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Politique sociale

Retard à l'allumage pour les nouveaux contrats en alternance

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.11.2005 | Anne-Cécile Geoffroy

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Retard à l'allumage pour les nouveaux contrats en alternance

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Financements refusés, entreprises déboussolées, organismes de formation mécontents… Les nouveaux contrats de professionnalisation créés en octobre 2004 pour remplacer les contrats de qualification peinent à décoller. Désormais pilotes du dispositif, les branches professionnelles sont pointées du doigt pour leur rigidité.

L'été aura été gâché pour Camille, qui a pourtant décroché un bac professionnel en communication graphique. Cette jeune fille de 20 ans avait soigneusement préparé la poursuite de ses études supérieures en alternance. « Dès le début de l'année scolaire, en novembre 2004, j'avais réussi à convaincre l'employeur qui m'accueillait en stage de signer un contrat de professionnalisation pour préparer un BTS en communication visuelle. J'étais assurée de pouvoir travailler tout en préparant un diplôme l'année suivante », raconte-t-elle. Mais, en juillet, tous les espoirs de Camille se sont évanouis. L'entreprise l'a en effet rappelée pendant l'été pour lui expliquer que l'Opca dont elle dépendait refusait désormais de prendre en charge le financement de ce BTS. Sans plus d'explications. Depuis, Camille épluche les petites annonces sur le Net et cherche sans relâche un nouvel employeur en faisant désormais bien attention à la branche à laquelle appartiennent les entreprises qu'elle rencontre. Elle vient de s'inscrire à contrecœur dans une agence ANPE de l'Hérault « parce qu'il paraît qu'on a plus de chances de se faire financer une formation en étant chômeur », explique-t-elle sans trop y croire. La jeune fille a tout de même effectué sa rentrée scolaire mi-octobre. Mais si elle n'obtient pas rapidement le précieux sésame, elle devra abandonner ses études.

Un déficit de 25 000 contrats

L'histoire de Camille n'est pas un cas isolé. Depuis la disparition des contrats de qualification et leur remplacement par des contrats de professionnalisation en octobre 2004, conformément à la loi de mai 2004 sur le dialogue social et la formation tout au long de la vie, les jeunes privés de contrat en alternance se comptent en masse. Mais personne, ni au ministère du Travail ni parmi les partenaires sociaux, ne se risque à avancer un chiffre. Le sujet est embarrassant pour un gouvernement dont la lutte contre le chômage est la priorité absolue. Mais aussi pour les partenaires sociaux qui ont décidé de créer ce nouveau contrat dans le cadre de l'accord national interprofessionnel du 5 septembre 2003 et qui se réfugient dans un silence gêné.

Ministre délégué aux Relations du travail, Gérard Larcher a néanmoins tapé du poing sur la table, à la rentrée, en sommant patronat et syndicats de trouver une solution rapide à ces ratés sous peine de puiser d'autorité dans le Fonds unique de péréquation créé en janvier 2005 et alimenté par les recettes non utilisées des organismes paritaires collecteurs agréés ou d'imposer aux Opca interprofessionnels (Agefos PME et Opcareg) de prendre en charge leur financement. Une solution qui hérisse le poil des partenaires sociaux. Ces derniers ont demandé mi-octobre à l'ensemble des Opca un état des lieux précis des contrats refusés pour élaborer leur réponse.

À la rentrée, le nouveau dispositif accusait un déficit de… 25 000 contrats. Alors que plus de 80 000 contrats en alternance ont été signés entre janvier et août 2004, la Dares n'en a recensé que 55 000 (dont 34 443 de professionnalisation) pour les huit premiers mois de 2005. « Le gouvernement de l'époque a fait une erreur de timing en voulant lancer ce dispositif en pleine rentrée scolaire. Les branches n'avaient pas bouclé leur accord sur la formation et la conjoncture n'incitait pas les entreprises à embaucher », note Jean-Claude Quentin, responsable national, chargé de l'emploi et de la formation à FO. Reste que le gouvernement avait fixé un objectif de 180 000 contrats pour 2005… Autant dire mission impossible. Du coup, pouvoirs publics et partenaires sociaux tentent de redorer le blason du contrat de professionnalisation à grand renfort de campagnes de communication, en signant des accords tous azimuts et en lui consacrant un site Internet… Le 29 septembre, 12 grands groupes paraphaient ainsi, avec Gérard Larcher, un accord pour « l'insertion professionnelle des jeunes par le contrat de professionnalisation ». De Carrefour à Accor, en passant par Air France, L'Oréal ou PSA, elles se sont engagées à promouvoir ce contrat dans leur politique RH.

