quotidiennes avec la direction des ressources humaines, outre le comité de validation des demandes de départ. Abonnée aux plans d'ampleur portant sur 500 suppressions de postes, elle préfère ne pas conduire d'entretiens. Car « s'extraire du quotidien, des problématiques personnelles est nécessaire pour avoir une approche analytique ».

Lorsqu'elle s'est tournée, à la quarantaine, vers le consulting, elle a tiré profit de sa bonne connaissance des groupes industriels. Elle a notamment passé seize ans chez Ford France, où elle a achevé son parcours en animant le réseau francilien de concessionnaires. Avant de prendre en main l'antenne parisienne du groupe informatique, elle a piloté celle de Philips à Caen, puis de Mitsubishi à Rennes pendant plus d'un an chacune. Une mobilité possible grâce à « un bon équilibre familial ».

Elle n'a pas eu besoin, ici, d'agir en pompier pour apaiser le climat social. « Les départs volontaires sont vécus moins dramatiquement que les licenciements secs », reprend la quinqua, qui fustige les détracteurs de l'outplacement collectif. « Les salariés qui se sont repositionnés avec succès sont incomparablement plus nombreux que les échecs. Il est facile de se faire l'écho des cas non résolus et d'en imputer la responsabilité à l'entreprise ou au cabinet de reclassement », déplore la consultante, toujours souriante. Une perpétuelle bonne humeur qu'elle s'est déjà vu reprocher par des salariés. Sa parade est toute trouvée : « Cela signifie que je suis confiante. »

Un indice sur l'évolution du taux de reclassement

Va-t-on vers une labellisation des cabinets spécialistes du reclassement externe ? La proposition portée depuis 2002 par les syndicats, CGT en tête, semble prendre corps. La loi sur les licenciements économiques, prévoyant des reclassements personnalisés dans les sociétés de moins de 1 000 salariés, pousse à l'encadrement des cabinets qui les mettront en œuvre avec l'ANPE. Surtout, d'ici à la fin 2005, des réunions sont prévues entre le Syntec Conseil en évolution professionnelle, rassemblant 23 des plus gros cabinets, et les syndicats, qui ont élaboré un cahier des charges. Décidé à communiquer, le syndicat patronal annonce aussi pour 2006 un « indice sur l'évolution du taux de reclassements obtenus par ses adhérents », selon Xavier Lacoste, son président, directeur associé d'Altedia RH.

Car chaque cabinet élabore son propre taux, à partir des « solutions identifiées » dans ses antennes emploi, qui amalgament selon les cas les sorties en CDI, CDD, missions d'intérim, formation et les projets de vie… Le taux de reclassements moyen dépasse rarement les 50 %, expliquait en 2003 Claude Viet, ex-délégué interministériel sur les mutations économiques.

Cette performance est loin d'être à la hauteur des attentes des représentants des licenciés, qui pointent la constitution d'un marché du reclassement à la suite de la vague de plans sociaux depuis 2000-2001.

Si ce microsecteur, concernant les seuls salariés couverts par un plan social, s'est professionnalisé depuis quinze ans, sa croissance a attiré des consultants plus ou moins qualifiés. En France, une cinquantaine de structures, de crédibilité variable, interviennent dans ce domaine.

L'image de ce métier complexe en a pâti. Et des dérives ont pu apparaître. La surenchère commerciale a poussé des cabinets à accepter un paiement à l'acte ou à s'engager sur le plus grand nombre possible d'offres valables d'emploi, même dans un bassin d'emploi très difficile.

D'autres sous-traitent leurs prestations à des consultants moins expérimentés. Les entreprises, dont les services achats négocient les tarifs et imposent des résultats rapides, voire des salaires au résultat, n'ont pas arrangé les choses. De leur côté, les cabinets n'ont pas la partie facile. Leurs résultats dépendent de la situation du bassin d'emploi, du professionnalisme des consultants, de l'« employabilité » des salariés, des moyens engagés par l'entreprise cliente. « Un sentiment de méfiance s'est installé » à leur égard, note Carole Tuchszirer, chercheuse à l'Ires, dans une étude pour la DGEFP, où elle souligne une moindre adhésion aux cellules et une préférence des salariés licenciés pour les mesures passives (primes) « conçues comme un substitut à un reclassement jugé improbable ».

A. F.

Auteur

  • Anne Fairise