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Politique sociale

Plaidoyer pour le bien-être au travail

Politique sociale | BONNES FEUILLES | publié le : 01.11.2005 |

Il est impératif de « changer le travail », estiment Henri Rouilleault et Thierry Rochefort, respectivement directeur général et responsable du département synthèse et international de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), qui plaident pour une démarche concertée : la seule façon de conjuguer performance économique et cohésion sociale.

Viser la qualité de vie au travail

« Depuis les années 80, l'avènement d'une économie de la qualité et de l'innovation adaptée à la diversité des besoins des clients, la concurrence exacerbée par la mondialisation, le poids accru des actionnaires dans le nouveau capitalisme financier, créent les conditions d'une plus forte variabilité de l'activité économique et de l'emploi. Les nouvelles formes d'organisation du travail ont, dès lors, des effets contradictoires pour les salariés.

D'un côté, elles renforcent la nécessité de mobiliser des compétences techniques, relationnelles, et des capacités d'adaptation. De l'autre, l'intensification du travail engendre de nouveaux risques professionnels comme les troubles musculosquelettiques et psychosociaux. Ainsi, les enjeux liés aux questions d'organisation se complexifient. Réactivité et innovation supposent souvent le recours à différentes formes de flexibilité (volume de l'emploi, polyvalence, temps de travail, éléments de rémunération…). Mais ces différentes formes de flexibilité, les rigidités qu'elles induisent, les effets de leur combinaison, sont à questionner, à négocier, au cas par cas, en vue d'une optimisation. Après la critique du taylorisme lors des conflits des années 1968-1975 et depuis le développement des démarches qualité et management par projets dans les années 80-90, les compétences des salariés sont plus souvent reconnues par les employeurs comme source de progrès, permettant de réduire les dysfonctionnements, de mieux gérer les aléas, d'améliorer les produits, les processus de production et les conditions de travail. Mais la négociation doit aussi porter sur le développement et la reconnaissance des compétences, une gestion des ressources humaines favorisant l'employabilité tout au long de la vie professionnelle, un effort accru de prévention des risques professionnels et l'amélioration du bien-être au travail, l'association des salariés à la définition et à la mise en œuvre des projets de changement… »

Des règles du jeu à réinventer

« La troisième révolution industrielle, la mondialisation, la transition démographique font pourtant monter les enjeux pour les entreprises comme pour les salariés, confortant l'importance du changement concerté. Les enjeux du dialogue social se complexifient :

• Les objets à négocier tendent à devenir de plus en plus multidimensionnels. Ils posent un problème d'expertise des salariés à mobiliser et de légitimité des signataires d'accords globaux qui impliquent des contreparties réciproques : aménagement et réduction du temps de travail, réduction du temps partiel contraint de certains et partage des contraintes de variabilité de l'activité entre tous…

• Les risques professionnels évoluent aussi. Si les accidents du travail reculent tendanciellement, ils sont plus fréquents chez les jeunes et les nouveaux embauchés. Les risques multifactoriels, comme les troubles musculosquelettiques et psychosociaux, progressent. Les risques professionnels croissent avec les risques environnementaux et sanitaires, alors que les acteurs sont souvent cloisonnés. La charge mentale, cognitive (gestion de la diversité) et psychique (risque de se tromper, peur des conséquences), devient essentielle au côté de la charge physique et des contraintes d'environnement. Elle est au croisement des questions de santé, d'emploi et de compétences, et d'organisation, ce qui implique une approche pluridisciplinaire surmontant la division des tâches fréquentes entre les experts internes et externes, les représentants du personnel, spécialistes de ces différentes questions. Il en va de même sur la relation entre âge, travail et parcours professionnels. Ce sujet rejoint les préoccupations de l'État (reculer l'âge de cessation d'activité), des salariés (travailler dans de bonnes conditions tout au long de sa vie professionnelle, éviter le risque d'exclusion lié à la montée des compétences requises) et des entreprises (accroître l'employabilité, assurer efficacement la relève des générations). Une approche à plusieurs dimensions […] est alors à imaginer et à négocier.