Le rôle des branches renforcé

Ces retards à l'allumage sont directement liés au nouveau dispositif issu de la réforme de la formation professionnelle qui a considérablement renforcé le rôle des branches. Concrètement, il revient à chacune d'elles de définir désormais ses priorités en matière de formation et de choisir précisément les publics prioritaires, les titres, les diplômes et les durées des contrats qu'elles souhaitent financer. « Ce n'est ni plus ni moins qu'une petite révolution, souligne Philippe Bernier, consultant en droit et ingénierie de la formation du cabinet Caraxo. Et les différents acteurs de l'alternance n'en avaient pas pris réellement la mesure, estimant qu'ils pourraient faire du contrat de professionnalisation comme ils faisaient du contrat de qualification. » Or ce nouveau dispositif introduit des concepts nouveaux comme l'individualisation des parcours de formation, qui doit amener à réduire les temps de formation en prenant en compte les compétences réelles de l'individu. « Nous souhaitions par ailleurs mettre fin à une filière de formation initiale bis, rappelle René Bagorski, conseiller confédéral CGT chargé du suivi de la formation continue. Les contrats de qualification, qui étaient à l'origine destinés à des jeunes de niveau CAP et BEP, ont été détournés de leur objectif en se focalisant sur les BTS. Le contrat de professionnalisation doit avant tout profiter à un public sans certification professionnelle reconnue. »

Offre diplômante en baisse

Dans la pratique, l'hégémonie des branches s'est, pour le moment, traduite par une forte diminution de l'offre de formation diplômante proposée aux jeunes au profit des certifications et des titres professionnels. Autre tour de vis, les durées de formation ont baissé de vingt-quatre à six ou douze mois, sauf dérogation. Impossible, dans certaines branches, de financer un bac pro ou un BTS qui demandent plus de mille cent heures de formation. Deux diplômes qui, jusqu'ici, se taillaient la part du lion dans le système de l'alternance. À l'UIMM, par exemple, les organismes collecteurs de la métallurgie, les Opcaim, ne financent plus – officiellement – que les certificats de qualification professionnelle de la branche. Pour l'Opca CGM, organisme collecteur des industries graphiques, un contrat de professionnalisation ne peut pas dépasser douze mois.

Pour les organismes de formation privés qui se sont lancés sur le marché du BTS en alternance, la situation est devenue ingérable. Et ils n'ont de cesse de dénoncer un système qui va obliger les plus fragiles d'entre eux à mettre la clé sous la porte. « On veut tuer l'alternance au profit de l'apprentissage, accuse Florence Dupuis, directrice de l'Ecap, un petit centre de formation en alternance installé à Poissy, en Ile-de-France. L'an dernier, nous avons signé 35 contrats de qualification. Cette année, nous arrivons difficilement à en boucler 20 avec une moyenne de financement de 7,40 euros l'heure alors que la loi fixe le taux horaire à 9,15 euros. Je travaille à perte. À ce rythme-là, je n'ouvrirai pas l'année prochaine. » Même cause, mêmes effets pour Denis Mathieu, directeur du groupe IFC (45 salariés et 6 centres de formation installés dans le Gard, le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône), qui a vu le nombre de contrats signés chuter de 40 %. « Ce sont les jeunes qui plébiscitent l'alternance. Avec cette réforme, on a cassé le contrat de qualification, le dispositif de formation en alternance le moins cher et celui qui insérait le mieux les jeunes sur le marché du travail. » Selon une étude de la Dares réalisée en 2004, deux ans et demi après avoir obtenu un contrat de qualification, 87 % des jeunes sont en emploi. Et le taux de chômage au sein de cette population n'est que de 8 % (celui des jeunes sortis de l'apprentissage s'élevant à 12 %).

« Où est la logique dans tout ça ? »

L'alternance est devenue un véritable maquis pour les jeunes et les entreprises (voir encadré ci-contre). « Il existe 254 branches, sans parler des sous-branches, et autant de contrats de professionnalisation différents, dénonce Xavier Baux, président de la Chambre syndicale des organismes de formation en alternance (Csofa). Ce dispositif est profondément injuste. Les jeunes ne sont plus égaux face à la formation. Selon qu'ils postulent dans une entreprise relevant de telle ou telle branche, leur formation sera ou non financée. »

Des nouvelles règles dont Jean-François, 23 ans, a fait les frais en présentant son dossier de financement pour un BTS Comptabilité et gestion des organisations au Fafiec, l'Opca de la branche Syntec. « Pour moi, il s'agissait d'une simple formalité administrative, rien de plus. Mais l'organisme collecteur a refusé tout net la prise en charge de la formation sans justification précise. Au début, mes interlocuteurs m'expliquaient qu'ils ne finançaient plus les BTS sur deux ans, ensuite qu'ils prenaient en charge uniquement les BTS commerciaux. Et, tout récemment, on m'a indiqué qu'ils finançaient la seconde année pour les jeunes qui redoublaient. Où est la logique dans tout cela ? » interroge le jeune homme.

Ces hésitations traduisent le manque de préparation des organismes collecteurs de branche face à la réforme et l'insuffisance d'informations apportées à leurs entreprises adhérentes. Les partenaires sociaux reconnaissent également à demi-mot qu'ils n'avaient pas prévu que les branches appliquent leurs accords dans un esprit aussi restrictif. « Nous sommes dans une situation où certains Opca ne financeraient plus que les priorités des branches, reconnaît René Bagorski, à la CGT. Or priorité ne signifie pas exclusivité. Rien n'est écrit dans ce sens dans l'ANI ni dans la loi. » « La branche a le droit de définir ses priorités mais cela ne la place pas en censeur de l'entreprise », ajoute Jean-Claude Quentin, de FO.

Du côté des entreprises, et notamment des PME, ces nouvelles règles n'ont pas encore été assimilées et les petits patrons découvrent avec stupeur qu'ils ne peuvent plus recruter des jeunes sous contrat en alternance avec autant de facilité qu'avant alors qu'ils continuent de payer rubis sur l'ongle leur cotisation formation. « La convention nationale de l'immobilier refuse de financer les BTS commerciaux au bénéfice de formations très spécialisées du secteur, constate Guillaume Fleury, responsable de l'agence immobilière CEI Ouest à Nantes, dédiée aux entreprises. J'ai besoin d'un bon commercial, rien d'autre. Ce type d'obstacle coupe un peu l'envie de recruter. » « Ça complique sérieusement la vie de nos adhérents, reconnaît Myriam Baumgartner, responsable de l'antenne Paca de l'Agefos PME. Jusqu'à la réforme, les Opca interprofessionnels avaient la possibilité de financer des formations transversales. Désormais, nous sommes coincés dans une logique de branche. Et, sur le terrain, les petites entreprises ne le comprennent pas. »

Changement de tactique

Les entreprises les mieux armées ont de leur côté changé de stratégie pour continuer à former et à recruter des jeunes. « Jusqu'à l'année dernière, j'étais un fervent adepte du contrat de qualification, reconnaît Hervé Coquet, DRH de la société Favi (spécialisée dans la conception de pièces en alliages cuivreux) et président du groupe Somme de l'ANDCP. L'UIMM finance exclusivement les certificats de qualification paritaire de la branche qui ne nous conviennent pas. Nous sommes donc en train de monter une filière de formation diplômante en apprentissage pour pallier nos futures pénuries de main-d'œuvre. »Quant aux jeunes qui comptaient sur l'alternance pour décrocher un titre d'enseignement, ils vont devoir aussi changer de tactique. Ou bien ils opteront pour l'apprentissage, qui aboutit effectivement à un diplôme, ou bien ils sacrifieront au contrat de professionnalisation qui débouchera, dans la plupart des cas, sur une certification reconnue par la branche qui l'aura financée. Au risque de compliquer, voire de compromettre, une future mobilité professionnelle.

Des contrats à la pelle

À moins de s'offrir les services d'un avocat spécialisé en droit du travail, comment les petites entreprises arrivent-elles à s'y retrouver dans le maquis des contrats de travail ? Car leur liste ne cesse de s'allonger au fur et à mesure que les gouvernements successifs s'attellent au problème de l'emploi des moins qualifiés. « On compte près de 14 types de contrats différents. Je plains les chefs d'entreprise qui doivent embaucher et choisir le contrat le plus adapté ! » ironise René Bagorski, conseiller confédéral CGT chargé du suivi de la formation continue. À l'empilement des contrats de travail aidés s'ajoute la possibilité de les conclure en CDI, CDD, contrat de travail temporaire et maintenant contrat nouvelles embauches.

Dans la seule catégorie des contrats de travail réservés aux jeunes de moins de 26 ans, on trouve par exemple le contrat d'apprentissage, de professionnalisation, le contrat d'insertion dans la vie sociale (Civis) ou encore le contrat jeune en entreprise. Et, pour les employeurs intéressés par ces dispositifs aux finalités variées, le législateur a fixé des conditions d'âge, de niveau de formation ou d'absence de qualification parfois identiques d'un contrat à l'autre. Un ordonnancement qui nuit à leur lisibilité. Les contrats de professionnalisation n'échappent pas à cette tendance. À l'origine il s'agissait de clarifier les contrats en alternance et de rendre le système plus cohérent. « Je jette l'éponge, s'énerve cet expert-comptable qui, en plus de vérifier les comptes de ses entreprises clientes, les conseille parfois dans le domaine du droit du travail. Allez expliquer au gérant d'une TPE qui souhaite embaucher et former deux jeunes en contrat de professionnalisation qu'il n'a pas le droit de le faire car la loi stipule qu'à un contrat de pro doit correspondre un salarié pour que le jeune soit correctement encadré. En revanche, il a la possibilité de recruter deux jeunes, l'un en contrat de professionnalisation, l'autre en contrat d'apprentissage ! » Cherchez l'erreur.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy