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Vie des entreprises

À propos du licenciement des représentants du personnel

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.10.2005 | Jean-Emmanuel Ray

Pour licencier un représentant du personnel, l'employeur doit invoquer une « faute d'une gravité suffisante » ou un motif économique. Dans des arrêts récents, le Conseil d'État illustre cette notion de gravité suffisante, précise la portée du contrôle de l'inspecteur en cas de transfert d'activité et délimite l'étendue de l'obligation de reclassement.

Entre la loi en faveur des PME du 2 août 2005 qui a discrètement doublé la durée de leur mandat, l'ordonnance du même jour sur le « contrat nouvelles embauches », ce CDI à durée très indéterminée qui n'exclut cependant pas un éventuel délégué du statut protecteur, et la loi pour la modernisation de l'économie du 26 juillet qui, en transposant la directive du 8 octobre 2001 sur l'implication des travailleurs dans la nouvelle « société européenne », a créé de nouveaux salariés protégés (art. L. 439-47 nouveau), les représentants du personnel reviennent sur le devant de la scène. Pour sa part, le Conseil d'État ne reste pas inactif s'agissant de la nécessaire autorisation de licenciement, même s'il se prononce entre quatre et huit ans après les faits.

1° Licenciement d'un délégué pour faute

Remarquable stabilité depuis 1976 : l'inspecteur du travail doit ici rechercher l'existence d'une « faute d'une gravité suffisante, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, et des exigences propres à l'exécution du mandat dont il est investi ».

a) Séquestrer un cadre ou « le retenir pour négocier » ?

L'arrêt du Conseil d'État du 11 février 2005 constitue apparemment un classique du genre. À l'occasion d'un conflit collectif, un délégué syndical, à la fois DP, membre du comité d'établissement et du CCE, prend « une part personnelle et prépondérante aux agissements d'un groupe de salariés qui ont abouti à retenir le directeur de l'établissement dans son bureau, et n'a eu aucun rôle modérateur dans le déroulement des événements ; la faute ainsi commise, qui a excédé l'exercice normal des mandats dont il était investi, était suffisamment grave pour justifier son licenciement ». Même si le vocabulaire syndical a créé l'expression « retenir pour négocier », une séquestration n'est jamais acceptable : il est logique que le Conseil rappelle cette règle de base d'un État de droit, où le mobile n'a aucun droit. Là où nouveauté il y a peut être, c'est que finalement il entérine le refus d'autorisation : l'intéressé « étant l'unique délégué syndical de l'établissement, il existait un intérêt général à son maintien dans l'entreprise compte tenu de la situation sociale constatée et de ses multiples mandats ; cette décision ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts de la société Saméto Technifil ». Or, jusqu'à présent, le Conseil, soucieux d'exemplarité à l'instar de son contentieux de la Fonction publique, censurait systématiquement les refus de certains inspecteurs du travail – souvent localement sous influence – invoquant in extremis l'intérêt général pour sauver un représentant du personnel ayant manifestement dépassé les bornes : s'agissant de très graves délits visant des personnes, un tel refus portait forcément une atteinte excessive aux intérêts de l'entreprise ou de l'encadrement. Sans doute, en l'espèce, la séquestration n'était pas avérée ; et il est vrai que l'on voit parfois des demandes d'autorisation où Gérard Depardieu accuse Muriel Robin de séquestration à elle toute seule.

b) Harcèlement et licenciement d'un représentant du personnel

Au-delà du harcèlement moral et parfois mutuel auquel se livrent délégués et DRH, deux arrêts du Conseil d'État du 20 avril 2005 fixent les conditions dans lesquelles les inspecteurs du travail, méfiants à tout point de vue et à juste titre sur le délicat sujet du harcèlement sexuel, peuvent délivrer une autorisation fondée sur ce motif.