Face à ces enjeux cependant, la situation du syndicalisme est inconfortable, particulièrement en France du fait des spécificités de notre système de relations professionnelles. L'équilibre des intérêts entre employeurs et organisations syndicales est rendu plus difficile par les mutations en cours : à la faveur des restructurations, du développement des activités de services et de l'externalisation de certaines fonctions, l'époque des “forteresses ouvrières” des grands établissements industriels fortement syndiquées est révolue ; c'est dans les PME et les métiers tertiaires d'employés et de cadres, où le syndicalisme est traditionnellement moins implanté, que l'emploi se développe. Les organisations syndicales sont très conscientes de cette situation qui nécessite une évolution de leurs pratiques et de nouvelles modalités de dialogue social.

• Les préoccupations des dirigeants et les centres de décision s'éloignent de la France, du fait de la croissance multinationale des entreprises françaises et des implantations et acquisitions des firmes étrangères. Le capital industriel et financier s'internationalise beaucoup plus vite que le travail et le syndicalisme. Compte tenu des différences des cultures nationales et des cultures d'entreprise, l'hybridation des cultures et la cohésion des équipes ne vont pas de soi. De la même façon, l'union des salariés et des représentants du personnel est un enjeu pour les comités de groupe européens ou mondiaux.

• Les collectifs de travail ont tendance à éclater. Un même salarié est rattaché à plusieurs collectifs dans des structures matricielles, facteur d'autonomie mais aussi de perte de repères. L'intérim, les CDD, développés face à la variabilité de l'activité et à une compétition accrue, réduisent les solidarités. Dans certains cas, les salariés sont vraiment à la recherche de leur “véritable employeur”. L'enjeu est de rapprocher le périmètre du dialogue social de celui de “l'entreprise réelle”. C'est le cas lorsque, les marges de manœuvre d'une entreprise sous-traitante étant très réduites du fait des contraintes imposées par le donneur d'ordres, la transformation du contrat de travail suppose de modifier le contrat commercial. C'est aussi le cas dans certaines entreprises franchisées. C'est encore le cas d'une autre façon lorsque aucune des sociétés d'un même groupe n'excède volontairement le seuil de 50 salariés nécessaire à la mise en place d'un comité d'entreprise obligeant à demander la reconstitution par le juge d'une unité économique et sociale.

Autre difficulté, la relation des syndicats aux salariés se transforme. Avec l'entrée sur le marché du travail de salariés plus qualifiés et la montée de l'individualisme, l'articulation entre l'individuel et le collectif doit se transformer. Sur de nombreuses questions, un double niveau de “négociation” doit se développer : celui des règles collectives qui relève du dialogue social et celui de l'usage de ces règles par chacun des salariés, qu'il s'agisse de prise de jours de RTT, de passage entre temps complet et temps partiel, d'âge et de modalités de départ en retraite, de droit individuel à la formation. Les organisations renforçant l'autonomie des salariés pour faire face à la complexité ne peuvent se gérer comme les organisations tayloriennes. De la même façon, le syndicalisme doit prendre en compte une place nouvelle de l'individu dans la société, dans l'entreprise, et en son sein. Faute de le faire, le risque est grand d'une vision qui réduirait les relations sociales à la somme de négociations avec les individus, en omettant la dimension collective… »

Pour une performance globale, économique et sociale

« Compétitivité, emploi, rémunérations, conditions de travail, il y aurait conflit sur les priorités ! Conflit entre les parties prenantes concernées par le travail et l'emploi, directions d'entreprise, organisations syndicales et pouvoirs publics :

• Pour les employeurs et leurs représentants, dans un environnement de plus en plus concurrentiel et en changement rapide, l'enjeu majeur, c'est celui de la compétitivité, avec pour corollaire la maîtrise des coûts et la baisse des charges sociales et fiscales. L'emploi et le travail sont alors des résultantes.

