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Repères

Les vertus du capitalisme familial

Repères | publié le : 01.10.2005 | Denis Boissard

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Les vertus du capitalisme familial

Crédit photo Denis Boissard

Douche froide pour les salariés grenoblois de Hewlett-Packard. Malgré une santé florissante –des bénéfices en hausse de 38 % en 2004, à 3,5 milliards de dollars ; une trésorerie de 14,5 milliards de dollars –, le constructeur informatique californien s'apprête à supprimer 10 % de ses effectifs dans le monde, dont 1 250 en France, soit le quart des postes de l'Hexagone.

Pour améliorer encore sa rentabilité et son cours de Bourse, H-P, naguère considéré comme un modèle d'entreprise sociale, taille dans ses coûts en se désengageant des pays à hauts salaires pour investir et produire moins cher dans les pays émergents.

À l'autre bout de la France, Armor Lux, une PME textile quimpéroise (lire notre « Méthode » p. 38 à 42), se bat dans un secteur sinistré – plus de 150 entreprises ont déposé leur bilan depuis le début de l'année, dont Tissage de Picardie, la société de Guillaume Sarkozy, il y a quinze jours – pour préserver coûte que coûte les emplois et ses deux sites de production hexagonaux.

Tout se passe comme si deux types de capitalisme coexistaient désormais. Un capitalisme à l'anglo-saxonne – celui de bon nombre de groupes cotés – dans lequel les financiers ont souvent pris le pouvoir sur les stratèges. Des entreprises privilégiant, faute d'imagination, une gestion par les coûts plutôt que par l'innovation, où l'obsession des résultats à court terme finit par faire oublier les fondamentaux de moyen et long terme, dont les centres de décision sont de plus en plus éloignés du terrain, et au sein desquelles une part croissante de l'activité des managers opérationnels est mobilisée par la réalisation des reportings et le respect des procédures au détriment de l'amélioration de la qualité des produits ou du service au client.

S'y développe un management « clinique », dicté par les seules considérations financières, où les décisions prises en cénacle restreint tombent comme des oukases sur l'encadrement de proximité et le gros des troupes, dans lequel les salariés sont soumis – hormis les « hauts potentiels » – au régime maigre tandis que, sauf rares exceptions, leurs dirigeants s'enrichissent à coups de bonus et de stock-options. La gestion de l'emploi y est essentiellement arithmétique : les « ressources humaines » sont, en dépit des belles paroles, perçues plus comme un coût que comme un investissement et elles font les frais de la moindre difficulté conjoncturelle, voire, de plus en plus fréquemment, d'une stagnation ou d'un fléchissement du cours de Bourse. Ce capitalisme new-look est très largement responsable du désenchantement actuel des cadres et des salariés vis-à-vis de l'entreprise.

Familial, bénéficiant d'un actionnaire de référence ou d'un capital aux mains des salariés (à l'instar des Scop), l'autre capitalisme échappe au credo obsessionnel de la « création de valeur pour l'actionnaire ». Les success stories d'entreprises comme Bonduelle, Elior, Bénéteau, Manitou, Boiron, Fleury Michon, Chèque Déjeuner, Sodhexo et Armor Lux – pour ne citer qu'elles – montrent que ce modèle plus respectueux des hommes est loin d'être condamné par la mondialisation des échanges et la concurrence accrue qui en résulte. La société quimpéroise est l'archétype de cette alchimie qui réussit si bien à nombre de ces entreprises : des entrepreneurs ancrés dans leur territoire d'origine (en l'espèce, la Bretagne) et en relation étroite avec celui-ci, jouant la carte de l'innovation, d'une marque forte et de la qualité ; une transparence envers les salariés sur la stratégie poursuivie, l'environnement économique, les difficultés rencontrées et les risques pris ; un dialogue poussé avec des interlocuteurs syndicaux respectés ; une gestion de l'évolution des effectifs et des reconversions à froid, misant sur la mobilité interne pour préserver l'emploi de chacun ; la recherche d'une cohésion sociale forte (elle permettra notamment à Armor Lux d'obtenir de ses employés une baisse des salaires en contrepartie d'un accord Robien défensif et des 35 heures Aubry) et des sacrifices partagés par tous ; un investissement réel dans le développement durable et la responsabilité sociale de l'entreprise (Armor Lux fait ainsi réaliser des audits sociaux chez ses sous-traitants à l'étranger).

Une certitude : si la réussite économique n'est pas l'apanage de l'un ou de l'autre de ces deux modèles de capitalisme, seules les firmes « citoyennes » sont susceptibles de combler le fossé qui se creuse aujourd'hui entre les Français et l'entreprise.

Auteur

  • Denis Boissard