Dans l'arrêt société IMS, le délégué se voyait reprocher un « comportement généralement ambigu et parfois indécent à l'égard du personnel féminin », y compris à l'égard de femmes de ménage d'un sous-traitant. Alors que, pour la cour administrative d'appel, « si regrettable que soit ce comportement, il n'est pas de nature à constituer une faute d'une gravité suffisante », le Conseil d'État casse : « Il est établi que le salarié a fait à plusieurs reprises des remarques déplacées puis des avances à une employée de la société chargée du nettoyage des locaux ; ce récit ainsi que le comportement généralement ambigu de l'intéressé à l'égard du personnel féminin ont été corroborés par des témoignages concordants ; ces agissements constituent une faute d'une gravité suffisante pour justifier une mesure de licenciement », le délégué devant verser 4 500 euros à la société. Et le Conseil d'ajouter que « le défaut de confrontation entre les témoins et l'intéressé n'est pas de nature à établir l'absence d'objectivité de l'enquête de l'inspecteur du travail et à entacher d'irrégularité la procédure suivie ». Pas de confrontation obligatoire, donc, mais respect du contradictoire, comme l'énonce le second arrêt. Dans l'arrêt société Senior du même jour, le Conseil précise en effet que « le caractère contradictoire de l'enquête de l'inspecteur du travail impose d'informer le salarié concerné de façon suffisamment circonstanciée pour lui permettre d'assurer utilement sa défense, notamment en lui communiquant l'identité des personnes qui auraient été victimes des agissements qui lui sont reprochés ». Pour éviter toute éventuelle cabale, l'inspecteur doit donc révéler au fautif (qui doit un peu s'en douter) l'identité des présumées harcelées, « sauf si la révélation de l'identité de ces dernières peut occasionner des conséquences dommageables » : conjugales, par exemple.

c) Utilisation personnelle des fonds du CE

L'été 2005 a révélé les facéties du secrétaire du conseil d'entreprise de Volkswagen (ex. : petit voyage en Inde et entre amis à 100 000 euros), sa démission fin juillet ayant entraîné celle de Peter Hartz, le très médiatique DRH proche de Gerhard Schröder. Si le budget des comités d'entreprise français est rarement comparable, la tentation demeure. Si la chambre criminelle n'hésite pas à condamner pour abus de confiance secrétaire et trésorier auteurs de virements improbables (Cass. crim., 10 mai 2005), la chambre sociale se refuse à y voir un motif de sanction ou de licenciement puisque, par définition, le détournement intervient dans le cadre du mandat et non pas du contrat. Toujours soucieux d'exemplarité, le Conseil d'État n'adopte pas une position aussi tranchée : « Même si elle a été commise en dehors de son activité professionnelle, la faute qui a des répercussions sur le fonctionnement de l'entreprise peut être de nature à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise eu égard à la nature de ses fonctions. » (Cass. soc., 17 octobre 2003, à propos d'un trésorier ayant détourné 1 500 euros.) Solution reprise le 4 juillet 2005 à propos d'une trésorière ayant curieusement refusé de transmettre les comptes à son successeur : « Les faits reprochés n'ayant pas été commis à l'occasion de l'exécution de son contrat de travail par l'intéressée, membre réélue du comité d'entreprise, l'inspecteur du travail devait préalablement vérifier si son maintien dans l'entreprise était impossible eu égard à ses fonctions professionnelles d'agent de fabrication. » Et comme il ne ressortait pas du dossier que « son comportement aurait eu pour but de dissimuler des détournements de fonds », le juge annule l'autorisation alors que, jusque-là, les trois niveaux successivement saisis par la déléguée y avaient tous vu une faute d'une gravité suffisante. Qu'en pensent les salariés concernés ?

2° Licenciement pour motif économique

Sur ce motif qui représente plus des deux tiers des demandes, les inspecteurs du travail autorisent en moyenne neuf licenciements sur dix demandés par les entreprises : ce qui leur est très vivement reproché par certains syndicats. Mais que peuvent-ils faire d'autre lorsqu'il s'agit de la fermeture définitive d'une PME de 20 salariés, entraînant le licenciement de son délégué du personnel titulaire et de son suppléant ? Doivent-ils opérer une discrimination positive, en cherchant à maintenir dans l'emploi un protégé alors que tous ses camarades du service figurent sur la liste des départs ou du transfert ?

Le point essentiel que l'inspecteur contrôle n'est pas celui des difficultés économiques ou de la sauvegarde de la compétitivité (Cass. soc., 4 juillet 2005, contrôle au niveau du secteur d'activité du groupe), sur lesquelles le Conseil d'État se montre beaucoup moins ambitieux – plus réaliste – que la chambre sociale.

a) Autorisation administrative en cas de transfert partiel d'activité

En raison de nos restructurations permanentes, de plus en plus nombreuses sont les demandes d'autorisation non pas de licenciement, mais de transfert de salariés protégés d'une entreprise à une autre. Elles donnent lieu à de multiples confusions.