• Pour les salariés et leurs représentants, la priorité est au maintien de l'emploi dans les secteurs exposés à la concurrence internationale, et aux salaires dans les secteurs abrités marchands et non marchands. Les conditions de travail sont alors traitées comme une préoccupation spécialisée, renvoyée au CHSCT.

• Pour les pouvoirs publics nationaux, la priorité, c'est l'emploi, notamment l'insertion des demandeurs d'emploi, et l'anticipation et la gestion des restructurations et de leurs conséquences dans les bassins d'emploi. La question du travail est peu présente dans les politiques publiques.

L'amélioration des conditions de travail a été, avec le développement de la formation professionnelle et celui de la politique contractuelle, l'un des piliers de la perspective d'“une nouvelle société” qu'appelaient de leurs vœux Jacques Chaban-Delmas et Jacques Delors, au lendemain de 1968 et en situation de plein-emploi. À présent dans le contexte de la mondialisation et de la persistance d'un chômage de masse depuis trente ans, l'amélioration des conditions de travail constitue-t-elle une priorité dans notre pays et pour qui ? Si, pour les employeurs, la première priorité est la compétitivité, et pour les syndicalistes et les responsables politiques l'emploi, d'autres points de vue se développent. […]

• De nombreux employeurs sont convaincus que la performance se joue à moyen terme et pas sur les résultats trimestriels, non seulement sur la maîtrise des coûts, mais aussi sur la création de valeur par l'innovation, de nouveaux biens et services adaptés à la diversité des besoins de la clientèle, sur la qualité, les délais, la fiabilité des processus, le service. D'où l'accent mis sur l'innovation participative, la flexibilité interne, la polycompétence de salariés motivés et en bonne santé, plutôt que sur la flexibilité externe par les contrats précaires ou le temps partiel contraint. Cette perspective n'est pas incompatible avec l'externalisation de certaines fonctions, pour autant que la coopération, en production et en conception, fonctionne entre cotraitants.

Elle appelle un dialogue social créateur de nouveaux repères :

• De nombreux responsables syndicaux, au sein des confédérations françaises et de la Confédération européenne des syndicats, sont conscients du risque des stratégies purement défensives, de la nécessité d'anticiper les mutations, de mettre en débat les alternatives, de faciliter les transitions, d'avoir une approche proactive et concertée du changement.

• De nombreux acteurs publics, au niveau de l'État, des régions et des bassins d'emploi, sont conscients que les entreprises innovantes se développent en réseaux, électroniques mais aussi locaux. D'où l'importance des partenariats public/privé dans les systèmes productifs locaux ; d'où l'importance de la gestion des emplois, des âges et des compétences, et des efforts visant à résorber les difficultés récurrentes de recrutement. […]

Une convergence de préoccupations est possible. Le dynamisme de l'économie et la pérennité de la cohésion sociale ne se jouent pas seulement au plan macro des réformes, souvent conflictuelles, de la protection sociale, de la fiscalité et du droit du travail. Ils se jouent aussi au plus près du terrain, avec des entreprises plus innovantes et attractives, des emplois de qualité, des territoires plus solidaires. Cela repose sur la reconnaissance mutuelle et l'équilibre des intérêts, la recherche d'un diagnostic partagé, la mise en œuvre de plans d'action concertés, leur suivi et leur évaluation. Entre le changement venu d'en haut et le repli défensif sur le statu quo, il y a une troisième voie. Les salariés français se plaignent non seulement d'un des taux de chômage les plus élevés parmi les grands pays développés, des difficultés d'insertion des jeunes, de l'augmentation de la précarité, mais aussi de façon croissante de leurs conditions de travail. Changer le travail dans les entreprises, et le faire ensemble, est un impératif, pour la cohésion sociale, mais aussi pour la performance globale, et à travers elle pour l'emploi. »