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Politique sociale

L'Unedic prodigue avec les cadres mais chiche avec les précaires

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.10.2005 | Valérie Devillechabrolle

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L'Unedic prodigue avec les cadres mais chiche avec les précaires

Crédit photo Valérie Devillechabrolle

Trop généreux, notre régime d'indemnisation ? À la veille de la renégociation de la convention Unedic, un tour de vis est à l'ordre du jour. Pourtant, entre les cadres, privilégiés du système, les seniors et les précaires aux droits réduits, le traitement n'est pas le même. Ni l'incitation à retravailler.

Les chômeurs ont du souci à se faire. Car, à la veille de la renégociation de la convention Unedic pour la période 2006-2008, c'est un sérieux tour de vis qui s'annonce. Il est vrai que le déficit abyssal du régime (13,7 milliards d'euros attendus en fin d'année) ne laisse guère le choix à ses gestionnaires. Et, tandis que le gouvernement vient d'accorder aux Assedic la possibilité de réduire, voire de suspendre à titre conservatoire, les allocations en cas de doute sur la recherche active d'emploi, le patronat mène campagne contre la trop grande générosité du système : « En croisant temps d'affiliation, durée et niveau d'indemnisation, le régime français d'assurance chômage est le plus généreux d'Europe, voire du monde », affirme Denis Gautier-Sauvagnac, président actuel de l'institution paritaire au titre du Medef, en se fondant sur les résultats d'un benchmark européen réalisé par l'Unedic. Son cheval de bataille ? Le retour à la dégressivité des allocations. Un mécanisme que les partenaires sociaux ont, selon lui, commis « l'erreur majeure » de supprimer en 2000, dans l'euphorie de la croissance retrouvée…

Une croisade dans laquelle le numéro deux de l'UIMM peut se targuer du soutien de l'opinion publique. À en croire les résultats d'une enquête que le Credoc vient de réaliser pour l'Unedic, la moitié (49 %) des Français interrogés (contre 23 % en 1990) estiment que les demandeurs d'emploi ne devraient pas tous être indemnisés, tandis que sept sur dix sont favorables à l'idée de suspendre, au bout d'un certain temps, les allocations en cas de refus d'un emploi moins qualifié ou moins rémunéré.

Le patron de l'Unedic peut surtout s'appuyer sur les travaux de l'OCDE. L'organisation internationale relevait l'an dernier qu'« en 2001 le système français d'indemnisation du chômage constituait le troisième régime le plus généreux des pays de l'OCDE ». Une situation de nature, ajoute-t-elle dans ses Perspectives pour l'emploi 2005, « à créer de véritables pièges à chômage », en particulier « pour les travailleurs dont les qualifications ne sont plus en adéquation avec les emplois disponibles et qui devront dès lors accepter une baisse notable de leur rémunération » en regard de laquelle leurs prestations de chômage « peuvent apparaître beaucoup plus généreuses ».

Tous les demandeurs d'emploi indemnisés par l'Unedic sont cependant loin d'être dorlotés. Et l'incitation financière à reprendre un emploi varie considérablement d'une catégorie à l'autre… Revue de détail des dispositions du régime d'assurance chômage qui freinent le retour à l'emploi.

Les cadres privilégiés

Avec une indemnisation pouvant atteindre 5126 euros net par mois (pour un salaire de référence de 10 064 euros), les cadres sont les grands privilégiés de l'assurance chômage. Ce plafond représente cinq fois le niveau d'indemnisation moyen des demandeurs d'emploi pris en charge par l'Unedic (1 002 euros en décembre 2004). Et le personnel d'encadrement est le seul à être passé entre les gouttes des réformes successives visant à réduire les allocations. Résultat, un cadre de 40 ans gagnant quatre fois le smic (voir graphique) pouvait prétendre en 2003 à une indemnisation supérieure de 20 % à celle qu'il aurait perçue en 1979. Alors que, dans le même laps de temps, le smicard a vu ses droits diminuer de 20 à 30 %. Pour Alain Lecanu, secrétaire national de la CFE-CGC et administrateur de l'Unedic, une telle prodigalité est amplement justifiée : « Dès lors que leurs cotisations peuvent être calculées sur la base de quatre fois le plafond de la Sécu, il est normal que les cadres touchent plus que les autres quand ils sont au chômage. »