• Le contrôle de l'inspecteur du travail est ici logiquement limité à une éventuelle discrimination visant au départ discret et en douceur d'un taux inhabituel de délégués. C'est d'ailleurs par ce ratio que commence l'inspecteur (taux de RP dans l'entreprise/taux de RP dans le projet de transfert).

• Puisqu'il n'y a aucun licenciement, il est exclu qu'il contrôle les raisons économiques du projet patronal ou le respect de l'ordre des licenciements, qui n'appartient qu'à l'autorité judiciaire (Conseil d'État, 4 juillet 2005).

• « L'autorisation entraînant de plein droit le transfert du représentant du personnel », le Conseil d'État rappelle le 27 juin 2005 qu'une demande de suspension de celle-ci devant le juge des référés administratif est sans objet puisque l'autorisation de transfert avait été notifiée et exécutée.

• Mais si l'employeur s'aperçoit de son oubli et demande l'autorisation après le transfert de l'activité, l'inspecteur du travail doit la refuser (CE, 15 juin 2005).

b) Obligation de reclassement urbi et orbi et principe de réalité

Même si « la fidélité est une bien curieuse qualité car elle ne profite qu'à une seule personne » (Sacha Guitry), il ne paraît pas inéquitable qu'une société doive d'abord proposer à ses collaborateurs menacés de licenciement tous les postes vacants. Et spécialement aux représentants du personnel, bien connus localement des autres employeurs et qui auront de grandes difficultés à retrouver du travail ailleurs. Le juge administratif se montre donc extrêmement attentif à l'obligation de reclassement, où les entreprises témoignent rarement d'un volontarisme excessif.

Par son revirement du 4 février 2004, le Conseil d'État avait fini par élargir l'obligation de reclassement au-delà du territoire national, semblant ainsi s'aligner sur la chambre sociale. Cependant, pragmatique comme à son habitude et prenant en compte la mobilité bien connue des salariés français par ailleurs brillants polyglottes, il avait aussitôt précisé que proposer un poste à Francfort ou à Bucarest ne s'imposait que « pour ceux des salariés ayant manifesté, à la demande de l'employeur, leur intérêt de principe pour un reclassement à l'étranger ».

Mais, dans son arrêt du 13 avril 2005, il a rappelé que cette légitime possibilité de présélection était limitée au reclassement à l'international. Quels que soient les desiderata officieux du salarié, l'employeur doit d'abord lui proposer tous les postes disponibles : « Si, pour juger de la réalité des offres de reclassement, l'inspecteur du travail peut tenir compte de la volonté exprimée par le salarié, lorsqu'il s'agit d'un reclassement sur le territoire national, l'expression de cette volonté ne peut être néanmoins prise en compte qu'après que des propositions de reclassement concrètes, précises et personnalisées ont été effectivement exprimées, et à condition que l'information du salarié soit complète et exacte. » La circonstance que l'intéressée avait indiqué ne pas souhaiter un reclassement à Paris est sans incidence sur l'obligation qu'avait l'entreprise de lui faire une proposition de reclassement.

FLASH

Arrêts Perrier : le retour

Qu'il s'agisse de résolution judiciaire ou de transaction, certaines entreprises continuent à penser qu'il existe encore des possibilités de rupture permettant d'éviter la saisine de l'inspecteur du travail. Deux arrêt récents nous rappellent les arrêts Perrier du 21 juin 1974 : interdiction du contournement du « statut exceptionnel et exorbitant du droit commun » des représentants du personnel. Depuis ces arrêts repris par l'assemblée plénière le 28 janvier 1983, il est acquis que l'employeur ne peut demander la résolution judiciaire du contrat de travail d'un délégué. Mais le délégué lui-même, ne voulant pas prendre la responsabilité d'une prise d'acte aujourd'hui risquée ? Alors que la chambre sociale la lui avait également interdit le 31 janvier 2001, elle a reviré le 16 mars 2005. Invoquant harcèlement et déroulement de carrière discriminatoire, un délégué demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Croyant être dans la ligne, la cour d'appel avait énoncé que « la rupture du contrat de travail d'un salarié protégé obéit à une procédure d'ordre public absolu, qui s'impose à tous, même au salarié protégé dans l'intérêt exclusif de son mandat de représentation de la collectivité des travailleurs ». Revirement et donc cassation : « Si la procédure de licenciement du salarié représentant du personnel est d'ordre public, ce salarié ne peut être privé de la possibilité de poursuivre la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquement, par ce dernier, à ses obligations. »

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray