logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Débat

Le contrat nouvelles embauches va-t-il doper l'emploi ?

Débat | publié le : 01.10.2005 |

La création, par ordonnance, d'un nouveau contrat de travail assorti d'une période d'essai de deux ans, le contrat nouvelles embauches (CNE), réservé aux entreprises de moins de 20 salariés, fait beaucoup de bruit. Ce sérieux coup de canif donné par Dominique de Villepin au Code du travail peut-il booster les recrutements dans les PME ? Les réponses, très mitigées, de trois experts des politiques de l'emploi.

« Pour remédier au chômage, il vaudrait mieux desserrer les freins à la croissance »

PIERRE BOISARD

Chargé de recherche au CNRS.

Le gouvernement a fixé deux objectifs au contrat nouvelles embauches (CNE) : favoriser l'embauche et trouver un nouvel équilibre entre les contraintes des entreprises et l'aspiration à la sécurité de l'emploi des salariés. On s'autorisera quelques doutes sur le succès de l'entreprise. Le Premier ministre annonce déjà la signature de plusieurs dizaines de milliers de CNE. Que les entreprises préfèrent embaucher en CNE plutôt qu'en CDI ou en CDD ou recourir à l'intérim ne surprendra personne. Mais s'agit-il d'une augmentation des créations d'emplois ou d'un effet de substitution ? Pour mesurer l'effet net du CNE sur l'emploi, il manque un dispositif d'observation faisant la part des différents types d'embauches et les situant par rapport aux évolutions antérieures. Un moyen simple de mesurer l'effet CNE serait par exemple de comparer les comportements d'embauche des entreprises de 20 salariés ou moins à ceux des entreprises situées immédiatement au-dessus de ce seuil. Sans un tel dispositif d'évaluation, il sera difficile d'apprécier l'impact du contrat nouvelles embauches. La création du CNE se fonde sur l'idée que les règles régissant l'embauche et le licenciement ne sont plus adaptées à une situation marquée par l'incertitude. Les entreprises ont besoin de flexibilité pour ajuster leurs effectifs aux changements et à-coups incessants auxquels elles font face. En facilitant les licenciements on lèverait les réticences à l'embauche. Mais cette analyse laisse de côté les causes structurelles du chômage de masse qui sévit en France. Pour y remédier, il faudrait desserrer les freins à la croissance, entre autres l'insuffisance de l'investissement dans les secteurs des hautes technologies et les déficiences du système de formation initiale et continue. Faciliter les licenciements n'y changera rien. Au moyen du CNE, les employeurs pourront certes recruter avec l'assurance de pouvoir licencier à leur gré, mais cela n'améliorera ni leurs capacités de conquête de nouveaux marchés ni leur offre de produits et de services innovants.

L'exemple du Danemark, où aucune contrainte légale ne pèse sur les licenciements, a maintes fois été évoqué. Mais un autre aspect du pacte social danois est laissé dans l'ombre. Les relations dans l'entreprise y reposent sur des accords collectifs de branche et un taux de syndicalisation de l'ordre de 80 %. La facilité du licenciement est compensée par le dynamisme du marché du travail qui permet un retour rapide à l'emploi et par un régime d'assurance chômage très protecteur. Il faudrait certes plus de flexibilité dans la gestion de la main-d'œuvre, mais cela ne peut résulter d'ordonnances gouvernementales édictées sans concertation. Une question de cette importance exige une négociation dessinant un nouvel équilibre générateur de confiance et de sécurité. En contrepartie d'un assouplissement des règles du licenciement, les salariés doivent obtenir la garantie d'une meilleure prise en charge collective en cas de chômage et l'accès à une formation qualifiante leur permettant de progresser dans un parcours professionnel. À cet égard, les garanties apportées aux salariés par le CNE sont trop minces. En contrepartie de la facilité qui leur est accordée, les entreprises ne sont tenues à aucune obligation, notamment en matière de formation professionnelle.

« Il peut contribuer à installer une mécanique d'enfermement dans la précarité »

BERNARD GAZIER

Économiste et professeur à Paris I.

Mesure phare et controversée du gouvernement dirigé par Dominique de Villepin, le contrat nouvelles embauches peut alternativement être considéré comme une adaptation limitée, bienvenue, pour les petites entreprises réticentes à recruter dans le cadre actuel du droit du travail français, ou comme une fabrique de précarité ayant vocation à s'étendre et mettant en cause les maigres protections dont bénéficient encore les travailleurs salariés. Les entreprises qui auront recours à ce contrat pourront pendant deux ans se séparer d'un travailleur sans aucune justification et sans coût : ce qui est effectivement bien plus permissif qu'un CDI, mais aussi qu'un CDD, dont les règles sont assez contraignantes. Mais les PME qui auront trouvé des salarié(e)s convenables ne seront-elles pas incitées à les garder plutôt qu'à recommencer tous les deux ans la recherche et la sélection de nouveaux travailleurs ? Il y a fort à parier que l'on observera les deux comportements, mais dans quelle proportion ? Rendez-vous dans deux ans. D'autre part, la modestie des effets tels qu'on peut les anticiper par des estimations est frappante : les prévisions du gouvernement font état d'au mieux 20 000 emplois créés grâce à cette mesure. Ce qui s'explique par la nécessité préalable, pour les entreprises intéressées, d'avoir des débouchés justifiant les embauches supplémentaires, et aussi par le très connu effet d'aubaine : certaines entreprises qui auraient de toute manière embauché vont avoir recours à ce contrat, en toute légalité, ce qui limite drastiquement l'effet net de la mesure.

Alors, pourquoi déranger tant de monde ? Afin d'en juger, il faut sortir du cadre étroit des réticences supposées ou réelles à l'embauche pour regarder comment cette mesure s'insère dans la situation actuelle et dans la panoplie de politiques publiques visant à développer l'emploi. Depuis le début des années 90, un très large accord s'est dégagé en France pour imputer une bonne part de notre chômage à un coût du travail excessif. Il en résulte des efforts constants pour le réduire, notamment par une politique très générale et coûteuse d'abaissement ou de suppression des charges sociales. La France est probablement championne du monde des exonérations de charges pour les travailleurs à bas salaires, pour l'instant sans grands effets.

La réforme du droit du travail prolonge directement, voire accentue cette préoccupation constante. Cela risque de nourrir une recherche de sortie par le bas, sous la forme d'emplois faiblement qualifiés, et n'engage pas la construction d'une sortie par le haut, indispensable pour que la masse des chômeurs non qualifiés se remobilise. Alors, le contrat nouvelles embauches peut contribuer à installer une mécanique de la défiance et d'enfermement dans la précarité, là où c'est, au contraire, la confiance qu'il faudrait enclencher, en concluant un pacte social avec les partenaires sociaux et en mobilisant le point fort français : les grandes firmes et leurs réseaux de formation.

« Rien ne permet d'espérer que le CNE aboutira à davantage d'emplois stables que le CDD »

RAYMOND TORRES

Chef de la division analyse et politique de l'emploi à l'OCDE.*

La vraie question est de savoir si le contrat nouvelles embauches (CNE) est susceptible de relancer l'emploi. Par rapport au contrat à durée indéterminée classique, le CNE, qui s'assimile de fait à un CDI avec une longue période d'essai, permet à l'employeur de se séparer du salarié avec un minimum de contraintes légales pendant deux ans. Par ailleurs, le CNE est plus souple que le contrat à durée déterminée, dans la mesure où il ne présente pas de conditions particulières – une personne ne peut être embauchée en CDD que dans la mesure où le travail effectué répond à certains critères (saisonnalité, nature des tâches limitée dans le temps…). Il est donc possible que le CNE génère davantage d'embauches. Pour autant, une partie de ces embauches viendront sans doute se substituer à celles qui auraient eu lieu en CDD, diminuant ainsi l'impact sur l'emploi total. En outre, il faudra voir si, au bout des deux ans, l'employeur souhaitera conserver le salarié recruté en CNE. On risque de se heurter aux mêmes résistances qui expliquent qu'un grand nombre de CDD ne sont pas convertis en CDI, ce qui constitue un facteur de précarité. A priori, rien ne permet d'espérer que le CNE aboutira à davantage d'emplois stables que le CDD. Plus généralement, l'introduction du CNE ne devrait pas épargner une réflexion de fond sur la réforme du CDI. Selon certains, le droit du travail serait l'ennemi de l'emploi. D'autres pensent qu'il faut conserver le système tel qu'il est. Or des pays européens ont réussi à réformer leur marché de l'emploi tout en conservant une certaine protection du salarié. Par exemple, l'Autriche a introduit des comptes individuels de licenciement en lieu et place des indemnités classiques versées en une seule fois au moment de la perte d'emploi. L'intérêt de ces comptes est qu'ils s'appliquent à tous les types de contrats (ce qui permet la pérennisation des emplois) et qu'ils sont transférables d'un emploi à un autre, facilitant la mobilité sous forme de départs volontaires. Les Pays-Bas ont simplifié les procédures de licenciement – quel que soit le type de contrat –, ce qui rend le droit du travail plus prévisible et facilite l'embauche sous forme de contrats permanents. Au Danemark, les personnes qui perdent leur emploi bénéficient d'une véritable aide au reclassement, là encore sans distinction de types de contrats. Certes, en cas de rupture du contrat pendant la période d'essai de deux ans, le salarié en CNE peut bénéficier d'une aide spéciale pour retrouver un emploi. Mais pourquoi ne pas étendre cette possibilité à tous les salariés perdant leur emploi ? On peut enfin se demander s'il ne serait pas pertinent de rallonger la période d'essai du CDI classique, qui court actuellement d'une semaine à deux mois. Dans des pays comme le Danemark, l'Irlande et le Royaume-Uni qui ont connu un grand succès en matière d'emploi, la période d'essai va de neuf mois à un an. Au total, dans l'attente des résultats d'évaluation du dispositif, il est clair que la création du CNE, bien que présentant certains avantages pour les entreprises, ne dispense pas d'une réflexion plus large sur l'adaptation du droit du travail aux besoins d'une économie mondialisée.

* Cette opinion n'exprime pas la position officielle de l'OCDE.

Articles les plus lus