Si, jusqu'à présent, l'encadrement est plutôt épargné par le chômage (seuls 4,8 % des cadres étaient inscrits à l'ANPE en 2004 contre 12,3 % des ouvriers), la proportion de cadres chômeurs a plus que doublé depuis 2000. Surtout, leur conduite en matière de recherche d'emploi est, aux yeux des experts, sujette à caution. « Les bons niveaux d'indemnisation dont bénéficient les cadres leur laissent davantage de capacité de refuser des offres », résume Marc Gurgand, spécialiste des questions d'emploi au laboratoire de recherche Delta de l'école normale supérieure. Directeur général de l'Apec, Jacky Chatelain renchérit : « La suppression de la dégressivité a créé pour cette catégorie une fausse sécurité durant vingt-trois mois. Les cadres sont tentés de se donner le temps de souffler, sans toujours se rendre compte qu'après c'est le grand vide. »

Résultat, l'ancienneté des cadres au chômage est plus longue que la moyenne (509 jours en 2004, contre 393 jours toutes catégories confondues) et elle tend à croître plus rapidement : 42 jours de plus entre 2003 et 2004 (contre 6,8 jours en moyenne). Un comportement jugé choquant par un fin connaisseur du marché du travail : « Cette frange de demandeurs d'emploi a tendance à considérer que ses années d'activité lui confèrent le droit de gérer à sa guise sa période de chômage. Ce qui va à l'encontre de l'obligation de recherche active d'emploi, qui est un des fondements du régime. » Si les deux tiers des demandeurs d'emploi qualifiés retrouvent un job dans les douze mois, l'attentisme « peut s'avérer dangereux pour 30 % des cadres, en particulier ceux âgés de 45 à 48 ans, car il risque de réduire fortement leur employabilité », insiste Jacky Chatelain.

D'un côté, des agents « incités à laisser les cadres autonomes dans leur recherche d'emploi », comme le souligne Alain Lecanu. De l'autre, des chômeurs persuadés de s'en sortir par eux-mêmes… autant dire que les rares mesures d'accompagnement font souvent un flop auprès des cadres. La proposition d'accompagnement renforcé faite par l'Unedic avant l'été s'est heurtée au refus de trois quarts des cadres sollicités. « Entre attendre un an de chômage pour nous préoccuper d'eux et les prendre à la gorge au bout de deux mois, il nous faut peut-être réfléchir à un dispositif intermédiaire à mettre en place au bout de six à neuf mois », observe-t-on à l'Unedic. Confronté à des taux d'absentéisme de 50 % aux ateliers de recherche d'emploi en région parisienne, Jacky Chatelain souhaite que « le système crée davantage de pression sur les cadres de façon à les aider à prendre conscience qu'ils ne peuvent rester isolés ».

De tels comportements alimentent le débat sur le retour à la dégressivité. Du moins pour ces populations avantagées. Une étude réalisée en 2000 par Denis Fougère, du Crest-Insee, révèle que « le taux de sortie vers l'emploi des individus les plus qualifiés double à l'approche de la fin de leurs droits, alors que celui des personnes percevant les indemnisations les plus basses ne s'accroît que de moitié ». Dans leur récent rapport consacré aux pistes pour sortir de « la précarité d'emploi », les économistes Pierre Cahuc et Francis Kramarz constatent que, si « près de 10 % des chômeurs les mieux indemnisés perçoivent près de 30 % des dépenses d'indemnisation du chômage, un système qui inciterait ces demandeurs d'emploi à en rechercher un plus activement devrait permettre de réaliser des économies substantielles »…

Reste que, hormis la CGT qui, par la voix de Maurad Rabhi, se déclare « favorable à un plafonnement des indemnités pour protéger la solidarité du système », les autres organisations syndicales cogestionnaires de l'Unedic répugnent à s'avancer sur un terrain aussi sensible. Tout en reconnaissant que « la logique assurantielle poussée à l'excès offre aux personnes une protection qu'elles croient définitive », Annie Thomas, secrétaire nationale de la CFDT et administratrice du régime, estime qu'« il ne peut pas y avoir d'indemnisation trop élevée tant qu'on n'aura pas discuté de la rapidité du retour à l'emploi… »

Les seniors longtemps épargnés

Les chômeurs âgés de plus de 55 ans ont longtemps constitué l'autre grande catégorie de demandeurs d'emploi épargnée par la rigueur. Jusqu'en 2002, le régime leur garantissait le maintien de leurs allocations jusqu'à leur retraite effective, tout en les dispensant de recherche d'emploi. Pour David Grubb, économiste à l'OCDE, le maintien de tels avantages s'apparente à un non-sens : « Si, au départ, cette durée d'indemnisation plus longue pour les seniors se justifiait par les difficultés rencontrées sur le marché du travail et par la fausse théorie selon laquelle les suppressions d'emplois de seniors profitaient aux plus jeunes, tout le monde s'accorde aujourd'hui à dire que ces mesures ont d'abord contribué à diminuer le taux d'emploi des seniors sans améliorer celui des jeunes. »

Avec plus de 403700 dispensés de recherche recensés fin mai (dont les deux tiers à la charge de l'Unedic), l'assurance chômage tient toujours lieu de préretraite, avec la complicité tacite des employeurs et des salariés concernés. « Sous couvert de licenciement pour faute, entreprise et salarié en ajustent les modalités de façon à exonérer l'entreprise de la contribution Delalande tout en permettant au licencié de percevoir ses allocations à taux plein », constate Jean-Claude Quentin, administrateur Force ouvrière, qui rappelle qu'« au Danemark les préretraités de plus de 60 ans sont pris en charge par un dispositif d'assurance chômage facultatif ». À l'OCDE, on souligne que des pays tels que la Norvège ou les États-Unis, beaucoup moins tolérants envers ces abus, ont instauré une surcotisation.

En France, les partenaires sociaux se sont attaqués au dossier en 2003, notamment en ramenant la durée maximale d'indemnisation des moins de 57 ans à trente-six mois. Même si cette durée est encore pratiquement sans égale en Europe, ce durcissement a commencé de faire sentir ses premiers effets. Alors que de 2001 à 2003 les entrées dans le régime des plus de 55 ans ne cessaient de progresser à un rythme compris entre 13 et 19 % par an, le flux s'est pour la première fois réduit de 10 % entre 2003 et 2004, selon l'Unedic.

Pour l'économiste Pierre Cahuc, « il y a encore des marges de manœuvre pour améliorer l'efficacité du régime en matière de retour à l'emploi des plus âgés », par exemple « en réduisant encore la durée d'indemnisation », comme le préconise le Medef. Ou en « activant la négociation sur le maintien dans l'emploi des seniors », comme le suggère Annie Thomas, de la CFDT. La question sera sans nul doute abordée… d'autant que les allocations versées aux quinquas absorbent un tiers des dépenses du régime.

Des précaires livrés à eux-mêmes

S'il existe, en revanche, une catégorie de chômeurs dont l'Unedic n'apratiquement jamais cessé de réduire les droits, c'est celle des précaires, qui représentent plus d'un demandeur d'emploi sur cinq indemnisé dans les nouvelles filières. Le patronat rappelle qu'« avec six mois de travail requis pour prétendre au versement d'une allocation pendant sept mois, la durée d'affiliation française est la plus courte d'Europe ». Mais « la durée d'indemnisation n'a jamais été aussi réduite que depuis 2002 », rétorque Carole Tuchszirer, de l'Ires. De fait, la proportion de dossiers rejetés faute de droits suffisants est repartie à la hausse en 2003, tandis qu'à l'autre bout de la chaîne 70 000 personnes voient chaque mois leurs droits s'éteindre (contre 55 000 en 2004).

Or ces chômeurs en situation précaire ne rechignent pas à reprendre un travail, comme en témoigne l'explosion des activités réduites, ce dispositif permettant de cumuler revenu d'activité et maintien d'une allocation minorée. Selon une récente enquête de l'Unedic, 730 000 personnes travaillent dans ce cadre, c'est-à-dire près de 30 % des allocataires. La moitié environ démarrent leur activité réduite dans le premier mois de versement de leur allocation, un tiers dans les cinq mois qui suivent. « Plus habitués aux situations précaires, les chômeurs issus d'un CDD sont davantage enclins à accepter des propositions d'activités réduites que les personnes ayant été licenciées »,expliquaient Pierre Granier et Xavier Joutard dans une étude publiée par l'Insee en 1999.

Seul problème, ces petits boulots ne permettent pas à la quasi-totalité des chômeurs actifs (neuf sur dix) de sortir du chômage. « Agissant sous la contrainte financière, ces demandeurs d'emploi n'ont pas les moyens de trouver les emplois qui leur conviennent, au risque de retomber plus rapidement que les autres au chômage », explique Denis Fougère. Mais les syndicats semblent moins préoccupés d'améliorer leur retour au travail que de pénaliser les entreprises qui abusent de ces formes particulières d'emploi. À l'instar de FO qui, au grand dam du patronat, préconise une sur-cotisation : « On a bien doublé la cotisation des intermittents », plaide Jean-Claude Quentin.

Un accompagnement insuffisant

Le souci d'économies aidant, le vrai débat risque d'être éclipsé. « Agiter le bâton sans améliorer les conditions d'accompagnement ne servirait à rien », estime Pierre Cahuc. « L'une des grandes faiblesses du système français réside moins dans le niveau d'indemnisation que dans le déficit d'accompagnement à la recherche d'emploi », ajoute-t-il, en plaidant pour que, dans les six premiers mois de chômage, tous les demandeurs d'emploi soient inscrits dans une démarche d'activation. Aujourd'hui, un gros tiers des chômeurs sont encore jugés autonomes au bout d'un an et les dispositifs d'accompagnement les plus performants ne profitent qu'à un chômeur sur cinq.

Pour David Grubb, le système d'activation pèche moins par le montant des sommes qui y sont allouées – avec 1,09 point de PIB, la France se situe en effet dans la moyenne de l'Ocde – que par son manque de cohérence : « Avec pas moins de trois financeurs pour une formation destinée à un demandeur d'emploi, la France souffre d'un éclatement inégalé dans les autres pays de l'Ocde. » Si le projet de convention tripartite état-ANPE-Unedic en discussion depuis le printemps s'est fixé pour objectif d'améliorer cette coordination, « le risque est grand de voir les arrière-pensées l'emporter sur l'amélioration du service rendu aux demandeurs d'emploi », se désole un expert. Un risque malheureusement plausible…

Querelles au sommet

« La convention État-Unedic-ANPE ne nous permettra pas d'économiser un chômeur de plus par rapport à l'existant ! » Le projet gouvernemental visant à mieux coordonner l'accompagnement des chômeurs n'est pas encore paraphé que, déjà, certains des principaux intéressés doutent de son efficacité. De quoi apporter de l'eau au moulin de l'OCDE. David Grubb se montre ainsi « plus que sceptique quant à la capacité des pays d'Europe de l'Ouest à activer leurs dépenses ». De fait, c'est moins sur le terrain que le bât blesse – « la coordination ANPE-Unedic n'a jamais été aussi forte que depuis la mise en œuvre du Pare », assure-t-on à la direction générale de l'assurance chômage – qu'au sommet. « Le gouvernement veut installer des maisons de l'emploi communes sans dire clairement qui est le patron », décode Jean-Claude Quentin, de FO. « Le rapprochement est très difficile », abonde-t-on aussi du côté patronal. Car cela revient soit à étatiser l'assurance chômage en mettant fin au paritarisme, soit à privatiser l'ANPE, au grand dam des syndicats. « Inadmissible ! » s'insurge Annie Thomas, de la CFDT.

Ces querelles de pouvoir, qui s'illustrent notamment au travers de la bataille sur la maîtrise du futur système d'information commun ANPE-Unedic destiné à accueillir le dossier unique du demandeur, ne sont effectivement pas de nature à créer les synergies fortes attendues au service du demandeur d'emploi.

À une nuance près : les 14 milliards d'euros de dette que l'assurance chômage va devoir éponger à l'occasion de la future négociation devraient l'amener à se montrer plus conciliante. « Nous allons sans doute être obligés de faire appel à la solidarité nationale », reconnaît ainsi Jean-Claude Quentin. « Nous sommes bien partis pour passer Noël au ministère », renchérit Alain Lecanu, de la CFE-CGC. Dans ces conditions, pour nombre d'observateurs, cette négociation constitue une occasion unique « de faire progresser le système ». Reste à savoir si les partenaires sociaux et le gouvernement sauront la saisir.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle